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Depuis maintenant presque deux mois, le mouvement de grève générale illimitée pour protester contre la hausse des frais de scolarité annoncée par le gouvernement Charest secoue le Québec.
Mais à ce chapitre, je n’apprends rien à personne. Il eût fallu avoir la tête enfouie dans le sol depuis la mi-février pour ne pas remarquer le tumulte engendré par la mobilisation des étudiants.
Une vague rouge de colère estudiantine déferle sur la province. Et le mouvement étudiant, loin de se complaire dans sa grogne, déploie des prouesses d’inventivité pour porter ses revendications et rallier sa masse partisane. Alors qu’en septembre, on pouvait encore douter du déclenchement d’une grève tournante à travers les universités du Québec, le boycott des cours a atteint une ampleur historique, et la combativité étudiante une fougue intarissable.
Si l’automne laissait présager que les étudiants absorberaient les 1625$ supplémentaires qu’on veut greffer à leur facture scolaire sans trop d’éclats, le vent a tourné. Aujourd’hui, le Printemps est érable et la rue, aux étudiants.
Au-delà de l’opposition à la hausse des frais de scolarité : une mouvance sociale qui s’enracine. Un parfum de mai 68 imprègne l’air du temps.
Mais malgré toute cette verve revendicatrice, le gouvernement fait la sourde oreille, ou presque. Quelques vagues signes d’ouverture, sans jamais ouvrir la possibilité de négocier. « Mais allez-y, manifestez! Vous êtes mignons. »
Or, il est à se demander s’il est acceptable, pour un gouvernement, d’ignorer une revendication populaire lorsqu’elle prend une telle ampleur.
Même 200 000 voix s’élevant dans les rues de Montréal n’auront pas suffi à convaincre le corps ministériel d’entamer un dialogue. À ce jour, la ministre Line Beauchamp repasse en boucle ses formules prémâchées, bien campée derrière un grand sourire corporatif et hermétique; déterminée à faire avaler la hausse aux étudiants sans ouvrir un espace de négociation. Quel qu’il soit.
Jusqu’à quel point un gouvernement responsable – s’il en est – peut-il en toute conscience ignorer les instances dialogales de son peuple?
Quoi qu’en disent les médias à sensation, le mouvement étudiant n’est pas un groupuscule radical troublant l’espace public de manière erratique et aléatoire. Il ne s’agit pas d’une faction marginale de « perturbateurs » aux revendications insensées et agressives. Les étudiants ne sont pas des terroristes devant lesquels il faille écarter tout compromis. Les traiter ainsi relève de la mauvaise foi et du mépris pour la parole du citoyen.
En ignorant les demandes des étudiants indignés, le gouvernement choisit délibérément déconsidérer une partie de ses citoyens. Il leur témoigne avec complaisance qu’il peut se passer de leur appui, comme s’ils n’étaient, au fond, qu’une statistique électorale.
Pourtant, Le mouvement étudiant n’est pas issu d’une lubie anarchiste ou d’un sentiment de révolte primaire. Certes, il n’est pas non plus parfait. Il présente parfois certaines lacunes argumentatives, il arrondit parfois les coins à son avantage, dans un excès de transport. Il a ses ramifications questionnables et ses dissidences. Mais il a cette volonté de perfectibilité et d’élévation intellectuelle qui le rendent fort et, surtout, non négligeable.
Il a également ceci d’enviable qu’il a combattu avec acharnement le cynisme en ses propres rangs (vous m’en croirez!) afin de favoriser la discussion interne. Il a su diversifier ses tactiques pour interpeller un plus grand nombre de gens et encourager l’implication multidisciplinaire. D’un groupe majoritairement apathique, réticent et atomisé, il a su former une masse unie, militante et axée sur la réflexion.
Il ne s’agit pas simplement de prendre position pour ou contre la hausse des droits de scolarité, puis de se battre en conséquence. Il s’agit de porter la voix d’une génération qui refuse la tangente qu’emprunte actuellement la société québécoise.
Ce sont des milliers d’étudiants qui réclament aujourd’hui le droit de choisir le Québec qu’ils porteront sur leurs épaules, dans quelques années. Ils sont à la fois tributaires des décisions prises aujourd’hui et responsables de jeter les bases de celles de demain. Il faut donc que ces décisions leur ressemblent!
Malheureusement, le gouvernement n’a pour réponse aux instances des étudiants qu’un tissu de bonnes formules scrupuleusement pré établies.
Qui plus est, en refusant d’établir un dialogue sérieux avec les étudiants, le gouvernement ne leur laisse qu’une vacuité discursive absurde comme écho à leurs revendications. Cet espace inerte est alors repris et meublé par les harangues démagogiques de quelques amuseurs publics qui n’ont rien à voir avec le débat. L’argumentaire étudiant est alors méprisé et tiré vers les tréfonds de la rhétorique par quelques bouffons malintentionnés en mal de faire la leçon. Et au final, personne n’en sort gagnant.
On brandit aux étudiants indignés un doigt d’honneur flanqué d’un grand sourire narquois. « Regardez-nous mener à bon port ce grand navire néo libéral, en vous laissant sur le quai, sans scrupule ».
Si les étudiants ne représentent pas une majorité absolue au sein de l’électorat québécois, tout gouvernement se doit de prendre en considération la grogne de son peuple. Il ne saurait se contenter de satisfaire uniquement les désidératas de ses électeurs types.
En refusant de négocier avec les étudiants sous prétexte que leur voix ne pèse pas lourd dans la balance du Québec, le gouvernement traite ses citoyens exactement comme il le fait avec l’éducation et le savoir : comme une marchandise.