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Nos relations en apesanteur

Vivre en flottement dans le cyberespace

Par
Julie Lemay
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Il y a de ces sujets qu’on peut visiter et revisiter sans en venir à bout. Il y a de ces thèmes qui, une fois qu’on les a enlignés dans notre mire et qu’on tire dessus, explosent en tellement de fragments que même avec ben de la volonté, on ne finira jamais par ramasser toutes ses composantes. Parlez-moi des impacts des médias sociaux sur les relations humaines, particulièrement en ce qui concerne le domaine de l’amour et autres dérivés de la romance, et BANG.
Le coup est parti.

J’pourrais en parler pendant 1000 ans. Je vais me limiter à 1000 mots.

«…»

Métaphoriquement, tout part des « … » qui scintillent sous notre regard, indiquant qu’on est sur le point de recevoir un message.

Ces « … » excitants qui témoignent du fait qu’on pense à l’autre et que l’autre pense à nous, et qu’« il n’y a pas de hasard, vous comprendrez, c’est excitant, j’attends son message, il.elle me le rédige en direct, il.elle fixe son écran alors que moi aussi je fixe mon écran, on est là, en même temps, et ça y est, oui! YOU’VE GOT MAIL! ».
Orgasme simultané technologique.

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Ces « … » qui peuvent apparaître (JOIE!) et disparaître (DÉCEPTION).
Coït interrompu.

Ces « … » En attendant Godot, qu’on peut espérer, souhaitant que l’autre envoie une pensée, un témoignage de considération, « quelque chose, n’importe quoi ».
Ces « … » qui ne viennent pas et ne viendront jamais.
(Inclure une référence sexuelle de votre choix, la porte est grande ouverte).

Autour de moi, j’observe de plus en plus de gens qui se transposent l’affectif dans l’espace virtuel.

Autour de moi, j’observe de plus en plus de gens qui se transposent l’affectif dans l’espace virtuel. Que ce soit cette personne qui se crée une constellation de relations en ligne ou celle qui vit l’adultère dans ce monde parallèle abstrait, elles ne sont pas habitées par l’envie d’investir leurs contacts dans la réalité.

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C’est là que les points de suspension deviennent un symbole particulièrement fort.
La suspension.
Il me semble qu’elle représente assez fidèlement l’état dans lequel l’un se trouve, errant dans un flou où l’autre est en contrôle.
J’ouvre mon application.
Tu existes.
Je la ferme.
Tu n’existes plus.

Ajoutons à cela le fait que les « … » évoquent l’inaccompli, l’inachevé, le non-dit et doublons le tout d’un silence réflexif.
On peut commencer à se demander si ces relations ne seraient pas tristement à cette image : inaccomplies, inachevées, pleines de non-dits.

Sont-elles viables à long terme?
Est-ce qu’elles sont significatives?
Est-ce qu’elles représentent une évolution dans notre façon de se lier aux autres ou au contraire, elles représentent une déconnexion socialement (trop) acceptée, qui nous coupe de notre humanité?

Oui, j’en conviens, à la base, une relation virtuelle est orchestrée par êtres humains. Le problème, c’est que dans le contexte technologico-moderne, on est présent tout en n’étant pas-vraiment-présent-mais-présent-quand-même.
Pour l’autre, on devient comme ce phénomène post-amputation du membre fantôme qui démange, qui chatouille.
On est là, mais on n’est pas là.
L’abstrait provoque des sensations bien concrètes.

Niveau satisfaction immédiate, j’accorde ainsi un beau 10/10 aux réseaux sociaux.

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Un like. Un match. Un commentaire. Un message privé.
Toc-toc-toc à la porte de notre solitude.
On a l’impression d’avoir partagé, d’avoir été reconnu.
And then, MES AUREVOIRS jusqu’à la prochaine notification!

Niveau satisfaction immédiate, j’accorde ainsi un beau 10/10 aux réseaux sociaux. Il y a quelque chose d’euphorisant à se pitonner la relation, ce qui donne un savoureux p’tit goût de « revenez-y ». Alors on est porté à y retourner. Encore. Encore. Et encore.

Il est là le nœud de la patente. Souvent, trop souvent, c’est quand on se relève le menton et qu’on se réenligne le regard devant nous qu’on est confronté à un vide certain.
Sentir qu’on se retrouve devant rien ni personne, ça peut donner le vertige big time.
On peut avoir le goût de rebaisser notre tête vers notre machine, de remettre notre combinaison spatiale et d’avoir un échange instantané avec quelqu’un, quelque part, qui nous répond peut-être 3-4 mots en faisant 3-4 choses en même temps, mais qui nous répond quand même.

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Ça nous aura soulagés, réellement. Parce que neurologiquement, il y a quelque chose qui se programme véritablement dans nos corps d’êtres humains quand on a recourt fréquemment à ce moyen de communiquer pour nous exciter la pulsion de vie. La vue d’une micro-photo de profil ou d’une bulle bleue Messenger peut stimuler pour vrai de vrai le circuit de la récompense.
Yep, on en est là.
On sécrète en voyant des logos ou des minuscules photos d’êtres humains qu’on n’a jamais regardés dans le blanc des yeux. Et la recherche du thrill sécrétoire peut se muter en dépendance. La troublante dépendance aux réseaux sociaux : accessible, portative et socialement acceptable.
Bienvenue en 2017.

Investir des écrans tactiles, ça doit avoir ses limites.

Mais, hein? Comment s’en vouloir de s’exiler dans le 2.0 quand notre vie de terrien peut nous paraître plate, injuste, déprimante?
Ça peut donner un break de se laisser flotter en apesanteur dans une twilight zone où on a le loisir de laisser passer 4 heures avant de répondre à une réplique. Fuir la gravité, ça peut nous éviter de nous sentir encombrés par nos propres lourdeurs d’êtres humains. Et sur le plan affectif, c’est moins rough d’y pogner une débarque relationnelle. Ça cogne moins que quand on se plante sur la terre ferme.

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À court terme, ça peut aider plus que ça nuit, mais à long terme, Major Tom, do you think your spaceship knows which way to go?

Parce qu’investir des écrans tactiles, ça doit avoir ses limites. Ce serait dommage de considérer que les « clic » et les « bip » sont de satisfaisants substitutifs à nos timbres de voix ou à une main que l’on tend. Les « lol » ou « hahaha! » écrits sur le pilote automatique ne devraient pas nous sembler plus communicatifs que le doux bruit des éclats de rire ressentis, spontanés.

Je ne nous souhaite pas ça.

Il y a tant de choses qui se transmettent d’un être humain à un autre, en personne. Sans symbole. Sans parole. À travers une présence, des touchers, des regards.

On n’a qu’à se rappeler de cet extrait de la performance de Marina Abramović, cette artiste qui invitait les gens à s’asseoir face à elle et à maintenir un contact visuel.

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C’est ça que ça peut générer, une présence humaine, en 1 minute de silence.
C’est fort, non?

Ça peut foutre la chienne de penser que quelqu’un puisse nous activer l’émotif avec autant d’intensité, dans le meilleur comme dans le pire.
C’est beau.
Mais c’est fragile.
Alors il faut prendre soin les uns des autres, en faisant preuve d’un tant soit peu de considération, d’humanité. Je sais, je sonne comme Jésus, mais que voulez-vous, j’y crois.

Au bout de la ligne, c’est à nous de voir à quoi on désire être connecté.

Au bout de la ligne, c’est à nous de voir à quoi on désire être connecté.
La lumière dans le regard de quelqu’un qui nous considère.
L’étincelle qui s’allume dans notre p’tit œil quand on est bien avec les autres.
La lueur qui se crée à la naissance d’une relation authentique réciproque.
C’est de ces éclairages-là dont on aura encore et toujours besoin.
Il n’y a pas une lumière bleue qui va accoter ça, la chaleur humaine. Et c’est autour de cette source-là qu’on devrait avoir envie de graviter.

Can you hear me, Major Tom?

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