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Ne pleure pas pour moi Argentina

Tango pour Claude.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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– Awaye, donne une frite à ta sœur!

– Elle avait juste à en prendre…

– Osti de niaisage. Bon, placez-vous entre les deux portes, je sais pas de laquelle il va arriver.

Simone n’a pas commandé de trio McDo puisqu’elle a besoin d’au moins une main pour tenir sa petite affiche.

« Bienvenido! »

Nous sommes à l’aéroport de Buenos Aires dans la section des arrivées internationales et Claude, mon père, devrait sortir d’une minute à l’autre. Il vient écouler nos deux dernières semaines en Argentine.

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On a emménagé la veille dans le quartier Monserrat, pas trop loin de l’obélisque.

On ne connaît encore rien de la capitale, sinon que c’est un choc de passer en quelques heures de la Patagonie à une cité de plus de trois millions d’habitants.

Martine, une fille à l’argent, n’est pas venue à l’aéroport. Elle a perdu tout intérêt envers mon père depuis qu’elle a compris qu’il n’a aucune fortune à nous léguer en héritage.

– Il est vraiment bon le McDo en Argentine, analyse bêtement Victor, en transe depuis deux semaines à manger plus de viande qu’un village gaulois dans un banquet de fin d’album d’Astérix.

Les portes automatiques s’ouvrent et se referment sur des inconnus.

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Chaque fois, on retient notre souffle. Affirmer que les enfants ont hâte de retrouver leur grand-père serait un euphémisme.

C’est pas souvent arrivé dans leur vie qu’ils ne le voient pas aussi longtemps, pandémie incluse.

Mes parents habitent en haut de chez nous depuis presque vingt ans.

En fait, la dernière fois qu’ils ne se sont pas vus aussi longtemps remonte à notre dernier voyage en Asie, il y a quatre ans et – là encore – mon père était venu nous rejoindre un mois au Vietnam.

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Quant à ma mère, casanière et fière de l’être, elle n’aime pas voyager plus loin que la promenade Masson.

Malgré 50 ans de vie conjugale, elle nous a prêté mon père un peu à reculons et doit compter les dodos avant son retour.

Au moment où vous parcourez ces lignes, elle est probablement dans son fauteuil près de la fenêtre en train de partager sur Facebook une disparition d’enfants remontant à 2014 à Cleveland ou une publication de type « Si tu trouves qu’être grand-maman est le métier le plus cool du monde, partage toi aussi ».

Mon père émerge des portes avec son sac à dos.

Les enfants se garrochent dessus. Simone pleure, Victor se garde une gêne en y allant d’une accolade virile.

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Dans le taxi, mon père y va de ses premières impressions météo tandis que mes enfants tentent de synthétiser trois mois en vingt minutes.

Le voyage a été long; vol de nuit avec deux escales, retard, bouffe dégueulasse, etc.

Mais puisque c’est un tough (trente ans de police à une époque où le profilage se faisait avec une très grosse moustache), il préférait profiter de sa première journée, malgré la fatigue.

On a donc décidé d’aller explorer la ville à pied, comme on le fait toujours en débarquant dans un nouvel endroit.

Premier constat : magnifico Buenos Aires, dix sur dix.

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On sent la frénésie d’une grosse ville, mais avec la touche européenne et le caractère brouillon exotique de l’Amérique latine.

En traversant l’avenida 9 de Julio avec ses dix voies, s’entremêlent une pub géante de Coca-Cola en réalité augmentée, des familles entières en train de faire la manche à la sortie de l’édicule d’un métro et une vingtaine de rabatteurs voulant convertir nos dollars en pesos dans des cuevas en bordure de la calle Florida.

Sur l’avenida Corrientes se succèdent les marquises des théâtres aux néons clinquants, sorte de Broadway latin.

La comédie musicale du film Tootsie est à l’affiche.

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Les drag-queens de Buenos Aires ne sont pas à la veille de faire la tournée des bibliothèques.

On a mis le cap en soirée sur une casa de carne pour essayer le fameux « asado », une technique culinaire locale consistant à déposer sur la table différentes viandes encore en train de crépiter sur un parilla. Très populaire.

Les carcasses de viande en train de rôtir à feu vif dans la vitrine de ces établissements ont cependant de quoi donner des sueurs froides aux végétariens les plus tolérants.

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Et comme c’était ma fête, on a choisi un endroit avec des nappes blanches et mis notre linge « propre ».

Mais bon, mon anniversaire s’est complètement fait upstager par l’arrivée de grand-papa, contre lequel Simone a passé sa soirée scotchée comme Bianca Gervais et Sébastien Diaz (pas de la même manière là).

J’ai noyé mes 45 ans dans un Malbec local en fumant des cigarettes contre la fenêtre ouverte de notre très bel appartement.

Le Père-Lachaise des andes

Les jours suivants ont été consacrés à cocher pas mal tous les trucs à voir à Buenos Aires, à commencer par l’immense cimetière de Recoleta, sorte de Père-Lachaise andin.

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Mais au lieu de fumer des joints sur la tombe de Jim Morrison, les gens chantent Don’t cry for me Argentina sur celle d’Eva Perón (personne fait ça).

C’est vraiment fascinant comme endroit pour se perdre ou jouer à la cachette.

La légende raconte que la fille d’un notable, Rufina Cambaceres, aurait été enterrée vivante par mégarde en 1902. Elle serait finalement morte après s’être scrapée les ongles en grattant son cercueil.

Elle erre dans le cimetière, depuis.

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Ma lubrique patronne Rapha m’a aussi dit que des gens s’y cherchent des recoins pour s’accoupler, mais je n’ai vu personne profaner le sommeil éternel ambiant durant mon passage.

Sinon, le cimetière affiche complet, à moins d’être extrêmement riche ou d’avoir des contacts avec les locataires actuels.

La crise du logement fait des ravages partout, mais heureusement, le cimetière viendrait d’embaucher deux anciens courtiers RE/MAX québécois spécialisés dans la surenchère pour mettre de l’ordre là-dedans.

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Bien aimé visiter La Boca aussi, un quartier ouvrier où les marins se battaient jadis dans les bordels, devenu un lieu touristique très fréquenté avec ses maisons en tôle multicolores.

Même si le seul joueur de soccer que je connais est Jaromir Jagr, c’est impressionnant de voir s’élever en retrait la Bombonera, le stade mythique de l’équipe locale.

Vite de même, l’amphithéâtre jaune et bleu ressemble à un immense IKEA.

Vieillir loin de la maison

Pour la deuxième fois de sa jeune vie, ma belle Simone a vieilli loin de la maison. À 11 ans, tu veux souligner ça avec Amélie, Tennesse, Éléonore, Aurélie ou Ghita, pas tant avec papa, maman et le grand frère qui te gosse 24/7 depuis maintenant trois mois.

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Au moins, grand-papa était là en renfort. Comme c’est la coutume, on lui a donné carte blanche pour sa fête.

Simone a décidé d’aller au zoo, puis de rentrer souper à la maison avant d’écouter un film en famille.

Désolé de ce énième déversement sur le temps qui passe trop vite, mais ne plus avoir de bébé me bouleverse énormément.

Simone qui passe maintenant devant les parcs sans s’arrêter, Simone qui n’essaye plus d’enjamber les lignes des trottoirs SOUS PEINE DE MORT, Simone qui ne traîne plus de toutous en voyage, Simone qui fait une syncope si j’entre dans la salle de bain pour faire pipi pendant qu’elle est sous la douche.

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Hélas, je n’aurai pas le choix de faire comme tout le monde et de me fabriquer une nouvelle famille avec une femme beaucoup plus jeune jugée mature. (Je vais laisser à Coralie-Jade la gestion du gender reveal party.)

Ma Simone voulait manger de la pizza. On s’est donc rendus, mon père et moi, au Güerrín, véritable institution centenaire. L’achalandage est à scier les jambes. La file du restaurant L’Avenue en permanence.

Leur pizza est simple, économique, dégustée en salle sur les trois étages bondés en permanence ou à la sauvette, debout sur les comptoirs, à l’avant du restaurant.

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Leur fugazza, une spécialité couverte d’oignons, vaut le détour (sauf en route vers votre première date).

Soirée de couple à la milonga

On a achevé Buenos Aires avec un bike tour et une soirée tango.

Le tour des principaux attraits de la ville en bécyk est une bonne idée, mais le ratio blablabla/vélo était d’environ 90/10, ce qui m’a vite saoulé.

J’étais avec mon père et mon fils (aww, trois générations sur deux roues) parce que tout le monde sait que le vélo, c’est une affaire de gars.

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Nous étions six, avec le gentil guide et deux touristes américains (frère et sœur).

Le gars, un cliché ambulant, venait de l’Arkansas. Il aimait les gros camions, avait une grande gueule et se prenait pour Henri Cartier-Bresson avec son cellulaire. Sa sœur de Minneapolis était moins fatigante. Tous deux se tapaient un absurde voyage de quatorze jours dans trop de pays. Ils avaient quatre jours à consacrer à l’Argentine, prêts à les maximiser débilement. Hier, Santiago aller-retour. Aujourd’hui, le bike tour. Demain, le tour de cheval au soleil couchant avec un chapeau de cowboy dans un vignoble. Après-demain, les chutes Iguazu en avion. Ensuite, bye bye.

Tout ça pour dire qu’on a perdu le frère en chemin, à moitié mort à cause du vélo, au grand dam du guide qui devait gérer la monture.

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– Mouin, ils seraient morts sur la côte Berri, eux autres…, s’impatientait mon père de 74 ans en les voyant marcher à côté de leur vélo sur une micro-inclinaison de la piste cyclable.

J’en profite pour souligner au passage que mon père a cette manie de comparer pratiquement tout ce qu’il voit en voyage au Québec.

Par exemple, s’il croise une belle chute, il va dire : « Ah! Ça ressemble aux chutes Montmorency, ça! »

Même chose pour la bouffe. « Ouin, pas pire, mais leur poulet est moins bon qu’à la Casa Vinho… »

Ça n’enlève absolument rien au fait que c’est un compagnon de voyage idéal.

Il fait la vaisselle, est toujours partant pour un verre en soirée, en plus d’être un joueur de crible et de Scrabble potable. Il note chaque jour des mots en espagnol dans un petit calepin qu’il traîne partout.

Tellement idéal, qu’il a même proposé de garder les enfants pour notre première soirée conjugale en trois mois. On était tellement contents qu’on aurait été prêts à aller voir le nouveau spectacle de Jérémy Demay (bon, pas tant que ça).

On a lancé les hostilités dans un beau resto, où Martine n’avait pas reçu le mémo qu’il ne s’agissait pas d’une soirée pyjama.

Qu’à cela ne tienne, nous avons bu pour oublier ces trois mois d’enfer à découvrir de nouvelles choses (horreur!), passer du temps précieux en famille (enfer!) et faire de longs trajets de bus ou d’avion (damnation!).

Nous avons fini la soirée avec une milonga, ces soirées où les danseurs de tangos se réunissent pour honorer cette danse traditionnelle héritée des esclaves et premiers immigrants argentins, à la fin du 19e siècle.

La milonga el beso démarrait autour de 22h pour s’étirer jusqu’au milieu de la nuit.

Une soirée suave caliente à regarder des gens de tout âge s’exécuter depuis notre petite table installée contre le plancher de danse. Plusieurs personnes s’y rendent seules et espèrent une invitation à danser en sirotant un verre.

Même si c’est ouvert à tous, ne s’aventure pas sur le plancher de danse qui veut. J’ai beau être un redoutable danseur de continental (j’intègre une vrille), pas question de me la jouer Al Pacino dans Parfum de femme, ici.

Mais je recommande vivement cela plutôt que le spectacle hors de prix fait sur mesure pour les touristes.

C’est vraiment le genre de truc où t’as l’impression de vivre quelque chose de typique.

Bon, bien sûr, cette casse-pied de Martine ne pouvait pas juste apprécier le spectacle sans ajouter son grain de sel.

– On est capable de voir la personnalité des gens à travers leur danse…

HEILLE TABARNAK.

Mendoza prise 2

Pas de farce, on pourrait passer deux semaines à Buenos Aires (une vie), mais pas le choix d’aller à Mendoza, une escale incontournable.

Outre ses vignobles, cette destination s’est aussi fait mondialement connaître pour avoir partagé le même nom qu’un héros des Mystérieuses cités d’or (oui, tu as la chanson dans la tête).

Je suis déjà venu à Mendoza, d’ailleurs, mais je n’ai rien vu. Pas parce que j’ai fait la tournée des vignobles comme Éric Lapointe fait présentement celle des salles louches au Québec, mais plutôt parce que j’ai passé l’entièreté de mon séjour aux soins intensifs.

– Oooh Hugo, quelle histoire encore! Raconte-nous tout avec exagérément de détails, même si ce texte est déjà trop long!

– Arrière, lectorat! Je serai bref, puisque l’histoire concerne un ami qui conserve sa vie privée aussi jalousement que la paternité de Louis-Josée Houde (C’est qui, c’est qui?!).

Les grandes lignes seulement, donc.

C’était il y a quinze ans. On venait à peine d’arriver. L’ami en question s’était étouffé en mangeant un steak (méthode d’Heimlich, pis toute). Comme ça ne passait pas, il a subi une trachéotomie dans une clinique glauque. Son œsophage a été perforé par inadvertance durant l’intervention, menaçant sa vie. On l’a entré aux soins intensifs où on l’a opéré d’urgence, après nous avoir fait signer un release de type « vous avez de bonnes chances de ramener ce ténébreux garçon dans la soute de l’avion ».

Sur la table d’opération, le chirurgien lui a retiré plusieurs organes importants le temps de quelques points de suture à l’œsophage, avant de tout remettre en place.

Moi et l’autre ami qui m’accompagnait dans ce voyage de rêve devions le surveiller à tour de rôle 24/7, en plus de changer ses solutés.

J’ai donc passé l’entièreté de mon trip argentin, trois semaines, à l’hôpital de Mendoza à lire Les piliers de la terre à la flashlight, au chevet d’un lit d’hôpital sous lequel je voyais parfois les cafards passer en ninja.

J’avais donc tout à découvrir.

Premières impressions : bucolique et très vert avec de grands arbres majestueux surplombant les rues.

On loue la maison d’une dame charmante, Laura, qui habite chez sa fille en attendant.

Il y a des photos de famille encadrées sur les murs, l’eau chaude ne dure pas longtemps et la petite terrasse est bien fleurie. On aime beaucoup.

Après avoir arpenté la ville à pied, on s’est aventuré au Cerro de la Gloria le lendemain, une colline avec une grosse statue offrant un mirador des environs.

– Des montagnes de même, on en a plein dans les Laurentides…, s’exclama mon père en voyant la Cordillère au loin pour la première fois.

Rien pour nous empêcher d’aller visiter des vignobles le lendemain. On a loué des vélos pour profiter des journées ensoleillées (printemps au Québec = automne ici).

On a passé la journée avec Tomer, un Israëlien qui devait se trouver des amis pour avoir droit à la visite de groupe.

La dégustation était la seule portion intéressante de ce pèlerinage vinicole. Quelques échantillons de Malbec et de Cabernet Sauvignon plus tard, nous avons enfourché nos bécanes en direction du bodega Trapiche.

Un brin chaudaille (je ne tiens plus l’alcool après des mois de sobriété), Tomer était devenu mon meilleur ami et j’étais à un Malbec d’aller nous payer des matching tattoos.

Le lendemain, j’ai fait comme un animateur de radio de Québec et j’ai beuglé : « FUCK LE VÉLO! »

Comme la plupart des choses à faire sont loin de Mendoza, on a donc loué une voiture pour la semaine. Un plan relativement économique et pas mal plus simple que les bus et taxis.

C’est au comptoir de la boutique de location Avis de Mendoza que j’ai réalisé que mon espagnol commence à être vraiment potable. La commis au comptoir a donc profité de mon expertise pour valider une théorie personnelle.

Creo que Drainville no quiso decir que los profesores etán tropezando con las donas en comparación con los diputados.

Ok, pero eso torpe en esti.

Tal vez, pero fue citado fuera de contexto.

Au volant d’une rutilante Chevrolet immaculée, on a roulé jusqu’à une station thermale alimentée par les eaux chauffées par les montagnes, à Cacheuta.

Il flotte dans ces eaux visqueuses une quantité exagérée d’êtres humains à l’hygiène variable, si bien que frencher le Prédateur sans son masque semble plus tentant que mettre sa tête en dessous de l’eau.

Enfin, la vue est très belle sur les montagnes autour.

De la petite cerveza en comparaison au festin visuel qui nous attendait le lendemain, lors d’un road trip au parc de l’Aconcagua, le plus haut sommet de la cordillère des Andes (6 962 mètres).

Même mon père, au départ stoïque, n’a pas eu le choix d’admettre que c’était époustoufflant.

On est donc passé de « c’est pas mal ça, la vue, quand t’arrives à Desbiens au Lac-St-Jean » au désormais classique « ça, c’est de la roche! ».

On a réalisé à la dure en arrivant aux pieds de l’Aconcagua avoir mal préparé l’expédition.

Tandis que tout le monde était habillé comme Dennis Quaid dans le film Le Jour d’après, nous, on est débarqués en shorts et t-shirts.

On a dû acheter des ponchos d’urgence et des pantalons horribles à Simone, pour ne pas avoir la DPJ locale sur le dos.

Moi, je me contentais de répéter « ¡si si, soy canadiense! » avec un sourire niais aux gens croisés dans les petits sentiers venteux du crisse.

De très piètres ambassadeurs.

Me voilà donc au bout de l’Argentine, en train d’écrire cet article sur la terrasse d’un café du centre de Mendoza. Je bois compulsivement des licuados de banane con leche, ma nouvelle drogue (ex aequo avec LE BONHEUR).

Mon père revient d’aller manger de la pizza avec Martine et Simone.

– Parle-pas de moi dans ton article, là!

– Nenon papa…

Ça fera bizarre de revenir à quatre dans quelques jours, juste avant de s’envoler au Pérou.

On risque de quitter l’Argentine un peu avec le cœur gros.

Et pas juste parce qu’on va s’ennuyer du steak et des montagnes (même si elles ressemblent à celles des Appalaches).

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