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Musique: La vérité sur la «générosité des artistes»

Est-ce que les artistes sont généreux ou font-ils simplement leur job?

Par
Hugo Mudie
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Hugo Mudie a décidé de lâcher l’université pour partir en tournée non-stop avec The Sainte Catherines en 1999. Depuis ce temps, il a sorti 36 albums et il a brûlé plus de 10 moteurs de camions sur la route à travers le monde. Il est monté sur scène des milliers de fois, organisé des shows même en dormant, démarré des compagnies de disques, fondé des festivals, booké des rappers, géré des chanteuses, pogné deux fois la bactérie mangeuse de chaire, pleuré dans des loges, envoyé chier la moitié de la planète et faite le party avec l’autre moitié. Il veut aujourd’hui démystifier les dessous de l’industrie musicale telle qu’il l’a connue et la perçoit. Cette semaine, il nous parle de la «générosité» des artistes.

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J’aurais voulu être un artiste

Ça me fait toujours bien rire quand j’entends un animateur vanter la générosité d’un artiste. Comme si son temps valait plus que le temps de n’importe quelle personne. Comme si le fait de se confier (devant une caméra, un crew et des milliers de spectateurs) était un geste d’altruisme. Comme si le fait de faire un long show était un sacrifice.

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C’est pourtant la seule job où on ne devrait pas être surpris pantoute que le monde soit gentil et dédié. Si y’a une job où le fait d’être aimé te permet de faire l’épicerie et payer ton loyer, c’est bien artiste. (On s’entend ici j’utilise le terme «artiste», alors que dans la plupart des cas on parle plutôt de «vedette», qui sont assez loin de la création artistique, mais comme le Gala se nomme le gala Artis et non le Gala Vedett, ben je m’ajuste.)

Je n’avais pas conscience que les artistes qui sont invités à la radio et surtout à la télé sont payés pour le faire.

Avant de rentrer par miracle par la porte arrière du showbiz québécois (m’a me faire crisser dehors bientôt, j’imagine), je n’avais pas conscience que les artistes qui sont invités à la radio et surtout à la télé pour jouer à des quiz, se faire interviewer dans un pédalo l’été ou jaser de la 600e représentation du même show pas drôle, sont payés pour le faire.

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Je ne m’avancerai pas sur le montant du cachet, car mon lobe frontal de TDA est beaucoup trop mélangé pour être certains de quoi que ce soit, mais dites vous que parfois, c’est autant payé ou sinon plus que le salaire d’une semaine de job d’un travailleur moyen, qui se fait chier à ramasser vos vieilles vidanges, odeur de compost dans le nez 44 heures par semaine.

Il ne faut pas oublier que les gens qui œuvrent dans le milieu artistique vivent de leur rêve.

Pendant ce temps, notre Mario-Gilles se fait complimenter par un canon de 26 ans qui rit chacune de ses jokes de golf, après s’être fait maquillé par un autre canon de 41 ans qui lui fait croire que son parfum Hugo Boss sent bon. Après le tournage de 46 minutes, notre vétéran de l’humour, de la chanson ou de l’acting, se fait complimenter par tout le monde sur le plateau en marchant vers sa BMW 2016 dans le parking. Ensuite quand le canon de 26 ans poste sa photo avec la vedette au polo trop tight, elle inclut cette description: «Quelle belle rencontre! Quel homme drôle et généreux.» Quand même assez easy d’être généreux dans ce cas.

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Par applaudissements… qui aime sa job?

Il ne faut pas oublier non plus qu’en général, les gens qui œuvrent dans le milieu artistique vivent leur rêve. Non seulement quand ils font des shows, enregistrent, performent, mais aussi quand justement ils font des entrevues, rencontrent des fans, donnent une conférence de presse. Tout ça faisait partie du rêve du départ. Vivre son rêve quotidiennement, c’est le paradis. Se faire à croire collectivement que vivre ce rêve au quotidien demande plus de sacrifices que de travailler dans une shop de boîtes ou être infirmière, est une abomination.

Mais en plus de ça, y’a les applaudissements et les feedbacks de toutes sortes. Quand ma mère qui était professeure finissait un cours, tout le monde se levait et décrissait le plus vite possible pour pogner un autobus. Quand mon père finit sa journée à son magasin, il embarque dans son char pis il écoute Gonzo et Laraque se demander si Travis Hamonic serait un bon ajout pour la brigade défensive du CH, s’il devenait disponible dans 2 ans.

Quand moi je finis de faire un show, pendant 60 minutes, où je me sentais déjà on top of the world, bien à ma place, à vivre mon rêve, je me fais applaudir. APPLAUDIR! Des fois même, ils me demandent de revenir sur stage pour me refaire donner de l’amour. Des fois, ils veulent que tu reviennes plusieurs fois. Est-ce que c’est vraiment moi qui suis généreux, ou ben ce sont les gens du crowd, qui ont sué à grosses gouttes devant un ordi pour se payer le billet pour venir me voir?

C’est une mauvaise habitude de faire comme si c’était fucking tough faire cette job.

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C’est pas mal la seule job où tu peux te faire applaudir. Ça, pis pilote d’avion, mais à chaque fois que le pilote se fait applaudir, il se dit dans sa tête «prochaine fois, j’câlisse ça dans l’Atlantique, on va voir s’ils vont applaudir les morons». Quand un ambulancier arrive le premier pour sauver quelqu’un en train de s’étouffer avec une saucisse hot-dog pognée dans trachée (j’ai vu souvent le film Champs de Rêve avec Costner, la p’tite fille tombe des estrades et un genre de fantôme baseballeur / médecin lui sauve la vie), y’a personne pour l’applaudir.

C’est pourtant beaucoup plus hot que jouer la toune Jet Lag en cover à Ripaille à Repent. Le dude à Ripaille; ovation. L’ambulancier; fuck all.

Générosité VS authenticité

Je pense juste que c’est une mauvaise habitude de faire comme si c’était fucking tough faire cette job (ou le «métier» comme ils adorent l’appeler). Je suis assez d’accord que ça peut être tough, mais quand tu es rendu à Sucré Salé, en entrevue dans un spa Nordique, pis que les 13 filles en bikinis dans le sauna sec te check comme si tu étais Thor, ben tu peux laisser faire la souffrance. Tu n’es pas généreux d’être là, tu es juste fucking chanceux.

Tout le monde se fait dire qu’il est le best et le plus beau.

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Mais en même temps, y’a rien que je déteste plus que les sucker. Aussi appelés les téteux, à l’époque des 100 watts. Qui sont fucking smatt et willing et qui semblent prêts à tout pour faire rire, pleurer, toucher. Ceux qui sont probablement généreux pour vrai me font tellement chier dans le fond. J’aime mieux un bon vieux frère Gallagher qui semble ne pas vouloir être là et qui fait tout son possible pour faire chier le plus de monde pendant les 3 minutes d’attention qu’il a.

Parce qu’au bout de la ligne, il est aussi généreux que l’autre qui est prêt à sauter tout habillé dans la rivière L’Assomption pour faire rire l’animatrice. Tout le monde est là pour se plugger. Vendre des billets ou des disques. Tout le monde est payé pour être là. Tout le monde se fait dire qu’il est le best et le plus beau. Au bout de la ligne dans le fond, j’veux pas voir celui qui est le meilleur à jouer au plus généreux, j’veux juste voir celui qui est le moins fake. Si t’es bon là dedans, j’vais t’applaudir.

Pour lire un autre texte d’Hugo Mudie: «Musique : La vérité sur les groupies».

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