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Avant d’être le gars qui te fait rire, j’étais un assistant de production sur des plateaux de tournage. Mon job constituait à me lever avant le soleil, aller chercher le café, courailler l’équipement nécessaire pour le tournage, dans le fond, d’être la pute de tout le monde sur le plateau. J’étais comme un concierge de peep show, indispensable, mais rarement respecté.
Je me suis fait un bon ami, Pélo. Un autre assistant, mais lui, il était assistant caméraman. C’était une coche au dessus de mon poste. Pas super big sur l’échelle hiérarchique de notre milieu, mais il avait le droit de toucher aux pitons de caméras, le chanceux!
Octobre 2008
Je passais le prendre avec le camion de la production à 5h30 le matin. Et à tous les matins, Pélo essayait de chanter Like Castanets de Bishop Allen pendant que je m’empiffrais de Timbits.
Un des projets sur lequel nous travaillions était un documentaire sur la famille. Cette journée s’annonçait difficile. Dans un petit appartement, un père élevait ses 5 enfants, seul. Sa femme venait de mourir d’un cancer…
L’homme cuisinait tout en nous expliquant sa difficile routine. Soudainement, une des caméras a semblé avoir un problème technique. Pélo l’a donc apporté avec lui dans la camionnette pour y faire son diagnostic. Je «backais» Pélo en restant avec l’équipe dans la cuisine. L’homme nous expliquait combien c’était difficile par les temps qui couraient. Il s’adressait à la caméra restante en disant que chaque muffin était rationné afin que chacun de ses enfants puisse en avoir un dans son lunch.
Nous devions revenir chez le veuf le soir même pour filmer une entrevue seul à seul avec lui après qu’il ait couché ses enfants. C’était un plateau à équipe réduite, ce qui veut dire qu’il y avait seulement le réalisateur, une caméra et le gars de son. Le restant de l’équipe devait quitter. Pélo et moi devions rester pour tout ramasser l’équipement à la fin du tournage. Pendant qu’ils étaient au salon, nous étions dans la cuisine à attendre.
Nous étions assis à la table, dans la noirceur, éclairés seulement par la petite lumière du fourneau. Le moteur du vieux frigo repartait aux 5 minutes et accompagnait le silence pesant qui était entrecoupé d’un homme qui pleure au loin. C’est à cet instant que Pélo me regarde et me chuchote très sérieusement :
«C’est crissement pas le temps de pogner un fou rire…»
Je lui réponds que non, mais sans trop savoir pourquoi, on commence à rire comme des gamins en s’imaginant combien ce n’est pas le moment de rire. On riait en chuchotant. Comme des gros qui sillent. On se regardait et on riait de plus en plus. Je détournais le regard car le moindre eye contact nous faisait exploser. Je déposais ma tête sur la table et camouflais mon rire dans mon dedans de coude. J’étais épuisé et mes yeux coulaient tous seuls. Chaque fois que je levais ma tête Pélo faisait une grimace différente.
Ça t’est déjà arrivé de rire à ne plus être capable de respirer? Que tu aies mal au ventre au point de te lever debout et t’appuyer sur un comptoir pour rire? C’était ça… Mais dans un silence total où nous n’avions juste pas le droit de rire. Comme j’allais exploser et hurler, je me retourne et Pélo, insouciant et dans l’unique but de me faire rire, est en train de se rentrer un muffin complet dans la bouche en faisant une face de cave…
Il est devenu blanc. Il a arrêté de mastiquer. Les muscles de son visage ont forcé et formé une émotion qui m’était encore inconnue. Un mix entre la honte pis QU’EST-CE QUE JE VIENS DE FAIRE LÀ TABARNAK? Il recrache le muffin et me dit : « Je viens de voler un muffin à un enfant pauvre, c’était pas les nôtres hein? »
C’est ça Pélo…
Il est parti à pleurer. NO JOKE!
Un ami de gars qui pleure de honte, moi, ça me faisait rire.
Arrange-toi avec ça Pélo! Il croyait que c’était des muffins pour l’équipe!
Pélo : « Est–ce qu’ils vont s’en rendre compte man? »
Moi : « C’est une plaque à muffins, y’en a 11 pis un espace vide! Crisse que oui, ils vont s’en rendre compte! »
Pélo : « Je vais aller en acheter au Tim! »
Moi : « Tu vas leur dire quoi? Tenez, j’ai bouffé un de vos muffins parce que je n’ai pas de cœur pis j’ai tellement pitié de vous que je vous achète de la bouffe? »
Il n’arrêtait pas de dire : “Fuck que je suis cave!” en se tenant la tête à deux mains.
Moi? J’étais INCAPABLE D’ARRÊTER DE RIRE. C’était tellement wrong!
C’est là… Qu’il a ouvert la porte de derrière et s’est enfuit en courant sous la pluie me laissant seul dans la cuisine avec le frigo bruyant et une plaque comprenant seulement 11 muffins…
Là, ce n’était plus drôle.
Je me suis retourné, j’étais désemparé… Le sacrament me laissait là tout seul. Cinq minutes plus tard, le réalisateur est sorti de la pièce avec les autres et je devais ramasser tout l’équipement, seul.
Comme je m’apprêtais à quitter et que je devais aller voir le monsieur pour lui dire ce que Pélo avait fait, m’excuser en son nom et lui offrir de payer une douzaine de muffins pour nous faire pardonner, la porte s’est ouverte. Pélo était là, tout trempé, et m’a ordonné de quitter: il voulait parler avec le père. J’ai refusé en souriant. Je voulais voir mon ami s’excuser!
Nous étions trois dans l’embrasure de la porte. Pélo a sorti ses mains de ses poches et a donné des dizaines de petits sacs de… jujubes! Il s’excusait en bégayant. Les petits sacs tombaient parterre. Pélo, maladroit, se penchait et les ramassait en s’excusant.
DES FUCKING JUJUBES!
Il avait couru sous la pluie pendant 30 minutes dans le quartier et n’avait rien trouvé d’autre qu’un petit dépanneur.
L’homme a pris les jujubes en riant. Pélo a quitté les yeux pleins d’eau.
L’homme a rit fort et m’a dit : « C’était pour vous autres ces muffins-là! C’est la production qui a payé. »
Je ne l’ai jamais dit à Pélo… Je trouve ça plus drôle qu’il pense qu’il a “volé un muffin” à une famille démunie.
Dans quelques semaines, mon ami Pélo présentera la deuxième saison de sa populaire émission Ouisurf. Nous en avons fait du millage depuis l’époque où nous chantions Like Castanets en mangeant des Timbits dans la van de prod. Bravo man!
#bromance