En 1999, Hugo Mudie a décidé de lâcher l’université pour partir en tournée non-stop avec The Sainte Catherines. Depuis ce temps, il a sorti 36 albums et brûlé plus de 10 moteurs de camions sur la route à travers le monde.
Il est monté sur scène des milliers de fois, organisé des shows même en dormant, démarré des compagnies de disques, fondé des festivals, booké des rappers, géré des chanteuses, pogné deux fois la bactérie mangeuse de chair, pleuré dans des loges, envoyé chier la moitié de la planète et fait le party avec l’autre moitié.
Il veut aujourd’hui démystifier les dessous de l’industrie musicale telle qu’il l’a connue et la perçoit.
Cette semaine, il nous parle des soundmen qui doivent, soir après soir, essayer de bien faire sonner ton band.
LE PREMIER RÉPONDANT
Les soundmen sont un mal nécessaire dans la vie d’un musicien. Personne n’ose l’avouer, parce que personne veut que le son de son show soit saboté par l’homme à la queue basse et aux multiples fils, mais en général, quand le soundman se tourne de bord, on rit de lui.
C’est un rôle ingrat, j’en conviens. Être soundman, c’est un peu comparable au rôle de beau-père. Tu veux être cool avec la tendre moitié de ta descendance, mais en même temps tu veux être certain de lui rappeler qu’il ne peut fucker up et prendre des libertés. Surtout, tu gardes toujours en tête que cet individu se clenche des parties de jambes en l’air avec ton héritier et peut briser son cœur d’un seul coup de tête.
C’est un peu la même chose avec les soundmen. Ils veulent être cool avec toi, mais s’ils sont trop cool, ils savent très bien que tu vas te crisser de leur conseil de baisser ton ampli sur le stage, que tu vas faire virevolter le pied de micro à terre à la fin du show à grand coup de manche de Ibanez. Tu prendras des libertés. Tu lui monteras sur le dos. Tu garrocheras de la beer sur SON stage qui deviendra glissant pour le prochain band, collant pour le concierge et qui abîmera ses précieux moniteurs. Tu briseras le cœur à SON gear. Si fragile.
Dans le fond, le soundman devient un genre d’agent de sécurité du gear et du stage. La figure d’autorité de la soirée. En arrivant en après-midi dans la salle que tu t’imagines faire exploser à grand coup de riffs musclés le soir, le soundman est le premier individu que tu verras et il mettra la table pour l’ambiance de la future soirée.
MAUDITE JALOUSIE
Je généralise, mais bien souvent, le soundman t’haït d’avance. Avant que tu arrives, il te trouver à chier. Il te méprise parce que dans le fond, tu fais ce que lui aimerait être en train de faire. Il a déjà été jeune et dans le vent et il à joué un peu partout avec son band, dont quelques premières parties de Soundgarden (et en moins de 30 minutes après ton arrivé, tu seras au courant), dans le temps que c’était mieux. Peut-être aussi est-il en ce moment dans un band BEAUCOUP meilleur et plus cool que le tien (en moins de 45 minutes, il te nommera 1 ou 2 groupes avec qui il a tourné… en Europe). Il y a aussi celui qui torche ben raide à son instrument (souvent la guitare électrique), mais qui, à part repiquer de façon identique le solo de Sweet Child O’ Mine, ne saurait composer une simple chansonnette qui ferait bopper de la tête 2-3 filles, même si sa vie en dépendait. Dans le fond, le soundman est jaloux du musicien moyen. Plus ta musique est simple et que ton band est populaire, plus le soundman t’haït. Plus tu es jeune et ton band, populaire, plus le soundman t’haït. Plus tu arrives au soundcheck avec des cool filles avec des jackets de cuir, des longs cheveux blonds et des tattoos sur les cuisses, plus le soundman t’haït. Plus ton équipement est neuf et couteux, plus le soundman t’haït. Si tu veux que le soundman t’aime, il faut que tu sois moyen techniquement, que tu sois assez vieux, avec quand même assez d’expérience, mais moins que lui, du gear vintage, mais moins hot que le sien. Surtout, si tu veux que le soundman t’aime, tu dois le reconnaitre de ses années de musiciens et lui rappeler à quel point son band était le meilleur.
CEINTURE MAGIQUE
L’avantage qu’ont les soundmen sur le commun des mortels, c’est cette ceinture qui cache une multitude d’outils qui peuvent sauver la soirée à tout moment. Le musicien devient un homme des cavernes face à ce Robocop de l’audio qui peut réparer ta tête d’ampli dans le noir (en sortant cette bonne vieille flashlight miniature tenue flipside au niveau du front avec les yeux semi-plissé) tout en ouvrant une bière qui se twist pas et en soudant le fil d’un des wedges qui griche. Tout ça à l’aide d’un instrument dissimulé dans sa ceinture bien cachée sous son t-shirt de Motörhead (qu’il a vu en show une cinquantaine de fois évidemment; il te le mentionnera), en continuant de t’expliquer que pour l’instant le son bounce car la salle est vide, mais quand ça va se remplir, tout rentrera dans l’ordre.
Cette phrase est la phrase préférée du soundman moyen. C’est aussi sa façon de se sortir de n’importe quelle situation fâcheuse au moment du soundcheck. Ça feed? Tu vas voir quand ça va se remplir… Y’a trop de bass? Tu vas voir quand ça va se remplir… Tu n’entends pas ta voix? Tu vas voir quand ça va se remplir… Tu as juste un ticket de bière? Tu vas voir quand ça va se remplir…
Il y a 100 % de chance que le soundman te dise de baisser ton ampli sur le stage. À ce moment, tu peux faire comme tout le monde. Tu t’approches de l’ampli et touches au bouton de volume, dans une action vers la gauche si minime qu’elle n’affectera en aucun cas le son qui sort de ton Marshall. Le soundman est au courant de ta manœuvre, mais continue de faire vivre cette illusion qui donne l’impression au musicien d’être un rebelle accompli.
QUI PERD GAGNE
De toute façon, le soundman se criss ben que toi pis tes chums riez de lui car en général, il est mieux payé que toi pour faire ton son. Il rentre chez lui le soir et peut se réconforter en écoutant un vieux VHS de son ancien band où il shred comme un malade en se disant que c’était mieux dans le bon vieux temps. Le lendemain, il passera la journée à retro-gamer en fumant du weed, pendant que toi tu iras te faire chier à ta job, lendemain de brosse, avec le souvenir du show d’hier. Tout le monde te dira que ça sonnait en malade et tu seras persuadé que la qualité sonique était due au talent de ton groupe et aux prouesses de vos énormes amplificateurs qui rentrent à peine sur le stage. Quand le soundman rentrera pour le prochain soundcheck, il se fera aussi dire par ses co-workers que ça sonnait en malade hier. Il prendra le crédit à 100 %, disant que c’était pas facile à faire sonner ce band amateur de p’tit fils de riche, mais qu’avec les potions magiques qui se cachent dans sa ceinture camouflée sous son shirt de Neurosis (il a joué avec eux quelques fois dans le temps), rien n’est impossible. C’est un magicien.
Sans lui, nos shows ne seraient qu’un long feedback de 2 heures (mais tout s’arrangerait pareil quand la salle va commencer à se remplir).
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