.jpg)
Je dirais que je suis quand même proche de mes grands-parents. Malgré la distance, on a toujours maintenu une solide relation. Ils ont travaillé tellement fort pour nous donner un esprit de famille et maintenir les traditions qui leurs sont chères. C’est la moindre des choses que d’aller les visiter lors d’occasions significatives.
Lorsque plusieurs personnes de la génération des boomers se réunissent, il se développe parfois un phénomène particulier. Sans avertissement aucun, ils se mettent à tisser un genre de toile social, mais oralement. Ça ressemble un peu à ça:
Yvette : Mme Berthiaume est nouvellement grand-mère, son deuxième petit-fils.
Roland : Ah ouin! Sa fille Nancy? Celle qui est marié à un petit Paquin?
Yvette : Nonon, pas Nancy, Chantale, elle habite dans le 7ème rang, pas loin de la cabane à sucre de mononcle René
Roland : Ah ok, oui la caissière du Provigo accoté avec un Laurin. Ces Laurin-là, c’est pas cousin avec les Paquette?
Yvette : Ben oui, c’est vrai, c’est du côté d’Armande Paquette, la sœur de Méo Paquette un des grands chum à pépère, y jouait de la guitare aux noces à Armande.
(…)
*Les noms sont fictifs (ou pas)
Cette conversation pourrait être éternelle. Ceux qui ont été témoin de quelque chose de semblable savent très bien de quoi je parle. On reste un peu sans mot devant cet exercice de mémoire qui n’implique seulement que ceux qui peuvent y participer. Plus ils sont nombreux, plus les échanges sont variés et nourris.
J’en parle parce que je me souviens que c’est précisément pendant l’une de ces conversations, alors que mon esprit était un peu ailleurs, que ma grand-mère a évoqué le cancer de mon grand-père pour la première fois devant moi.
«Grand-Pa a eu le cancer?» Je me suis tourné vers lui avec des points d’interrogation à la place des yeux. Dans ma tête ça sonnait plutôt comme un immense «QUOI?!» mais je me suis contenu. Il me répond qu’effectivement, il y a 3 ans, on l’avait soigné pour un cancer de la prostate et qu’il était en rémission totale depuis ce temps-là. S’il avait été de ma génération, il m’aurait dit que tout était chill. Il en parlait comme si ça avait été un léger rhume.
Dans ma tête ça sonnait un peu comme : « UN CANCER. Y’A 3 ANS. PIS PERSONNE ME L’A JAMAIS DIT. » (sic) Dans les faits, j’ai figé et juste encaissé l’information. J’avais mille questions. Mais je ne les ai pas posées, trop secoué par cette annonce qui n’en était pas une. Le temps m’a donné des réponses.
***
D’abord, il faut que je décrive un peu mon grand-père. Il a été cultivateur toute sa vie, il a toujours été plutôt dans l’action que dans la discussion. C’est un homme de peu de mots. Quand il parle par contre, ça a le mérite d’être pertinent. Comme beaucoup de sa génération, il est avare de détails sur lui-même et ne fait pas l’étalage ses sentiments. Animé par le travail, c’est un homme fier, généreux de sa personne, qui dégage une impression de force.
J’ai repensé souvent aux raisons pour lesquelles il a décidé de ne pas en parler à ses petits-enfants de sa maladie et je crois que sa première motivation était celle de nous épargner, ne pas nous inquiéter. Quand on parle de cancer, juste le mot fait peur. Comme dans plusieurs cas de cancer de la prostate, ses chances de rémission étaient bonnes. Il le savait et ne voulait pas faire trop de vagues. Mon grand-père préfère son fleuve tranquille.
Pour en avoir parlé avec lui récemment, il y a aussi quelques effets des traitements qu’il préférait garder pour lui à ce moment-là. Les difficultés érectiles, les effets sur sa sexualité, une potentielle infertilité, ce ne sont pas là des sujets que l’on aborde habituellement avec aisance. Encore moins avec ses enfants et ses petits-enfants. Disons que sa masculinité a pris un pas pire coup. Dans son silence, plusieurs devinaient les raisons de son isolement. Tous ont malgré tout respecté ses souhaits de ne pas en parler.
Il a reçu un traitement de curiethérapie, les médecins ont placé des implants radioactifs qui ont détruit la tumeur avec le temps. Pour un certain moment, on lui a recommandé de ne pas entrer en contact avec de jeunes enfants pour ne pas les exposer aux radiations. C’est tough être grand-père quand tu ne peux pas prendre tes petits enfants sur te genoux. Les examens et le traitement ont aussi causé des douleurs et des désagréments qu’il préférait ne pas partager. Sans être orgueilleux, je crois qu’il a choisi de ne pas dévoiler un côté de lui qui était plus vulnérable. Je ne peux que respecter sa décision de vouloir éviter certaines discussions.
En même temps, je me demande bien ce que j’aurais vraiment pu faire pour l’aider à ce moment-là. Il a déjà un bon réseau social et fait confiance au système de santé. Avec mes connaissances d’aujourd’hui, je lui aurais probablement recommandé les services d’un organisme comme PROCURE. On sous-estime parfois les bénéfices de partager notre situation avec des gens qui ont vécu une expérience semblable. Ça fait maintenant presque 8 ans qu’il a reçu son diagnostic. Il m’a reparlé de cette période de sa vie avec ouverture et sérénité. Résiliant indépendant, il est passé à travers cette épreuve à sa manière.
Le pragmatisme avec lequel mes grands-parents font face à la maladie me déconcerte. Ils voient un nombre grandissant de leurs amis et membres de leur famille partir tranquillement. Plus ça va, plus ils assistent à un grand nombre de salons mortuaires. «On célèbre leur vie, on rencontre du monde que ça fait longtemps qu’on a pas vu » ma grand-mère utilise le même ton lorsqu’elle parle de ses soirée de bowling. Je n’ai clairement pas encore saisi tout ce qui se cache derrière leur inébranlable quiétude.
Ça me confirme surtout que je suis fuck all prêt à recevoir un diagnostic de cancer.
***
PROCURE offre une ligne de soutien sans frais au 1 855-899-2873.