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Mr Dupieux, l’homme à tout faire le plus célèbre de la France.

Rencontre avec l'artiste-cinéaste-musicien-producteur-etc.

Par
Mathieu Aubre
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« Je suis pas acteur », nous lance Quentin Dupieux, sourire en coin. En pleine séance photos, le cinéaste et musicien semble toutefois prendre à plaisir à se trouver, pour une fois, devant la caméra plutôt que derrière; ce qui ne l’empêchera quand même pas de s’ingérer sans malice dans le travail du photographe Félix Renaud.

Le décor, fait sur mesure pour l’occasion, lui sied d’ailleurs à merveille. Celui que l’on connaît aussi comme le DJ french touch Mr Oizo manipule les vieilles cassettes VHS qui l’entourent avec une maîtrise empreinte de nostalgie. « Les jeunes savent déjà plus ce que c’est! »

L’histoire d’amour de Dupieux avec l’image remonte justement à assez loin. Petit, il empruntait la caméra de son père garagiste pour réaliser des cours-métrages d’horreur ou aux thématiques qui laissaient déjà présager le goût pour l’absurde qui teintera le reste de sa carrière. Après son service militaire, le Français se lance directement dans le monde du cinéma et de la musique, deux univers qui resteront indissociables chez lui.

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Sur ses premiers long-métrages, Dupieux fait jouer ses amis musiciens. Sébastien Tellier et Kavinsky, notamment, prendront des rôles dans quelques-unes de ses productions, de même que Marilyn Manson dans Wrong Cops. « C’est pas une obligation pour moi d’inclure des musiciens dans des rôles d’acteur. Je n’essaie pas de passer de message. C’est plus que j’aime travailler avec des collègues et des amis, donc je leur laisse de la place dans mes projets. » D’ailleurs, dans sa dernière production, c’est au tour du rappeur Orelsan de se faire offrir un rôle; Orelsan qui est aussi cinéaste.

Crédit : Felix Renaud
Crédit : Felix Renaud
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Silence on tourne

Parlons d’ailleurs de cette nouvelle création. Déjà à l’affiche depuis juillet en France, c’est le FNC qui accueillait chez nous la première québécoise de Au Poste!, la nouvelle comédie de l’homme aux multiples chapeaux. Réalisateur, scénariste et monteur notamment sur cette production, Dupieux semble s’être fait plaisir. « C’est mon film le plus accessible à ce jour, je crois. Il est moins aride, moins psycho-rigide que ce que j’ai fait par le passé. » Et quand je lui demande quel est le meilleur album pour s’initier à sa discographie, il me répond sans hésitation Lambs Anger, son premier album paru chez Ed Banger, sensiblement pour les mêmes raisons.

Ce film kafkaïen et théâtral témoigne assez bien de l’étendue du talent de son réalisateur. Mais une chose choque à l’écoute : outre la stupéfiante scène d’ouverture, il n’y a pratiquement aucune musique dans ce film. Ironique, de la part d’un des producers français les plus reconnus de sa génération ? « Ce sont les dialogues qui créent le rythme et la musique du film. Comme le film est plus théâtral, je ne voyais pas l’intérêt d’y intégrer de la musique inutilement. Je voulais laisser tout la place au texte. » Une décision que l’on se doit d’ailleurs de saluer puisque ce film-conversation renverse les codes de l’action traditionnelle du cinéma avec bon goût.

Crédit : Felix Renaud
Crédit : Felix Renaud
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« J’essaie toujours de créer du fantastique à l’écran. Je ne veux pas représenter le quotidien ou y aller dans le drame, mais bien faire voyager le spectateur. »

Du grand n’importe quoi?

Je l’ai déjà mentionné, mais comme pour le reste de la filmographie de Dupieux, Au Poste! laisse une belle marge de manœuvre à l’absurde. Me pensant bien bon en montrant que j’avais fait mes recherche, je lance à mon invité l’une de ses « anciennes citations », tirée d’une entrevue dans la magazine Tsugi : « Tu as déjà dit en entrevue que tu fais ”du grand n’importe quoi”. Ça se traduit comment concrètement? » La question n’est visiblement pas la bonne. « J’ai jamais dit ça, c’est un propos déformé », me répond-il du tac au tac, affirmant que tout ce qu’il fait, autant en musique qu’au cinéma, est réfléchi, songé et organisé. « C’est sûr qu’en musique, je travaille en solo, le rythme de production est plus rapide et je peux sortir plus de trucs. Mais au cinéma, je ne peux pas me permettre de travailler dans l’urgence et de sortir un produit qui ne soit pas entièrement complété et fidèle à ce que je voulais faire. »

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On vient de toucher une corde sensible : celle de l’éthique de travail. En entrevue, Quentin Dupieux est posé. Même chose pendant le shooting. Il émane de lui un cool incroyable et semble imperméable au stress. Mais il n’allez pas croire que le gars n’a pas de sérieux pour autant! « Je fais pas du n’importe quoi. Je m’investis à fond dans tout ce que je fais pour toujours donner mon maximum. » Aller à fond dans tout ce que l’on entreprend relève donc pour lui de la nécessité, au risque de choquer. Il ne recherche pas la gloire, mais plutôt une reconnaissance gratifiante d’un public qui, aussi restreint soit-il, comprend et croit vraiment en ce qu’il fait.

L’admiration du travail de l’autre

Je lui demande alors si ça ne lui fait pas justement chier d’être parfois reconnu uniquement comme le producer qui a écrit Positif, il y a 10 ans déjà, et non pas comme l’auteur d’une discographie de plus de 9 albums complets. Sa réponse dévie rapidement : en musique, ça va, mais pas tout le temps au cinéma. « Aux USA, on me parle toujours de Rubber par exemple, alors que j’ai pourtant réalisé plusieurs autres films. Rubber, c’est parti d’une blague, alors que j’ai fait plein d’autres choses plus intéressantes, plus complexes. »

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Et c’est justement cette complexité qui rend la plupart des productions de Dupieux aussi intéressantes. On est loin de l’universel, de l’accessible. Sur les albums de Mr Oizo, on chamboule les codes traditionnels de la french touch comme Justice ou Daft Punk la pratique. Les rythmes sont plus instables, voyagent davantage, et les collaborateurs étonnent aussi. Sur son dernier album, il a travaillé entre autre avec Peaches et Skrillex, « un musicien (qu’il) respecte énormément » même s’ils ne font pas la même chose.

Crédit : Felix Renaud
Crédit : Felix Renaud
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C’est là l’autre trait de caractère que je remarque et que j’apprécie chez mon interlocuteur : il sait apprécier et respecter le travail d’autrui. Quand je lui parle de son prochain long-métrage, son second de prévu pour 2018, et de sa collaboration avec Jean Dujardin, son visage s’illumine. C’est pas intimidant de travailler avec un acteur oscarisé? « J’ai jamais senti qu’il se prenait pour un autre : il reste humain et garde les pieds sur terre. Je crois même que notre façon de travailler est comparable. Il est là avec sérieux, s’investit pleinement et donne le meilleur de lui même. J’ai beaucoup aimé travailler avec lui. » Ce nouveau projet, Le Daim, a d’ailleurs l’air d’être un beau trip de réalisateur. « Ça marque un nouveau chapitre de ma carrière, après 7 films. » Dupieux revient à ses premiers amours : la caméra à l’épaule, comme il la pratiquait plus jeune.

S’il se garde toujours occupé (il quittera rapidement le studio où a lieu l’entrevue pour aller à la seconde projection de Au Poste! au FNC), l’entretien aura été bien agréable et on voit que Dupieux prend plaisir à aller vers l’autre. On conclue la discussion sur ses prochains projets, alors qu’il me glisse avoir récemment terminé le montage de son prochain film et être sur le point de sortir un nouvel album de Mr Oizo. Le tout se fait en parallèle, sans heurts, et promet encore une fois plein de bonnes choses.

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Au Poste!, à l’affiche au Québec dès le 12 octobre!

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Équipe shooting photos :
Photographe : Felix Renaud
Thibaut Ketterer
Betty Bogaert
Camille Barrantes
Éloïse Bourbeau