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« Montréal est une ville trippante, mais elle ferme à 3 h du matin, ce n’est pas une vraie destination de nuit », déplore un intervenant. Quiconque à déjà expérimenté certaines nuits alternatives, de Berlin à São Paulo, partage secrètement ce malaise, conscient que notre petite métropole se targue pourtant de se mesurer aux grandes capitales noctambules.
À l’aube des festivités qui se tiendront à la SAT au cours de la fin de semaine, où Montréal pourra fêter sur plus de 24h consécutives – une première au pays –, l’organisation derrière cette initiative, MTL 24/24, revendique un vent de changement et d’espoir fort bienvenu.
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En marge de la piste de danse, l’organisation a mis sur pied un sommet s’étalant sur deux jours pour diffuser des visions communes autour d’une nuit riche et viable. Conférences, ateliers et tables rondes donnent la parole à des intervenant.e.s des quatre coins du globe – Pays-Bas, Italie, Allemagne, Irlande, Lituanie, Ukraine, États-Unis –, rassemblé.e.s pour témoigner de leurs expériences concrètes sur la vie nocturne.
Présenté au Monument-National, situé au cœur de l’ancien Red Light, le sommet propose d’entendre la vision d’activistes, d’économistes, d’urbanistes, d’historien.ne.s, de chercheur.euse.s comme de DJ, tou.te.s réuni.e.s autour d’une volonté commune de légitimer l’activité culturelle une fois le soleil couché. Une prise de position sérieuse, documentée, au militantisme réfléchi. Les enjeux y sont multiples : culturels, politiques, urbanistiques, sécuritaires, et surtout, d’identité.
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Yuani Fragata, président de Point Ligne Plan, un cabinet de conseil stratégique, vient livrer les conclusions d’une étude se penchant sur les impacts économiques de la vie nocturne ici comme ailleurs.
À titre d’exemple, il soutient que les retombées financières des boîtes de nuit à Montréal en 2019 affichaient 56 millions $, tandis que celles de Berlin, une ville du double de sa taille, sont de quatre à cinq fois supérieures. À Montréal, 22 % de visiteurs et visiteuses profitent de la nuit, alors qu’Amsterdam comptabilise 31 % et Berlin, 34 %. Le retard est évident.
Pour articuler un réel changement, la volonté politique est essentielle. Il faut positionner la ville sur l’échiquier international en exploitant son territoire avec plus de latitude, tant par ses heures de fermeture qu’au sein des zones industrielles et fluviales. Oser occuper des lieux inusités.
Yuani Fragata appuie ses propos par les cas de Malmö, en Suède, ou d’Austin, au Texas, où il existe des zones culturelles sonores. De Lisbonne, ayant réussi à mettre en œuvre une gestion efficace des nuisances, et l’exemple de Hackney, un borough de Londres où réside des adresses 24h. « Le taux de bénéfices engendrés par rapport aux coûts municipaux démontre un ratio profitable de 2,85 livres pour chaque livre investi. On a cherché et cherché et on n’a trouvé aucune ville où le ratio était négatif », des données appuyant la vitalité économique d’une nuit alternative.
Si les chiffres sont l à.
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Mirik Milan suit au micro, lui qui fut maire de la nuit d’Amsterdam de 2012 à 2018 et membre du comité décisionnel prodiguant les permis 24h au début de son mandat. Il mentionne d’emblée que ce ne fut pas un processus facile, et ce, même si Amsterdam est une ville culturellement plus flexible que Montréal. Il souligne la chance d’avoir travaillé de pair avec un maire progressiste, guidé par une vision avant-gardiste et à l’écoute de projets innovants. Il réitère l’importance de bâtir sur la réputation à l’international et la crédibilité d’une métropole par le biais de sa nuit.
Le projet a permis la décentralisation de l’offrande nocturne d’Amsterdam et de son centre-ville surpeuplé. Les espaces multidisciplinaires à vocation culturelle, ouverts 24h/24, ont aidé au développement de quartiers excentrés tout en réduisant leur insécurité.
Il rappelle qu’un volet d’éducation fut toutefois nécessaire à l’acceptation des nouvelles mesures. Son rôle était d’établir un pont entre les institutions municipales, les opérateurs de permis et les résident.e.s, en favorisant une approche de médiation plutôt que punitive.
Mirik Milan décortique son expérience, qui comporte aussi sa part de ratés, mais qui semble aujourd’hui unanimement saluée autant par les autorités que les habitant.e.s et les touristes de la capitale néerlandaise.
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Je profite de la pause du midi pour m’entretenir avec Yuani et mieux saisir l’implantation de telles mesures à Montréal.
« Du côté de la Ville, je sens un engagement sincère de la mairesse Valérie Plante et de Luc Rabouin, qui porte le dossier », rappelant au passage le programme de 1,4 million de dollars consacré à l’insonorisation des salles de spectacle indépendantes. Un enjeu de cohabitation délicat à Montréal : rappelons-nous du sombre chapitre de la salle de spectacle La Tulipe.
« On s’indigne encore un peu trop, critique-t-il. Il faut accepter qu’il y a plusieurs modes de vie et que les oiseaux de nuit font partie du paysage sans être des drogués ou des vandales. La question que je poserais aux Montréalaises et Montréalais serait : est-ce qu’on a envie d’attirer et de retenir les artistes ou est-ce qu’on veut devenir de plus en plus beige et faire perdurer l’exode créatif? »
« On vit encore sous l’héritage du maire Drapeau, qui luttait contre la nuit avec son escouade de moralité. Nous sommes figés dans un contexte archaïque qui nous menotte, qui nous empêche de briller », s’indigne-t-il, rappelant le décalage entre notre imaginaire festif et les autres villes qui profitent concrètement de plus de liberté.
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Un obstacle supplémentaire à Montréal est le zonage des parcs industriels. « Pour s’y installer, il faut des études de permis qui coûtent une fortune. Un projet à vocation culturelle n’a pas les poches assez profondes comparativement à des promoteurs immobiliers. L’Allemagne a pourtant réussi à installer des boîtes devenues mythiques dans d’anciennes usines. Ça aiderait énormément à donner une personnalité à notre nuit. »
Lors de l’étude que Yuani Fragata a mené sur le terrain avec son équipe, les propriétaires de boîtes de nuit lui ont souligné que plus de la moitié de leur clientèle est touristique. « Les clubs ont une grande attractivité. Il faut en profiter et diversifier notre offre par rapport aux autres villes nord-américaines », conclut-il.
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Fondateur de MTL 24/24, Mathieu Grondin anime l’événement et milite pour la cause depuis maintenant cinq ans. Je lui demande ce qu’il aimerait que les Montréalaises et Montréalais retiennent de ce week-end. « Que la nuit est un sujet de discussion qui mérite notre attention et des politiques adaptées, répond-il. La nuit ne fonctionne pas comme le jour. Ces deux journées de conférences sont là pour le démontrer. Mais aussi, que les noctambules veulent être entendus, changer les choses, et se mobilisent pour la cause. »
« Pour Montréal, je vois une ville où il est possible de se promener en transport collectif, à toute heure du jour ou de la nuit. Où on a accès à des activités culturelles et innovantes. Je vois bien sûr des lieux ouverts toute la nuit et notre patrimoine industriel revalorisé par la culture comme on le fait en Europe. Si on réussit à implanter un changement au cours des cinq prochaines années, je crois que des gens prendraient l’avion pour venir expérimenter ce edge que Montréal peut personnifier. »
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« Ce n’est pas la culture qui est déficiente, c’est le cadre législatif », rappelle quant à lui Yuani.
La mise en action d’un territoire nocturne repose d’abord sur sa vitalité économique, mais vise à l’enrichissement d’une vie citadine. C’est bien plus que taxer les raves, mais des bénéfices culturels pour la ville d’aujourd’hui et de demain, pour son émancipation et pour être en phase avec les us et coutumes d’un contexte mondial.
Pour faire évoluer les choses à Montréal et attirer autant le talent que la faune nocturne, nombreux seront les défis, mais l’horizon semble plus rayonnant que jamais.
Une autre nuit est possible, cette fin de semaine en est le premier exemple.