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Nostalgie, ironie et cie: le pain et le beurre (épais) du réalisateur Alec Pronovost
Les plateformes de streaming ont changé le monde à leur manière depuis un peu plus de dix ans. On regarde beaucoup plus de télévision, on est exposé.e.s à du contenu de partout dans le monde et nos goûts se sont raffinés.
Deux mécanismes narratifs ont d’ailleurs de plus en plus la cote : la nostalgie et l’ironie. On aime regarder le passé avec des lunettes roses et on aime encore plus rire de ce que tout le monde prend au sérieux.
Pourquoi, au juste? J’ai questionné le réalisateur Alec Pronovost (à qui on doit l’excellente série Le Killing) à ce sujet. Ce dernier vient de sortir les séries Complètement lycée – un hommage aux séries jeunesse de l’époque (doublé en français international svp!) – et Le bœuf haché ou le tempeh, qui baignent à souhait dans ces deux univers. Si quelqu’un peut m’éclairer, c’est lui!
Le Killing met en vedette de jeunes adultes qui travaillent dans un camp de vacances. Complètement lycée se déroule dans une école secondaire. Qu’est-ce qui te fait revenir à cette époque?
Je trouve que la fin de l’adolescence est une période clé dans la vie. On se comprend mieux, on approche de notre final form, mais à travers tout ça, on est encore en exploration et super fragiles. C’est aussi une étape remplie de maladresses et de faux pas, donc qui offre inévitablement un bassin comique assez substantiel. Il va toujours y avoir des histoires de coming of age, parce que c’est universel et que les thématiques parlent à pratiquement tout le monde.
Pourquoi moi je semble y aller souvent? Je pense que la thématique de la quête identitaire m’est très chère et que c’est un sujet qui me fascine. J’ai l’impression d’avoir exploré ça dans Le Killing parce que j’avais enfin un peu de recul là-dessus et une meilleure compréhension de ce que j’avais vécu à cette époque-là, donc une approche plus claire. J’ai pu puiser dans mon vécu pour bâtir cet univers de camp là et ces personnages-là. Dans Complètement lycée, les personnages sont tellement caricaturaux que c’est plus par envie de rigolade qu’autre chose! L’envie de rire des archétypes d’une école secondaire, mais aussi des protagonistes clichés des émissions/films « sérieux » sur l’adolescence.
Répondais-tu à un archétype particulier au secondaire?
Hmmmm, j’ai toujours été un peu hybride, pris entre deux chaises. J’ai été un métalleux aux chandails de Megadeth et aux cheveux longs, puis à la fin du secondaire, je me suis coupé les cheveux et je m’habillais au Simons. Question d’être invité dans les partys, t’sais. Le meilleur moment, c’était la transition entre les deux : un chandail de In Flames avec des jeans Parasuco pis des souliers Puma… un look cauchemardesque. J’ai jamais été dans les cools, j’ai toujours été dans le palier en dessous. J’étais pas non plus un clown de classe très bruyant, mais j’étais un petit jokester assurément. Dans le sens où je faisais pas mes blagues pour la classe au complet, mais plus pour mes voisins de pupitres. Donc, en somme, un métalleux-niaiseux-par-moment-artsy-par-moment-complètement-DJAB!
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Un détail qui m’a frappé dans Complètement lycée, c’est les moments d’émotions à travers le sarcasme et l’ironie. Par exemple, le moment où Will détruit sa propre toile. C’est drôle parce que ça dure beaucoup trop longtemps, mais il y a quelque chose de vrai dans sa réaction. Est-ce que c’était voulu ou j’essaie de trop interpréter?
Nonon, t’essaies pas de trop interpréter, c’est pas loin d’être ça. C’était important pour moi de mousser les moments dramatiques au maximum parce que dans les séries du genre, c’est toujours très très dramatique, y’a pas de demi-mesure. Le simple fait d’y aller à fond et de le faire jouer gros par les comédiens, pour moi, y’a quelque chose de très drôle qui en ressort. Un autre exemple, c’est les moments entre Keith (Patrick Emmanuel Abellard) et Ryder (Antoine Pilon), ce sont des scènes qui ne contiennent presque aucune joke à proprement dit, mais l’humour surgit à travers l’aspect dramatique de la scène, qui est beurré épais. Le traitement est la joke. Au final, ça fait rire, mais on ressent quand même quelque chose presque malgré nous. On est ému même si c’est super niaiseux.
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Dans Complètement lycée comme dans ton autre série Le boeuf haché ou le tempeh, tu utilises justement beaucoup l’ironie pour passer des messages. Est-ce que c’est un réflexe que tu as dans la vie ou c’est quelque chose que tu voulais précisément explorer là?
J’espère ne pas trop être ironique dans la vie quand je communique avec le monde : à la longue, j’imagine que ça les tannerait (rires)! Mais oui, c’est évidemment un style d’humour qui me plait beaucoup, surtout via les codes d’un genre ou pour faire référence à certains clichés. Dans Le boeuf haché ou le tempeh, la mise en scène (et même le découpage quelques fois) est ironique. C’est comme une série dans une série, ça nous permet de nous gâter et d’y aller de propositions exagérées qu’on n’oserait pas faire dans quelque chose de plus réaliste et moins absurde.
Par exemple, pour une scène d’appel téléphonique, on va cadrer complètement en dutch angle pour ajouter à la joke et ainsi faire référence à certaines caractéristiques stylistiques de films d’action ou de thriller des années 90 2000. Ça devient un terrain de jeu dans lequel on peut mettre du cheese, comme on dit. Même chose pour Complètement lycée, où on peut reprendre des codes de mise en scène de One Tree Hill et s’en moquer. Avec amour, évidemment. Je pense que ce genre de procédé permet aux spectateurs de faire partie de la blague avec nous.
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Pourquoi penses-tu que les gens répondent aussi bien à ce genre d’humour, particulièrement maintenant?
J’ai l’impression que l’humour référentiel est très rassembleur, ça nous donne le feeling d’être part of the gang. J’avais aussi lu quelque part qu’on est naturellement prédisposé à aimer quelque chose avec lequel on est déjà familier, plus que quelque chose de nouveau. Dans ce sens-là, c’est logique que le public adore les clins d’œil à d’autres œuvres populaires ou à des genres qu’il consomme déjà. C’est un peu ce qu’on cherche avec une parodie comme Complètement lycée : on souhaite que les gens reconnaissent la mise en scène qui peut rappeler un truc comme Dawson’s Creek et ainsi les replonger directement dans ces souvenirs-là. Même chose avec Le boeuf haché ou le tempeh, où on truffe la proposition d’indices et de référents exagérés du genre thriller pour que les gens les repèrent et en rient avec nous.
J’ai beaucoup aimé aussi les référents à la pression qu’on se met à ne pas gaspiller dans Le boeuf haché ou le tempeh. Penses-tu qu’ironiser peut aider certaines causes?
J’espère que oui! Le simple fait d’en parler est pertinent et ça permet de garder les enjeux dans l’actualité d’une manière ludique, ce qui peut parfois aider à dédramatiser. En même temps, faut pas trop dédramatiser non plus, c’est des enjeux importants qui méritent notre attention. Même les comédies absurdes ont des responsabilités sociales. Je pense que d’en parler dans des shows du genre est une façon efficace et légère de garder ça dans les esprits et dans les discussions. On espère, à tout le moins.
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Crois-tu que certains sujets mériteraient un traitement plus ironique? Y en a-t-il que tu aimerais couvrir plus sérieusement dans une série de fiction?
Peut-être l’égo? C’est un bon terrain de jeu pour rire quand même. C’est aussi un truc que je trouve fascinant et qui semble pourrir la vie de tout le monde un peu. J’ai aussi toujours aimé les personnages aux gros égos fragiles (Kenny Powers dans Eastbound & Down par exemple), même s’ils sont l’enfer.
Mais s’il y a un thème que j’aimerais aborder plus sérieusement et moins dans la joke, c’est la mort, carrément. C’est un truc qui me terrifie, autant la mort d’un proche que la mienne. Le film Paddleton de Alex Lehmann (écrit par ce dernier et Mark Duplass) aborde cette thématique d’une manière qui me plait beaucoup, c’est le genre de truc que je me vois faire, si je deviens plus mature un jour.
On croise les doigts!
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Les séries Complètement lycée ou Le boeuf haché ou le tempeh, seront disponibles sur Noovo le 7 et le 16 décembre respectivement.
On pourra également voir Maria, le premier long-métrage d’Alec Pronovost, le 9 décembre sur Club Illico.
Et pour couronner le tout, le court-métrage Piscine Pro – projet qui relate ses deux semaines comme employé du Club Piscine – sera présenté quelque part en 2022.