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Mon ex, je t’aime

Ça n'arrive qu'à moi

Par
Charles Beauchesne
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Je vais te l’adresser directement celui-là. Désolé tout le monde, on va avoir besoin d’un moment, allez lire un autre article. Je suis certain que quelque part sur internet Sophie Durocher est mécontente de l’air ambiant et va trouver le moyen de faire un parallèle vraiment malin sur l’immigration, ou encore qu’Éric Duhaime nous a concocté un autre succulent “Non, mais c’est-tu moi où (commentaire super passif-agressif plein de mauvaise foi)? Non, mais hein! Vous en pensez quoi, Québec de droite qui ne veut pas se poser de questions, juste être en tabarnak?”

Bon maintenant qu’on est seuls…

Ça fait longtemps que tu sais que je vais éventuellement le sortir ce billet. Désolé, j’ai tardé un peu, c’est difficile pour moi de faire le point sur du positivisme, trouver les mots justes pour illustrer quelque chose d’aussi extraterrestre. J’exagère, je suis un peu drama queen, qu’est-ce que tu veux les gens trouvent ça charmant chez moi faut croire… Bref, le fait est que je t’aime.

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Des fois il m’arrive de me dire que je n’ai jamais aimé quelqu’un comme ça. Je te rassure, pas plus que les autres gens que j’aime (ça serait un peu pitoyable, ça fait six ans qu’on est plus ensemble), juste d’une façon différente, curieuse… Les gens me font remarquer que je n’ai jamais aimé quelqu’un comme ça : “Charles, c’est quoi ta fixation pour cette fille-là? Tu ne parles pas comme ça de Frédégonde ou encore de Marie-Pizza.” Ok, j’ai un peu ambitionné sur les noms fictifs, mais tu vois mon point.

Parfois, il arrive même encore qu’on me mette en garde : “Attention Charles, cette fille-là t’a fait du mal…” Ça m’énerve, ça m’insulte un peu aussi en fait, c’est sous-entendre que la seule raison pour laquelle on se voit encore c’est que je suis amoureux de toi dans le secret depuis des années et que j’essaie de faire fonctionner quelque chose de brisé.

Absurde, on était brisés avant que ça commence toi et moi.

Prends-le pas mal, mais t’es une personne brisée, c’est correct. J’ai toujours naturellement gravité vers les personnes brisées, je suis brisé moi aussi (j’exagère, je me brise un peu tous les soirs avant de me coucher par exprès). J’ai besoin de quelque chose de brisé à aimer, un petit chaton duquel m’occuper, ça me fait oublier les idées noires, la solitude, l’angoisse sociale, le fait que les gens me font peur; ça me donne le sentiment d’être une bonne personne, j’essaie d’être la personne que je voudrais rencontrer.

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Les gens me terrifient, toi, ils te rendent dépendante. Tu as besoin du regard des autres, c’est ce qui te fait vivre, te procure de l’énergie, comme une plante, tu aimes par photosynthèse. D’une certaine façon, c’était logique qu’on s’aime. On était brisés avant de se connaitre, chacun “à la mode de chez nous”. Ensemble, on a essayé d’être quelque chose de complet, mais deux personnes brisées ne donnent jamais autre chose que des fragments grossiers, collés maladroitement pour créer un ensemble qui ne va pas tenir et tout le monde le sait. On n’a même pas été longtemps ensemble en plus. Quoi, quatre ou cinq mois? Relation ligne de coke : rapide, intense, fini. “Quoi? C’était juste ça? C’était pas aussi mongol que tout le monde le dit!”

J’ai été en criss pendant un an, indifférent l’année d’après, on a essayé de se revoir, j’ai cru que j’étais prêt, manifestement pas. Le Facebook de ton ex, ça devrait être considéré comme crime contre l’humanité par la convention de Genève. Quitte à abolir le gaz moutarde, est-ce qu’on pourrait se concentrer sur les albums photo de quelqu’un que tu as déjà aimé qui est passé à autre chose? Les premières photos sont coups de boule de billard dans une chaussette.

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— Ah ouais? En couple sur ta photo de profil? T’as pas fait ça quand c’était moi…

Et ensuite commence l’archéologie de l’angoisse…

— Comment ça a commencé cette affaire-là? Depuis combien de temps ça se voit ces gens-là? Ah oui? Des amis en commun avec cette merde! Pour qui il se prend cet enfoiré qui la rend heureuse!

J’ai foutu le camp, c’est la seule chose à faire en cas de “merde! j’ai encore des sentiments…”. Je me souviens même du texto que je t’ai envoyé :

“Je suis vraiment désolé, mais malheureusement on va devoir couper les ponts, sinon je vais passer ma vie à me poser des questions.”

Tu as eu l’air de ne pas tout à fait comprendre, un peu déçue même… Crois-moi, la dernière chose que tu veux dans la vie c’est être en couple et dealer avec un ex encore amoureux caché dans les buissons. Dit comme ça, c’est certain que ça sonne comme une putain d’évidence, mais j’en profite pour me le rappeler à moi-même également. J’ai une fâcheuse tendance à faire… EXACTEMENT ça.

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Des fois, il faut prendre le temps de vivre autre chose, tomber amoureux, mais surtout regretter des gens différents.

“Regretter des gens différents”, des fois je me surprends moi-même à quel point je réfléchis comme une toune de My Chemical Romance… Néanmoins, c’est exactement la raison pour laquelle on se voit encore aujourd’hui. Deux ans plus tard, hors de nulle part, j’allais pas, tu allais pas, on est bons pour pas aller, on s’est vu mutuellement pas aller, mais on a jamais pris le temps de ne pas aller ensemble par contre!

Surprise, on est bon pour se remonter le moral. On prend des décisions de cons toi et moi, mais quand vient le temps d’être mutuellement la voix de la sagesse de l’autre… Ça fonctionne étrangement. Tu me fais du bien, c’est pas forçant être ton ami, j’ai pas besoin de t’impressionner, t’as pas besoin de me cacher des trucs, pas de pointes, pas de rancune, on a rebooté notre relation en… possiblement l’amitié gars-fille la plus saine qui existe, et aujourd’hui encore je suis pas certain de comprendre pourquoi c’est avec toi que j’ai réussi à faire ça.

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Aujourd’hui encore les gens me demandent : “Vous avez baisé?”, “Tu vas la baiser?”, “Baiser! Nice!”… Je trouve ça vexant. Vexant qu’automatiquement les gens s’imaginent que la seule chose qui ramène deux ex ensemble c’est le sexe. On l’a fait ça, c’est fini, ça serait le plus imbécile des retours à la case départ.

Néanmoins…

Fut une époque où toi et moi on s’est aimé, je t’aime encore pour les mêmes raisons. T’es brillante, on déteste les mêmes choses, tu me fais rire… Crois-moi, il y a qu’une poignée de personnes qui me font rire dans l’univers (oui, oui, l’univers, je n’exclue pas la possibilité de rencontrer un jour un alien qui va particulièrement me faire m’esclaffer).

On est un beau duo, un horrible couple, mais une belle équipe.

On est un beau duo, un horrible couple, mais une belle équipe. C’est agréable jaser avec toi, on est tellement plein de jugement pour tout le monde tous les deux.

— J’ai couché avec un dude hier.

— Oui tu m’en avais parlé, ça avait l’air d’un type sympa.

— Finalement, y’était plate, je suis tannée…

— Hahaha quel imbécile, si seulement il savait!

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J’aime ça quand on est comme ça. J’aime ça écouter de la mauvaise télé avec toi, faire des pools de America’s Next Top Model, des psychanalyses à deux cents des participants à Un souper presque parfait… J’aime quand on prend une soirée pour cuisiner des recettes de Marilou, comme son asti de poulet au beurre “simple comme bonjour” qui prend huit heures et fout le bordel à la grandeur comme si des Irlandais étaient venus se battre dans mes armoires… Ou encore ses ingénieuses lasagnes roulées verticales.

Écoute, j’aurais jamais cru pouvoir avoir autant de fun à faire des pâtes de hipsters avec quelqu’un; ton exaspération silencieuse quand tu me regardes prendre une ère de glace à couper un oignon avec mes maudits couteaux à steak qui ne sont clairement pas conçus pour couper efficacement les légumes. D’ailleurs, merci encore pour le set de couteaux Starfrit, c’était une belle pensée à Noël; maintenant je t’émince des poitrines de poulet comme Gordon Ramsay s’il était un samouraï.

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(Hmmm note à moi-même : trouver un moyen de rentabiliser le concept du “samouraï Ramsay”.)

Bref, je t’aime. J’aime qui tu es, c’est tout.

Ça ne sera pas plus, il n’y aura pas de jalousie, pas de déclarations-surprises; je suis content que ça existe des gens comme nous. Je pense qu’on est une réussite, j’ai pas beaucoup de belles réussites comme ça… Étrange, non?

Première chronique foncièrement positive que j’écris, et c’est pour exprimer à quel point je suis content d’avoir raté une relation…