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Mon père et la (maudite) construction

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Mon père travaille dans la construction depuis presque quarante ans. Aujourd’hui, il est à la tête de sa propre compagnie. Une quand même pas pire grosse compagnie.

Quand j’étais enfant, la fin de semaine, il me traînait sur les chantiers. Il m’arrivait souvent de l’attendre pendant de longues heures dans son gros pick-up GM, qui sentait mauvais le café Tim Horton’s et les butchs de cigarette. Le dimanche, il nous amenait au marché aux puces de Carignan. Là, il magasinait les outils. Des tournevis, des poulies, des vise-grips, des niveaux… encore des vise-grips. Je détestais ça.

Adolescente, j’ai commencé à travailler à son bureau. L’été, j’étais réceptionniste. Ça été mon premier vrai contact avec le milieu de la construction. C’est rough la construction. Ça crie, ça se chante des bêtises, ça s’habille en chienne, ça a les ongles noirs, ça se met dehors, ça se réembauche, ça se met encore, ça s’appelle 15 fois par jour pour dire «tabarnac, quand est-ce que tu vas me payer, toé, criss?».

J’ai toughé un été.

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Mon père, lui, a passé toute sa vie dans le milieu de la construction. A passé toute sa vie à se lever à 3h30 du matin et revenir brûlé, le soir à 18h. À dealer avec des syndicats pas toujours nets, à gueuler à en perdre haleine pour se faire payer par ses clients, à montrer les poings pour faire valoir ses points auprès de ses employés, à cotoyer les hommes d’affaires qui font aujourd’hui les manchettes.

À respecter les règles du jeu.

***
Ce matin, je suis allée voir mon père.

Il est à l’hôpital. Il est malade.

Pour tout dire, je ne l’avais jamais vu dans cet état. Ses yeux étaient cernés. Il avait perdu beaucoup de poids. Celui que j’avais toujours vu fort et combatif, était rendu faible, chétif. En le regardant branché sur le soluté, en l’écoutant me dire qu’il avait passé sa journée à signer des chèques dans son lit, j’ai eu la triste impression que la construction avait finalement eu raison de lui. Qu’elle l’avait vidé de toute son énergie.

Et que, comme elle, il avait finit par craquer, à force d’avoir trop accumulé.

***

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Je ne sais pas s’il va y avoir une vraie enquête dans le milieu de la construction, un de ses jours. À vrai dire, je ne crois pas. Pour la simple et bonne raison que tout le monde est impliqué de près ou de loin dans le scandale. Tout le monde a les mains sales. Pas le choix, c’est la seule façon de survivre.

Mais quand je vois mon père allongé sur un lit d’hôpital, je me dis qu’il est temps que les choses changent dans cette industrie.

Elle est crissement malade.

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