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Mongrain dans vos oreilles

Le vétéran animateur se lance dans la baladodiffusion. 

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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« Allô, il y a une personne qui a RDV pour photo et interview mais il ne sait pas avec qui, il s’appelle Jean-Luc Mongrain », écrivait candidement ma collègue Amélie dans Slack mercredi matin.

Le message a évidemment bien fait rire tout le monde au bureau, même si on ne peut pas reprocher à notre adorable consoeur (qui a passé l’essentiel de sa vie en France) de n’avoir aucune idée de l’identité de ce menu homme proprement vêtu et au regard pénétrant devant elle à la réception d’URBANIA.

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Le vétéran journaliste et animateur est venu me parler de Mongrain en balado, une série de neuf entretiens en profondeur avec des personnalités politiques, d’affaires et artistiques qui vient tout juste d’être lancée.

Il lance le bal avec Gabriel Nadeau-Dubois, une rencontre riche en confidences de toutes sortes, où le politicien à l’aube de la paternité nous apparaît sous un jour plus intimiste.

Une aura de mystère enveloppe les huit autres invité.e.s des capsules, déjà enregistrées dans les locaux de Zú Montréal, incubateur pour start up spécialisé dans le secteur du divertissement fondé par Guy Laliberté.

Pourquoi ces cachotteries au juste? « C’est une stratégie mise de l’avant par Delphine (Poux, l’instigatrice du projet). Ça permet une souplesse dans la mise en ligne des épisodes en fonction de l’actualité », explique Jean-Luc Mongrain, qui ajoute à 70 ans une nouvelle corde à son arc, après presque un demi-siècle de carrière.

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Celui qui s’est fait connaître du grand public par ses entrevues « de fond » de 22 minutes à L’heure Juste (1986-1993 à TVA) s’offre un tout nouveau terrain de jeu, où il pourrait étirer ses entretiens entre 45 et 75 minutes, un luxe que la télévision formatée ne lui permettait pas.

En quelques semaines à peine, la page Facebook de Jean-Luc Mongrain cumule plus de 100 000 abonnés, de quoi faire saliver bien des médias.

Toute cette aventure commence au début de la pandémie, lorsque son fils Marc-Étienne (le photographe également connu sous le nom Le Petit Russe) l’encourage à ouvrir un compte Facebook. « J’avais pas d’intérêt pour les réseaux sociaux », admet l’animateur, agacé par ce réflexe (voire cet opportunisme, avance même M. Mongrain) des médias traditionnels à se tourner sans cesse vers ces plateformes pour ratisser plus large.

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Toujours est-il qu’en quelques semaines à peine, la page Facebook de Jean-Luc Mongrain cumule plus de 100 000 abonnés, de quoi faire saliver bien des médias. Devant un tel succès, le 98,5 lui confie justement le micro de Bernard Drainville durant deux étés.

Sur sa page Facebook, il commente l’actualité à chaud en nous regardant dans le blanc des yeux, avec le franc-parler qu’on lui connait. Les gens sont au rendez-vous et certaines publications sont partagées des centaines, voire des milliers de fois.

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Des chiffres qui ne disent absolument rien au principal intéressé. « C’est beaucoup ça? », demande M. Mongrain, qui ne lit jamais les commentaires et a été surpris par la bêtise et l’acharnement des gens qui lancent des attaques virtuelles dissimulées derrière leur clavier. C’est son fils qui jouait alors les modérateurs, un rôle qu’il ne n’assure plus, puisque M. Mongrain a depuis décidé de délaisser un peu sa page FB pour se concentrer sur son balado.

C’est Delphine Poux et sa boîte mur•mur média qui l’approche pour lui proposer ce nouveau carré de sable. M. Mongrain y va d’une analogie alpine pour expliquer comment il s’est intégré à ce nouveau médium. « Je suis un skieur depuis tout le temps, mais si tu m’enlèves mes skis et me donnes une planche à neige, je vais avoir besoin d’adaptation, même si c’est la même pente », illustre-t-il.

L’intervieweur chevronné s’acclimate rapidement, séduit par la souplesse du médium (qu’il tourne à l’audio et aussi en vidéo, mais de manière très minimaliste). Une souplesse pour la durée des échanges, mais aussi pour la diffusion et l’auditoire, qui l’écoute d’ailleurs probablement en train de faire son jogging ou sur son cellulaire, avachi quelque part. « Je viens d’un monde formaté basé sur des rendez-vous. Tu n’as pas un feedback direct comme des cotes d’écoute avec les médias traditionnels. Là, l’auditeur est son propre directeur des programmes, il fait sa grille lui-même et t’écoute quand il le souhaite », constate M. Mongrain, qui n’a pas hésité à se lancer dans l’aventure.

Et il ne regrette rien.

«on ne s’intéresse pas à ce que les gens font, mais plutôt à qui ils sont»

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Dans ses entrevues fleuves, il tire un maximum de jus de ces invité.e.s, se tenant à une bonne distance des polémiques et scandales dont les médias raffolent d’ordinaire. « Le principe général qui m’a titillé est qu’on ne s’intéresse pas à ce que les gens font, mais plutôt à qui ils sont », résume M. Mongrain, convaincu que c’est la meilleure façon de connaître les gens.

Il en fait l’éloquente démonstration avec son premier invité Gabriel Nadeau-Dubois, une personnalité ultra-médiatisée sur qui on apprend néanmoins une foule de choses intéressantes. L’urgence de prendre de front la crise climatique, son rôle de père, ses dix ans passés dans l’œil du public, son amour de Tintin et l’importance de construire des ponts entre les générations pour sortir son parti Québec solidaire d’une forme de marginalité.

« J’ai repensé à toutes les fois, dans mes innombrables discours, où j’ai parlé d’avenir, l’avenir du Québec, de la planète. Là, l’avenir a un visage, un nom, je vais le tenir dans mes bras, l’avenir. Ça va être quelque chose de beaucoup plus concret, vivant, moins intellectuel et ça va donner une nouvelle profondeur à mon engagement social », confie notamment l’ancien leader étudiant lors d’un dialogue aux antipodes du hot seat, qu’on ne pourrait pas non plus qualifier de complaisant.

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Jean-Luc Mongrain n’élude pas les questions difficiles, revient sur des pans plus sombres du parcours de son invité (les tensions au sein du mouvement étudiant, etc.) et on ne voit pas les 53 minutes passer. « Les gens ont aujourd’hui 140 caractères pour se faire une opinion. Je sors de cette tendance en prenant le temps de prendre le temps, pour que l’idée se manifeste », résume M. Mongrain avec le verbe et la gestuelle qu’on lui connaît.

Toutes les personnes qui se sont assises devant lui ont d’ailleurs salué ce luxe de prendre le temps, à une époque où malgré une pléthore de tribunes possibles, la punchline et les citations parfois hors contextes se frayent un chemin aux bulletins de nouvelles.

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Pour l’heure, son projet débute et il attend de voir la réception avant d’envisager la suite, une deuxième saison par exemple. Sauf une collaboration avec Hydro-Québec qui propulse les capsules, il ne génère aucun revenu non plus avec ce balado pour l’instant.

Rien pour l’empêcher d’avoir recruté des invité.e.s de prestige, dont il garde jalousement l’identité secrète. Un fantasme d’invité.e inassouvi? « J’aimerais beaucoup avoir en entrevue Guy Laliberté, mais je ne dis pas que je cours après non plus », répond-il.

Passionné des médias en général, il observe avec un pas de recul la pression incroyable qui pèse actuellement sur l’industrie. L’obsession de rajeunir son public le fait d’ailleurs un peu sourciller. « Les médias se cherchent et pensent qu’ils vont ramener un auditoire plus jeune qui n’est déjà plus là. Et quand ils proposent des choses pour aller chercher des plus jeunes, ils risquent de perdre leur clientèle traditionnelle », analyse M. Mongrain.

«Le bon Dieu nous a fait avec deux oreilles et une bouche, il faut donc écouter plus qu’on parle»

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Pour produire ses balados, le populaire animateur est resté fidèle à son style, ce qui implique de ne pas trop se préparer pour se laisser guider par l’entrevue. « Je ne pars pas avec une idée arrêtée sur l’individu et je n’ai pas d’objectif. Le bon Dieu nous a fait avec deux oreilles et une bouche, il faut donc écouter plus qu’on parle », raconte cet ancien étudiant en théologie, qui a débuté sa carrière dans une station de radio de Sherbrooke au début des années 70.

Près de 50 ans plus tard, Jean-Luc Mongrain n’a donc rien à vendre, sinon de longues conversations apaisantes, une rareté dans le bruit médiatique ambiant.

Et après? M. Mongrain verra. Il ne pense pas retourner à la radio l’été prochain, puisqu’il a hâte de recommencer à voyager. Il se promet de ne jamais attendre le jour où un employeur le rencontrera dans son bureau pour lui tendre une montre en lui disant bye bye. « Je ne suis pas un yogourt avec une date de péremption », illustre le vétéran.

«Honnêtement, j’ai été gâté, parce que ce qui est le plus important, c’est le public et il est toujours là»

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De toute façon, Jean-Luc Mongrain a encore des choses à dire. La pandémie lui a permis de réaliser à quel point la société est polarisée, compartimentée même, avec les jeunes d’un côté et les vieux qu’on laisse mourir dans des CHSLD de l’autre. « On est un petit peuple en Amérique, mais chacun est réduit à sa propre situation. On a oublié c’est quoi être un citoyen, avec une obligation de compassion, d’entraide et de collégialité. On a perdu le sens de l’argumentaire », philosophe Jean-Luc Mongrain, un homme d’une humilité désarmante, au point d’insister pour me raconter off the record quelques bons coups d’antan.

Ce défricheur jadis moustachu qui a révolutionné la façon de présenter l’information aurait pourtant les moyens de se péter les bretelles. « Honnêtement, j’ai été gâté, parce que ce qui est le plus important, c’est le public et il est toujours là », s’émerveille Jean-Luc Mongrain, aujourd’hui grand-père, qui a fait du chemin depuis sa naissance dans le quartier Villeray à Montréal, au troisième étage d’un immeuble situé au coin Jarry et Saint-Hubert. « Il ne faut jamais oublier d’où on vient », laisse tomber M. Mongrain en remettant son manteau.

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Avant de quitter le bureau, il salue chaleureusement Amélie, qui a profité de l’entrevue pour visionner quelques classiques du légendaire intervieweur envoyés par des collègues dans l’intervalle.

Mongrain en balado est disponible sur jeanlucmongrain.ca, YouTube, Spotify, Apple et BaladoQuébec.