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Mourir dans le placard

Par
Catherine Ethier
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Mourir en tombant de sa chaise, c’est bête. Mais mourir sans que personne ne sache qui t’as vraiment – VRAIMENT – été, même si c’est en sauvant des choléreux, une jument et Suzie Frisette des flammes de l’Apocalypse, ça n’a aucun sens.

Comme plusieurs d’entre vous, j’ai découvert Humans of New-York il y a quelques temps. Chaque jour, entre deux photos de gens qui ont diablement plus le don de s’organiser des vacances jazzées que moi – j’ai passé cinq heures à faire du ménage en prévision de la venue d’un évaluateur de la ville dans mon bloc pour, au final, avoir la visite éclair d’une dame aux paupières mi-closes qui a pris une photo approximative de ma cuisine et de ma salle de bain (où j’avais délicatement oublié de ramasser mes grand’ bobettes saumon de la veille, bien trop pressée de faire shiner ma table d’entrée) pour quitter douze secondes plus tard. Douze secondes de fonctionnariat assidu versus cinq heures d’angoisse de type « je me demande si l’inspecteur va trouver ça laitte, ici. Je devrais peut-être déplacer ma jarre à biscuits ».

Ciel. Je viens de m’écarter rare. Reprenons.

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Chaque jour, entre deux photos de gens qui ont diablement plus le don de s’organiser des vacances jazzées que moi, un formidable portrait de New-Yorkais est publié dans mon fil de nouvelles Facebook, accompagné d’une anecdote. Un pet sauce. Un vol de banque à la Micheline Lanctôt. Ou la plus triste des morts, comme la racontait ce quadragénaire qui, à première vue, passe haut la main sous le radar de la tragédie.

Fin vingtaine, ce New-Norkais a rencontré l’amour. Le grand. Celui qui se promène aux alentours dans des habits trop grands pour lui (avec des harmonies de Michel Rivard). Il s’était épris d’un jeune homme qui, comme lui, vivait dans le placard depuis vingt-cinq ans. Un placard de cèdre, ben épais et bâti à l’équerre, à l’abri des mites et des regards désapprobateurs de familles bien coiffées qui préfèrent bruncher en silence plutôt que d’aborder l’essentiel. Un plan angus: la robe de mariée de leur amour y serait conservée comme neuve.

Mais comme ces messieurs ne célébraient leur orientation sexuelle que depuis peu, leur relation prenait parfois des airs de théâtre d’été, où portes étaient claquées et membres du public, debout sur leur tabourette, commentaient goulûment l’action en hurlant « Est’ effrayante! », petit poing brandi. Ils étaient jeunes. Et ils s’aimaient comme Pete et Lola.

Des adolescents inexpérimentés dans des corps d’adultes timides qui se donnaient enfin la chance de vivre, comme quand tu réussis enfin à attraper la cenne noire dans le creux et que tu remontes à la surface de l’eau pour prendre le respire d’entre tous les respires, poumons fleuris, victorieux et surtout plus riche d’une cenne.

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Un jour, une de leurs fréquentes querelles éclata. Friands de tragédies grecques et de retrouvailles trempées dans le sirop, ils se bagarraient régulièrement pour un oui, un non ou une couette qui retrousse. Ils se quittaient alors dans la plus haute crédibilité, le temps de kicker quelques garnottes en se maudissant l’un l’autre, pour se reconquérir une semaine plus tard, les bras chargés de renoncules et de biscuits au beurre de pinotte.

Mais cette fois, la pause prenait une envergure étrange. Et le silence, aussi. Pas de nouvelles. Une semaine, deux semaines, trois mois. Rien. L’homme de la photo croyait bien ne jamais revoir l’amour de sa vie.

Et il avait raison en mille.
Pendant leur petit break, son amoureux s’était payé une petite attaque. Vous savez, le genre qui fait lever les pattes. Vlan. Une fraction de seconde, puis la mort. Quelque chose d’efficace.

Le truc, c’est que comme son petit chum vivait dans le placard et que personne, pas la moindre mouette, n’était au courant de l’existence de son conjoint de fait et de leur formidable histoire d’amour, eh bien personne n’a pu prévenir l’homme de la photo.

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Pendant qu’il attendait le retour de son amoureux, transi sous la couette et petits yeux en forme de cœur, ledit amoureux se faisait, quelque part, dessiner la ligne de sourcil par un embaumeur qui ne connaissait pas, lui, son film préféré. Ni ce qu’il préférait sur ses toasts ou sa peur panique des concombres de mer.

Ce n’est que quatre mois plus tard que l’homme de la photo découvrit que son chum était décédé.
Quatre mois. Par hasard.

Aux yeux de la famille éplorée, c’est un fils, un frère, un ami – qu’importe – un bon petit gars hétéro qui venait de perdre tragiquement la vie. Par peur de déplaire ou de ternir l’armoirie familiale, le jeune homme avait (ou n’avait peut-être pas tant) choisi de taire qui il était vraiment pour ne pas froisser le lin des palazzos de la caste. Peut-être ne voulait-il pas faire pleurer mamie ou se voir refuser l’accès au réveillon du 25, on ne le saura jamais. Mais une petite voix lui avait chuchoté que, pour le bien de tous, il serait plus doux de faire comme ci.

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Personne ne connut jamais l’existence de l’homme de la photo, ni du bonheur qu’ils avaient à se tirailler, à manger des grilled cheese et à sacrer leur camp de la ville en tandem sur un nowhere en écoutant du Veronic Dicaire.

Tout comme leur histoire, l’homme de la photo a vécu son deuil dans le placard, terré entre les manteaux de fourrure pendant que ça jasait au salon. Pas de funérailles, pas de rires nerveux près d’un plateau de sandwiches pas de croûte ni de réconfortante étreinte, la face dans une couronne d’œillets jaune pâle.

C’est, et de loin, l’histoire la plus triste que j’ai lue.

Comment peut-on connaître si peu quelqu’un? Comment peut-on vider son appartement sans, en triant post-its et photos sur le frigidaire, être effleuré par la plus timide des perspectives que le gars qui vient de mourir, ton gars, en l’occurence, avait quelqu’un dans sa vie? Quelqu’un qui aurait certes détonné à ta partie de golf, mais quelqu’un qui avait cette qualité de rendre ton fils, ton frère ou ton neveu heureux comme une petite mère rouge. C’est pas rien, ça.

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Le disparu n’aura certes pas eu conscience d’être parti sans que personne ne connaisse sa véritable essence. C’est là bien mince consolation.

Mourir sans qu’on sache qui je suis dans le fond de mes shorts, je serais inconsolable (surtout morte, mais inconsolable. Et peut-être gênée qu’on parle du fond de mes shorts). Vivre dans les mêmes circonstances, c’est pas ben ben mieux, me direz-vous.

Mais disparaître sans qu’on sache que mon chum de gars est la personne qui m’a rendue le plus heureuse dans les semaines qui ont précédé ma burlesque révérence, c’est une tragédie.

Si je tombais de ma chaise et me fracassais le crâne, cet après-midi (c’est que j’ai des plans de week-end exquis), que saurait-on de moi, au juste? Ben pas tant de choses que ça, que je me rends compte à l’instant. Pas tant.

Bon. Y’a peut-être un fonctionnaire, quelque part, qui sait désormais que je laisse parfois traîner mes culottes saumon taille haute sur le plancher de ma salle de bain dûment évaluée, mais je suis peut-être mûre pour une petite toast avec ma mère.

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Qu’elle connaisse le nom du dernier garçon qui m’a écorché le cœur est soudainement devenu pas pire important. L’ÉTCHEURANT.

La bise.