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La route est longue de Québec à Montréal avec trois autres airs bêtes dans le char. Pour passer le temps, je regarde le féérique paysage semi-enneigé, ponctué de dinosaures gonflables et de Tim Hortons enguirlandés.

Mon frère conduit en faisant semblant que la 20, l’autoroute la plus droite et la plus ennuyante de l’univers, exige une attention très particulière à cause des trois flocons qui sont tombés ce matin.

Ma sœur et sa fille, à l’arrière, s’échangent quelques mots de temps en temps, sans plus. La musique est juste assez forte pour empêcher une conversation suivie, et personne demande qu’on la baisse.

On a probablement tous les quatre la même pensée en tête : pourquoi est-ce qu’on s’est encore imposé ça cette année?

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Le joyeux temps des Fêtes. Le joli rideau de neige qui tombe au son d’une vieille toune de Bing Crosby. Les enfants fous de joie qui virevoltent au vent.

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Les boîtes enveloppées de papier de toutes les couleurs au pied de l’arbre, avec des gros choux vert et rose acidulé de la même teinte que les paparmanes pas mangeables que ma mère insiste pour acheter chaque année.

Le savoureux festin qu’on a mis trois semaines à préparer tous ensemble, avec galettes en pain d’épice, brioches, dinde farcie avec atocas on the side, et ben du cetera.

Que de beaux souvenirs de jeunesse.

Ah oui, j’oubliais :

Les séances forcées de visionnement de vieux films super-8 qui donnaient à nos parents le plaisir pervers de nous faire revivre nos pires moments, quand on était affublés de vêtements d’un goût douteux choisis par eux (sauf pour ma sœur ainée, seule responsable d’avoir porté des pantalons à pattes d’éléphant couverts de cercles concentriques des mêmes couleurs que les choux susmentionnés).

Les sempiternelles chicanes de famille dont on était jamais vraiment sûrs de la cause, mais qui signifiaient qu’on allait pus se parler avant le retour en classe, chacun s’occupant de ses affaires tranquille dans son coin jusqu’à ce que quelqu’un fasse une scène… pour le plaisir de la chose, je suppose.

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Et ma mère exaspérée qui, le soir du réveillon, se mettait à laver la vaisselle dès que les cadeaux avaient été développés pour nous faire comprendre que “c’est assez, là, le fun est fini!” Comme si le fun avait eu la chance de commencer.

Ces belles traditions se sont poursuivies longtemps. Le motif des chicanes changeait, mais le scénario restait le même.

À son troisième verre, mon père commençait à nous reprocher la longueur de nos cheveux (pour les gars) ou la courteur de nos jupes (pour les filles). Quelques années plus tard, c’était notre choix de domaine d’étude. Ensuite, les conjoints qui n’étaient jamais à la hauteur de ses attentes.

On finissait par l’envoyer promener, au risque de recevoir une baffe ou, pire, un discours (qu’on connaissait d’ailleurs déjà par cœur) sur notre profonde ingratitude envers lui, qui avait fait tellement de sacrifices pour nous.

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Ma mère frustrait dans son fauteuil, voyant ben que son beau Noël sur lequel elle avait tant travaillé allait encore une fois virer à’ marde, mais n’osant rien dire par peur d’accélérer la chose, et peinée de constater que même si on se goinfrait jusqu’à pu pouvoir bouger, on était encore capables de s’engueuler.

Et nous autres, les enfants, on choisissait ce moment-là pour se vider le cœur de toutes les rancunes accumulées pendant l’année, comme pour faire le grand ménage des reproches avant le prochain round.

Il y en avait toujours un qui s’enfermait dans sa chambre en ayant d’abord pris soin d’y emmener le stéréo pour faire chier les autres, alors pognés à attendre l’intervention pas toujours empressée de mon père avant de pouvoir écouter leurs nouveaux disques à peine déballés.

La fois où un ami m’a demandé ce que j’avais reçu à Noël et que j’ai spontanément répondu “une engueulade”, j’ai compris qu’il y avait quelque chose de fondamental qui marchait pas chez nous. Ça fait que pas trop longtemps après, dès que mes emplois aux horaires non traditionnels me l’ont permis, j’ai cessé de faire ce pèlerinage festif vers la maison familiale.

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S’ensuivirent quelques années de paix et de bonheur. Les réunions familiales complètes étant rares, on a peu à peu découvert qu’on arrivait à bien s’entendre en plus petits groupes. L’âge adulte nous avait rendus plus sages, croyait-on. Mais voilà, une fois aux six ou sept ans, ça arrive qu’on se retrouve tous ensemble.

Et que se passe-t-il alors? La même ostie d’affaire. Sagesse acquise : zéro.

Le problème, c’est pas qu’on s’aime pas, c’est que quand on se réunit toute la gang, on redevient les enfants/adolescents d’autrefois, qui s’haïssaient. Parce que cinq enfants pondus à la chaîne qui passent en succession rapide par chacune des phases toutes plus insupportables les unes que les autres du parcours vers l’âge adulte, ça crée des tensions qui donnent à tout le monde plein de raisons d’haïr les autres.

Et malgré le passage du temps, il semble qu’une partie de nous reste coincée dans cette dynamique. Comme si le mélange de nos hormones respectives produisait inévitablement la même mixture explosive.

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L’arrivée d’une nouvelle génération dans la famille a pas non plus eu l’influence civilisatrice qu’on aurait souhaitée. Dans les réunions familiales, on a généralement l’air plus immatures que mes neveux et nièces, qui ont le bon sens de s’isoler dans leurs jeux vidéos au lieu de partir des chicanes pour rien ou de participer aux nôtres.

Ça fait quand même drôle de voir la honte qui se lit dans leur regard sans qu’un de leurs mononcles soûls ait eu besoin de se mettre un abat-jour sur la tête pour chanter Jingle Bells les culottes baissées avec les bells qui lui jinglent impudiquement, comme dans le bon vieux temps. Mais c’est peut-être là notre seul espoir que les choses finiront un jour par changer dans la famille.

Remarque, je regarde l’expression découragée de ma nièce assise sur la banquette arrière du char, contemplant la silhouette du pont Jacques-Cartier qui se dessine au loin dans la grisaille crépusculaire — le signal qu’on est presque arrivés et que la fin du calvaire approche — et je me dis que c’est peut-être pas un hasard si elle laisse son fils passer Noël dans la famille de son ex.

Patrick, invité des RoseMomz

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Pour lire un autre texte d’un(e) invité(e) des RoseMomz : “Toute une vie sans te voir”

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