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Noël à jeun

On a tous un Denis Lévesque dans notre famille. Dans le temps des Fêtes, il fait plus pitié que jamais.

Par
Marie-Andrée Labbé
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Je ne parle pas de votre mononcle qui trippe sur les faits divers ni de votre matante qui pose des questions indiscrètes en faisant semblant qu’il n’y a pas de malaise. Non. Je parle du Denis Lévesque de votre famille qui ne boit pas d’alcool. Le sobre. Le casseux de party.

Dans ma famille, c’est moi. Dans celle de Dan Bigras, c’est Dan Bigras. Dans celle de France Castel, c’est France Castel. Dans celle de Christian Bégin, c’est quelqu’un d’autre que Christian Bégin. Bref, vous voyez de qui je parle.

Vous en croiserez tous un dans le temps des Fêtes, un oncle qui porte des toasts avec un verre d’eau vide et une face de carême. Une belle-soeur qui vient de se reprendre en main et qui passe son temps à reluquer votre verre en vous demandant «Y’a tu de l’alcool là-dedans?» ou «J’peux-tu sentir?» dans l’espoir d’avoir un buzz. Ou l’autre, le collègue de bureau qui se tient près du DJ pour lui renoter les fois où il passe une toune deux fois, parce que tout ce qu’il a pour se valoriser dans un party, c’est sa mémoire.

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Vous, vous ne vous en rendrez pas compte parce que vous êtes probablement un buveur excessif et vous n’avez pas prévu dégriser avant le 7 janvier. Mais le pauvre Denis Lévesque, lui, en cette période de réjouissances où tous les plus démunis de la Terre sont supposément pris en charge, est probablement l’un des plus grands laissés-pour-compte du temps des Fêtes.

Personnellement, après près de quatre années d’abstinence, je n’ai toujours pas trouvé ma zone de confort entre la mi-décembre et le 2 janvier. Mais faute d’avoir accumulé des expériences sexuelles humiliantes et des kilos ingrats autour du bassin, j’ai accumulé des constats.

Constat #1 : En 2011, les gens sont plus mal à l’aise de voir quelqu’un à jeun dans un party que de voir deux filles se frencher en public. Je le sais, je teste régulièrement les deux. Le sobre est profondément plus dérangeant. On l’évite comme s’il menaçait de faire disparaître toute la réserve d’alcool de la ville, éliminant du même coup la raison de vivre des uns et la seule chance de scorer des autres. Je vous le jure, il arrive qu’on jette au sobre les mêmes regards qu’on jetait aux filles-mères en 1920. Regards qui veulent dire : on t’accepte parmi nous, mais ça serait plus cool pour tout le monde si tu restais dans cave.

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Constat #2 : En 2011, quelqu’un de saoul dont tout le corps transpire le mal-être est encore perçu comme drôle et rassurant. Par exemple, Chose qui vomit dans l’évier de ta cuisine avant la fin de l’apéro et qui pleure son mal de vivre étendu sur ton tapis d’entrée est automatiquement réinvité au prochain souper. Quant à l’invité sobre qui redemande un peu de thé en soulevant l’hypothèse que, peut-être, un chunk de vomi sur une table est désagréable pendant qu’on mange, il est perçu comme stuck up et dépressif. Mon hypothèse est que dans toute situation sociale, il est rassurant d’avoir à ses côtés quelqu’un d’extraordinairement saoûl, simplement pour faire sentir à chaque convive que peu importe jusqu’où il dérape, ça ne pourra jamais être pire que Chose.

Constat #3: En 2011, les gens qui souffrent de hangover se sentent comme des victimes du système. Il n’est pas rare d’en entendre un dire : «J’avais pas le choix de prendre une autre pinte. Chose m’a forcé.» Une fois pour toutes, qu’on se le dise : tout comme celui qui a trop bu et qui est trop orgueilleux pour donner ses clés de char, cette excuse ne tient pas la route.*

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Bien sûr, j’écris ceci avec ironie pour me défouler un peu avant la Noël. Parce que ce n’est pas facile d’être un Denis Lévesque. Cette année, j’ai même pensé m’organiser un get together avec Dan Bigras et France Castel. On boirait du moût de pommes tranquilles sans avoir besoin de faire semblant qu’on trouve ça meilleur que du mousseux. On se dirait : «Oui, ça goûte le Cool Aid avec du Seven Up, mais au moins, ça goûte moins mauvais que l’amertume du lendemain de veille, quand tu sors du coma pis que t’as brisé ta famille.» Ce serait de la poésie d’abstinents, et Dan Bigras sortirait son clavier penché et il composerait un air. Moi je me battrais avec France Castel pour savoir qui chanterait l’harmonie, et j’abdiquerais parce que sa voix de femme au diaphragme de fer m’enterrerait de toute façon. Et je me dirais que maudit, j’aurais dû suivre ma première idée et aller passer Noël chez nous, comme d’habitude, à jeun mais en famille.

*Cette année, mon vrai vœu de sobre non stuck-up et non dépressive aurait été qu’un ami du secondaire ne décède pas dans un accident de voiture pour cause d’alcool au volant quelques semaines avant Noël. Malheureusement, mon voeu n’aurait pas été exaucé. Mes sincères condoléances à toute la famille de Janel Marcotte Bienvenue.

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