Logo

« Mukbang » : je mange, donc je suis

L’adaptation du roman de Fanie Demeule propose un cocktail explosif de fast-food, d’horreur et de relation mère-fille.

Publicité

La première fois que j’ai regardé un mukbang, j’avoue ne pas trop avoir compris le principe.

Un de mes critiques de bouffe préférés dévorait goulument la moitié du menu de Raising Cane’s, un fast-food américain, en silence et avec un sourire vaguement amusé. Lui-même ne semblait pas croire à ce qu’il était en train de faire.

« Je suis quelqu’un de très sensible aux bruits de mastication. Il y a tout un côté body horror au phénomène pour moi », confie Fanie Demeule, auteure du roman Mukbang et co-scénariste de son adaptation télé qui paraîtra sur ICI TOU.TV le 30 octobre prochain. « Les ingrédients horrifiques étaient là, je les ai juste poussés à l’extrême. »

Dans son format télévisuel, Mukbang, c’est huit épisodes de quinze minutes qui racontent l’histoire de Kim Delorme (Léanne Désilets) qui vit une relation tendue avec sa mère Hélène (Geneviève Brouillette) et tente de s’émanciper en lançant sa propre chaîne YouTube. Face au rejet et à la critique constante, elle se tourne vers le mukbang (une pratique qui consiste à s’enfiler des quantités industrielles de bouffe à la caméra) pour connaître un peu de succès.

Malsain? Absolument. Spectaculaire? You bet.

Publicité

Un thriller psychologique où la bouffe est un prétexte pour parler de plein d’autres sujets? Vous avez tout compris.

Le mukbang comme miroir de l’âme

La pratique du mukbang provient de la Corée du Sud et, à l’origine, n’était pas vectrice d’excès alimentaires. « Au départ, c’était pour pallier à la solitude. De plus en plus de personnes mangeaient seules à l’heure des repas, alors d’autres se sont mises à se filmer en train de manger pour les accompagner. L’aspect solitude, isolement et manque de communication de la pratique font aussi partie de l’histoire », explique Fanie Demeule.

À mi-chemin entre le conflit intergénérationnel et le thriller hitchcockien, Mukbang est, à la base, une histoire sur l’impossibilité de se comprendre dans un monde en constant changement. Kim et sa maman vivent sur deux planètes différentes : elles parlent la même langue, mais ne se comprennent jamais. C’est ce qui pousse la protagoniste vers une échappatoire, un modèle de succès alternatif à un cadre qui l’étouffe.

Ce succès, elle le trouve dans l’autodestruction. « Les codes du thriller psychologique sont ma manière de contaminer le public avec les obsessions de mes personnages. C’est un langage qui parle à tout le monde », précise l’autrice.

Publicité

L’ambivalence du destin de Kim est au cœur de la tension qui transporte Mukbang. Est-elle en train de devenir une superstar du web à travers sa rivalité avec la reine du mukbang Misha Faïtas (Sasha Migliarese) ou est-elle en train de se tuer à petit feu? La mystérieuse coach en ligne Morphea (Sophie Desmarais) est-elle une deuxième mère ou une opportuniste qui dévore les jeunes personnes ambitieuses comme Kim et Misha dévorent les calories? Personne n’en est certain, y compris la protagoniste.

Cette tension créée par la liminarité, c’est un choix délibéré. « Je ne suis pas une grande lectrice d’horreur, mais j’aime beaucoup le travail de Robert Eggers et Ari Aster, et j’ai l’impression que ça transparaît ici. Le fil rouge de mes romans, c’est l’obsession et je trouve que ça se transpose bien aux limites du réel », affirme Demeule.

Publicité

Effrayer sans condamner

La collaboration entre Fanie Demeule et le réalisateur et co-scénariste Kevin T. Landry est née d’un exercice de speed dating entre créateurs littéraires et visuels organisé par le FNC en 2018. « Je lui avais apporté mon roman Déterrer les os qui a finalement été fait en court métrage par Myriam Charles. On est restés en contact via Facebook et dix jours après la publication de Mukbang, il me parlait déjà d’une adaptation. »

La romancière affirme que l’adaptation s’est faite en parfaite collaboration et surtout, dans la bonne humeur. Sa vision a été respectée dans toutes ses nuances.

« Mukbang met en scène une relation difficile entre une jeune fille et sa mère. C’est certain que la pression qu’Hélène met à sa fille est problématique, mais c’est leur dynamique. Plus Hélène pousse, plus Kim fuit vers les réseaux sociaux. Je ne cherchais pas à démoniser les “méchants parents”. Les réseaux sont entre Kim et sa mère. Au-delà de l’horreur, c’est ça qui m’intéressait. J’aime pas faire des portraits moralisateurs », confie Fanie Demeule.

Publicité

Morphea est une autre variable à l’équation qui complexifie l’ensemble du portrait. Au-delà des impératifs et des interdictions d’Hélène, Kim trouve en Morphea une approbation inconditionnelle pour laquelle elle a bien sûr payé. Alors qu’Hélène essaie de réorienter le parcours de sa fille, Morphea la pousse énergiquement vers l’avant. L’auditoire de Kim grandit, mais ses problèmes demeurent les mêmes : elle peine à s’affirmer devant la critique et la violence du jugement d’autrui.

« Au départ, Mukbang était une commande pour un roman qui parlerait à un auditoire de jeunes adultes. Je fais encore des conférences dans des cégeps et des écoles secondaires à ce sujet aujourd’hui. Je suis super contente que les jeunes se sentent interpellés et j’espère que la série aura le même effet », conclut l’autrice.

Mukbang sera disponible juste à temps pour l’Halloween et promet de tourmenter les parents au même titre que les ados. Le réel s’y étire peut-être, mais les peurs que la série évoque continueront de vous hanter bien après avoir éteint la télé.

Publicité
Commentaires
Aucun commentaire pour le moment.
Soyez le premier à commenter!

À consulter aussi