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Ne tuez pas l’araignée répugnante de votre cuisine

c'est peut-être votre meilleure amie

Par
Hamza Abouelouafaa
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L’été dernier, j’avais un irritant nommé “mouches à fruits” qui me pourrissait la vie. Même sans fruits qui pourrissent sur le comptoir, ces petites bêtes ailées jaillissaient du néant. Elles dansaient en meute, virevoltant comme des hyènes autour de mon petit déjeuner. Elles tournaient comme des vautours autour de mon steak me rappelant qu’il était mort.

Elles venaient se poser une à une sur le rebord de mes verres alcoolisés formant une corolle en dentelle. Elles me narguaient du haut de leur nombre qui ne cessait de croitre. Elles avaient conscience de leur immortalité. Elles se dupliquaient la nuit, copulaient nerveusement comme des bêtes en voie d’extinction. Elles forniquaient sur mon évier, sur ma vaisselle étincelante, elles n’avaient aucune pudeur. Ma cuisine devenait leur boudoir, leur terrain de jeu, au point où j’avais l’impression qu’elles écrivaient une version entomologique de l’œuvre du Marquis de Sade.

Ma rue n’était plus Alma, mais Sodome.

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Évidemment, je fouillais le net à la recherche d’un moyen pour toutes les annihiler. J’ai découvert une grande communauté scindée autour de son indéfectible haine contre ces esties-là. Des victimes de guerre qui partagent quelques trucs. Des guérilleros tapis dans le deep web proposaient des astuces martiales. NOUS ÉTIONS LA RÉSISTANCE. Un peu plus, et j’entendais un discours de Churchill nous invitant à prendre les armes. Mais avant cette guerre, il fallait que je me documente.

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Il fallait que je pénètre leur psyché : j’étudiais leur métabolisme, leurs comportements, je me sentais comme Matthew Broderick dans Godzilla. D’où viennent-elles? Wikipédia m’apprend qu’elles se nomment drosophile du grec Drosos “rosée” et philos “qui aime”. Mon ennemi juré se nommait “qui aime la rosée”.

C’est effrayant de simplicité. C’est quasiment poétique. J’ai peur.

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Maintenant que j’étais paré, il fallait que je mette le plan à exécution [imaginez ici une ardoise avec un plan et des dessins de drosophiles dessinés à la craie].

Plusieurs méthodes mortelles s’offraient à moi :

  • La méthode bouddhiste : Apparemment, ces monstres ont de petits poumons qui ne supportent pas la fumée. Il fallait donc brûler de l’encens dans toute la pièce et attendre que leur mort se prophétise. Évidemment, ils se réincarnaient la nuit durant… en drosophiles.
  • La méthode Casa Corfu : Cette technique consiste à les attirer avec leur plat préféré, du vinaigre et du cidre de pomme, disposé au fond d’une bouteille au bouchon troué. Ces bêtes ailées y entraient avec la promesse d’une ivresse sucrée. Elles se noyaient dans leurs gargantuesques ambitions. Est-ce là la meilleure des morts?

Ces deux méthodes sont obsolètes puisque le ratio mort/nouveau-né est de ½. Ces cerbères s’adaptaient! L’écosystème prenait en compte mes assassinats; plus j’en tuais, plus elles se reproduisaient.

Darwin, dors en paix, tu avais raison.

J’ai donc monté d’une échelle de cruauté, j’ai nommé LA TECHNIQUE GOEBBELS : On imbibe une orange de vin qu’on dépose sur une plaque dans un four entrouvert. On laisse ces démons sans âme venir s’y délecter une nuit durant. Le lendemain, furtivement, on se glisse dans la cuisine, on ferme la porte du four abruptement et on allume le four. On envoie ces antéchrists dans un enfer de 450 degrés Fahrenheit.

J’ai eu deux jours de répit. Deux jours. 48h avant qu’elles ne réapparaissent.

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Un jour, une tite araignée flairant la bonne affaire s’est pointée dans ma cuisine. Elle était lilliputienne, mais je sentais toute son ambition. Évidemment, elle me rebutait un peu, mais mon instinct me disait de lui laisser la vie sauve. Je sentais qu’on était dans la même gang, qu’on avait un projet commun.

Elle a donc posé sa toile, et plus le temps passait, plus elle grossissait, et moins j’avais de mouches à fruits. Sa petite toile est vite devenue un projet d’architecture d’envergure colossale. Un véritable trou noir qui aspirait tous les atomes volants. Elle-même est devenue une créature immense, quasi mythologique. Ensemble, nous sommes venus à bout de ces nuisances, et maintenant qu’elles sont toutes mortes, l’araignée toujours suspendue dans ma cuisine attend patiemment le festin.

Je défends quiconque de la tuer, c’est ma protégée, ma coloc, mon amie. Je la vénère tellement que parfois je lui tends des insectes que je trouve ici et la. Je laisse sciemment des morceaux de fruits se décomposer sous sa toile en guise d’offrande. Mon araignée, c’est l’archange Gabriel venu décimer la partouze d’ordre biblique qui se tenait dans ma cuisine.

Amènes-en des mouches à fruits, nous sommes prêts.

***

Pour lire un autre texte de Hamza Abouelouafaa : “Le règne végétal”

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