Quand Navet Confit dit qu’il a quelque chose à annoncer, on peut pas mal s’attendre à tout. C’est qu’il constitue une drôle de bibitte dans le paysage musical québécois; du genre à s’impliquer dans huit projets en même temps sans se fatiguer et à quand même toujours trouver une manière nouvelle de mettre la barre plus haute. Un créateur insaisissable, entier et sans compromis qui assemble depuis maintenant 15 ans une œuvre complexe, subversive, multiforme et pourtant étrangement pop et cohérente dans ses obsessions.
Rappelons-nous qu’il nous a déjà fait le coup de l’album double à grand déploiement (LP22 en 2007), du lancement de trois albums en même temps (2013), embarqués dans une multitude de trips du genre « disque de noël psychédélique », « album de covers normcore », « album punk » et autres parenthèses acidulées… C’est donc toujours avec bonheur et une curiosité intacte qu’on se rend à sa rencontre, même après toutes ces années, pour savoir quel genre de film joue dans sa tête maintenant.
Engagement, lutte, clan et respect
Le clip Un quiz (qu’il nous offre en exclusivité aujourd’hui au bas de cet article) réalisé par Gabriel Lapierre (Crabe), nous met sur une piste intéressante; mêlant rythmiques déconstruites, distorsion appuyée, références culturelles décalées et humour pince-sans-rire, on y retrouve beaucoup de ce qui a fait le son et la posture du Navet. En même temps, c’est quelque chose de beaucoup plus mélodique et circonscrit que l’étaient les brulots punks constituant LOL (2015), son dernier véritable album en date. Alors, quel genre d’objet sera Engagement, lutte, clan et respect, 8e album de l’artiste qui paraitra le 12 avril prochain? Et d’où sort ce titre, voyons?
« Ça vient d’une revue pour jeune fille que j’ai achetée sur la route pour me changer les idées, genre un quiz pour ado là, pour savoir quel type de personne tu es. C’était une des réponses. J’ai trouvé ça tellement niaiseux et too much que pour rire j’ai dit « ça va être mon prochain titre d’album ». Personne pensait que je serais game donc je l’ai gardé. »
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Crédit : Marc-Étienne Mongrain
15 ans d’émergence
La dernière fois qu’on s’est rencontrés, on avait beaucoup parlé de l’industrie, de la difficulté de se faire une place quand on n’entre pas dans le moule qu’elle propose, et t’étais quand même un peu fâché. Ça s’entendait aussi sur LOL, mettons. Dans ton communiqué de presse on peut encore lire « trop vieux pour être émergent et trop weird pour avoir émergé », mais c’est moi ou on dirait que ce constat t’amuse plus qu’autre chose maintenant?
« Well… Ça fait 15 ans que j’ai sorti mon premier EP. 15 ans d’émergence ! Tsé y’a un étrange phénomène derrière tout ça. Comme je fais de la musique en marge on m’a souvent considéré comme un débutant, c’est vrai que ça peut devenir gossant. On acquiert pourtant beaucoup de qualités en faisant plein de choses soi-même de manière DIY et en occupant un paquet de positions pour gagner sa vie.
Oui, on pourrait dire que je suis dans une phase de gros fuck off, de laisser-aller et c’est plus serein.
J’ai vu ça comme une contrainte longtemps, mais là j’ai décidé que c’était une chance que j’avais. Donc oui, on pourrait dire que je suis dans une phase de gros fuck off, de laisser-aller et c’est plus serein en effet. Ça créé une grande liberté, un moment donné. On fait ça pour qui au fond? Et pourquoi essayer de plaire quand au final les radios s’en foutent, l’industrie ou la critique existe plus trop et y a pas vraiment d’argent en jeu? Ça creuse un peu l’idée de se faire plaisir dans la démarche. Ça s’entend aussi je pense; je suis passé de l’agression à un certain flegme. Engagement, lutte, clan et respect est un peu mélancolique, comme du dream-pop fondu au soleil. Des chansons molles faites avec des instruments désaccordés et beaucoup de fun. »
Empiler des choses dissonantes jusqu’à ce qu’elles s’harmonisent c’est quand même une belle métaphore de ta démarche, non? En plus de réinventer sans cesse ton propre son tu as fait de la réalisation d’albums, accompagné toute sorte de projets, tu t’es impliqué dans le monde du théâtre jusqu’à devenir codirecteur artistique du Théâtre Aux Écuries… ça fait beaucoup de chapeaux à porter. Et là on dirait que tout ça se contamine et fait du sens finalement.
De la musique au livre
« Oui! C’est exactement ça. J’ai réalisé que si j’avais continué à jouer dans les mêmes bars pour le même monde pendant 15 ans j’aurais plafonné, je serais devenu fou à force de faire du sur-place. J’ai compris que j’avais besoin de tout ça; même faire une run de théâtre de trois semaines pour moi c’est long. Je me tanne vite. Pareil avec les albums. Je suis toujours dans le prochain projet, en train de penser à ce que je vais faire après. Ça a déjà été étourdissant, mais j’ai beaucoup appris et là j’avais envie de faire une sorte de synthèse de tout ça. Donc je lance un album, je monte un lancement multidisciplinaire et ah, oui: je lance mon premier livre aussi!
C’est un recueil de textes de chansons, illustrations, poésie, courtes nouvelles et autres intitulé Les films, les desserts, les chaises, les souvenirs, les voyages, la radio, les vedettes, le journal, les rêves, les fantômes, les monsieurs, les animaux, les insectes, les médicaments, les voitures, les énumérations, la répétition et les énumérations et ça paraît aux éditions Somme toute le 16 avril. Un livre qui reprend le meilleur de vingt ans de cahiers de notes, dont j’ai fait les illustrations et qui va avoir une belle préface de Mathieu Arsenault.
Pour un soir seulement, l’univers des chansons et du recueil va prendre vie de plein de manières sur scène.
En fait, c’est le lancement qui va vraiment être l’aboutissement de tout ça. Tsé, le théâtre ça implique des moyens très différents de la musique marginale, et j’avais vraiment envie que ces univers se rencontrent. J’ai pu de booker, je fais plus de tournées c’est trop difficile et pas rentable, donc au lieu de mettre plein d’argent là-dedans pour jouer pour 10 personnes à l’autre bout du Québec, j’ai décidé de mettre mon énergie sur un gros show pour me faire plaisir et en même temps pour être fidèle à où je suis rendu dans ma vision de ça, de la technique, de la mise en scène. Donc pour un soir seulement, le 18 avril au Théâtre Aux Écuries, l’univers des chansons et du recueil va prendre vie de plein de manières sur scène. J’ai monté mon équipe de rêve pour aller le plus loin que je suis capable avec les gens que j’ai rencontrés ces dernières années. C’est l’fun les idées de grandeur, aussi. On a le droit. Tout ça au fond c’est un beau pied de nez à la réalité. »
Cet exercice de synthèse sera réalisé avec ses fidèles acolytes des débuts : Lydia Champagne (batterie), Carl-Éric Hudon (guitare et machines), Émilie Proulx (basse) et les invité(e)s Mat Vézio et Géraldine. L’équipe de création comprendra aussi l’artiste visuel Martin Lachapelle (projections vidéo), l’éclairagiste Marie-Aube St-Amant Duplessis, la scénographe Estelle Charron et la sonorisatrice Catherine Sabourin.
S’ajoutent à ces collaborations de longues dates de nouveaux venus : la claviériste Sheenah Ko (The Besnard Lakes), la chorégraphe et interprète Geneviève Jean-Bindley et les comédien(ne)s Catherine Le Gresley et Maxime Brillon. Navet Confit profitera aussi de l’occasion pour présenter Nüshu, groupe de math-punk-noise qu’il a rejoint récemment.
Moi je serais toi j’essaierais d’être là.
Crédits:
Réalisation, caméra et montage : Gabriel Lapierre
Caméra : Grace Singh
Colorisation : Louis Rivest-Hénault
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Le 8e album de Navet Confit, Engagement, lutte, clan et respect sera disponible le 12 avril prochain.
Le recueil Les films, les desserts, les chaises, les souvenirs, les voyages, la radio, les vedettes, le journal, les rêves, les fantômes, les monsieurs, les animaux, les insectes, les médicaments, les voitures, les énumérations, la répétition et les énumérations publié aux éditions Somme toute sera sur les tablettes le 16 avril.
L’artiste proposera aussi un spectacle pluridisciplinaire au Théâtre Aux Écuries le 18 avril. Et c’est un soir seulement.
Si n’avez rien pour noter tout ça, vous pouvez suivre Navet Confit ici ou ici.
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