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Mon cynisme s’est avoué vaincu face à la péninsule gaspésienne

En direct du 36e Festival en chanson de Petite-Vallée

Par
Stéphane Morneau
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Quand URBANIA Musique a lancé l’appel pour un volontaire afin de faire le voyage vers le Festival en chanson de Petite-Vallée, j’ai instinctivement levé la main. Une pulsion, voire une intuition.

Un besoin de changer d’air et une curiosité se sont invités simultanément. Couvrir cette grande fête de la chanson française, là où le fleuve impose son charme et sa prestance avant de se fondre à l’océan, ça me semblait un remède idéal aux blues du quotidien, aux obligations et à la turbulence de la métropole.

Qui plus est, si un candidat d’Occupation double peut pousser la prétention jusqu’à s’afficher comme un journaliste gonzo à Bali, je peux certainement m’attribuer l’étiquette de journaliste musical et devenir, le temps de quelques refrains, le Thompson de la Gaspésie.

Cela dit, je n’étais pas en mesure de gérer mes attentes avant le départ. Il y aurait certainement de la musique, ça va de soi, et l’odeur du large n’est jamais très loin à l’autre bout du Québec. Mais pour le reste, j’avais – et j’ai encore – les pieds dans le vide.

Et ça fait du bien.

La vie et la carrière à une extrémité du fleuve, le cœur et la passion à l’autre.

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J’ai vite compris, à mon départ de Montréal, qu’on ne faisait pas les choses comme partout ailleurs à Petite-Vallée. Avant même d’avoir franchi le pont Jacques-Cartier, la passion contagieuse de notre chauffeur envahissait la fourgonnette pourtant remplie de journalistes blasés à différents degrés. Après tout, ce n’était qu’un petit jeudi de job comme les autres quand la poutine quotidienne est de pondre des mots. L’ordinaire, avec le bénéfice du recul, s’est aussi offert une pause quelque part sur la Rive-Sud de Montréal. Il n’était pas invité, tout simplement.

« Je suis allé à Petite-Vallée il y a quelques années », nous racontait notre chauffeur. « C’pas compliqué, je me suis barré les pieds dans le village et, depuis, mon cœur n’est jamais revenu à Montréal. »

Durant la longue route, j’ai compris ce qui allumait le brasier de notre bienveillant bénévole. Notre chauffeur, de la région de Montréal, est tombé en amour. Le lieu, tout d’abord, et puis une femme, souriante, aimante, de l’auberge du village. Un vieil adage ici se matérialise : qui prend femme, prend pays.

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Un amour qui, depuis quelques années, ne s’est pas érodé malgré la distance et la double résidence. La vie et la carrière à une extrémité du fleuve, le cœur et la passion à l’autre. C’est pourquoi il a fait la route avec nous et offrira son épaule à la roue à titre de bénévole lors du festival.

On pourrait penser qu’il s’agit d’un cas isolé, mais une fois de plus, mes suppositions s’avéraient fausses.

Une discussion avec un autre bénévole m’a vite fait comprendre que des irréductibles de l’extérieur de la région, il y en a beaucoup. Après tout, l’air salin et le vent du large ont quelque chose d’accrocheur, comme le cœur et les poumons d’une volonté de vivre paisiblement. Alors ces bénévoles reviennent se greffer aux quelque 200 âmes résidentes de l’anse, d’une année à l’autre, avec cette même générosité qui, on le comprend vite, devient le ciment de ce festival.

Parce qu’il faut un village pour élever un enfant et, à Petite-Vallée, il faut un village pour faire vivre un festival contagieux et réconfortant.

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Mais il n’y a pas que des histoires de passions paisibles à Petite-Vallée, surtout pas cette année.

En effet, le Théâtre de la Vieille Forge a été terrassé par les flammes l’automne dernier et, pour cette édition du Festival en chanson, il fallait se tourner vers un chapiteau temporaire sur le site de l’ancien théâtre qui, bousculé par le brasier, quittait avec ses souvenirs, son passé et une partie de son âme. Mais comme le fleuve abreuve les passions, les bénévoles et les festivaliers insufflent une vitalité indéniable à ce lieu qui, autre part, ne serait qu’une tente et des toilettes portatives.

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Petite-Vallée, devant cette perte et celle de l’auberge adjacente à ce théâtre, s’est tournée vers sa plus grande richesse pour mettre au monde cette 36e édition : les Gaspésiens et les Gaspésiennes. De plus, la ministre de la Culture, Marie Montpetit, ainsi que Pauline Marois, étaient fières de venir annoncer une contribution provinciale de plus de 6,5 millions de dollars afin d’implanter un nouveau théâtre.

D’UNE GÉNÉRATION À L’AUTRE

Pour nous accueillir, lors de la première soirée, l’organisation mettait de l’avant un projet qui anime la communauté et met en évidence l’importance de l’implication citoyenne dans cette grande aventure.

Une chorale de 300 enfants, la Petite école de la chanson, interprétait avec cœur quelques chansons des deux passeurs invités cette année : Louis-Jean Cormier et Marie-Pierre Arthur. Ça n’en prenait pas plus pour déstabiliser mon cynisme et mon habituel esprit critique.

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L’idée, à Petite-Vallée, n’est pas de plaire à la critique ou d’impressionner avec de grands déploiements techniques. C’est plutôt l’humanité de l’endroit qui absorbe la lumière des projecteurs et devant cette démonstration résolument inspirante et chaleureuse, difficile de ne pas y voir un terreau fertile pour la prochaine génération de passionnés de la musique qui, dans dix ou quinze ans, invitera le Québec à converger sur la route 132 pour chantonner des airs de notre puissante francophonie.

C’est d’ailleurs avec les joues brouillées par les larmes que Marie-Pierre Arthur, originaire du village voisin et partenaire Grande-Vallée, s’est adressée à la foule à la fin du spectacle. Des remerciements pour la foule, évidemment, mais aussi pour l’organisation de cette chorale qui, lors de ses années formatrices, a aiguillé la chanteuse vers ce métier qui lui offre un sourire paisible et satisfait quand elle pousse les notes sur les planches. Pour les jeunes de la péninsule, c’est la démonstration concrète qu’une activité familiale et communautaire comme la musique parascolaire peut se développer en quelque chose de plus grand, de plus beau, et qui n’est pas contraint par les frontières naturelles de la région – c’est-à-dire le fleuve d’un côté et des montagnes à perte de vue de l’autre.

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L’existence, entre ces deux puissances de la nature, devient verticale et c’est avec un regard riche en inspiration que ces jeunes observaient Marie-Pierre et Louis-Jean sur scène.

Pour clore la soirée, changement radical de registre alors qu’Hubert Lenoir et son band prenaient d’assauts les vestiges du Théâtre de la Vieille Forge. C’était, de son propre aveu, son premier spectacle à Petite-Vallée et le cinquième de sa tournée pour Darlène. Cette énergie, brute et juvénile, transporta vite la foule de festivaliers qui, même assise, se laissait entraîner par les mélodies sans réserve de l’astéroïde qu’est devenu le jeune chanteur en quelques mois seulement.

Le Théâtre de la Vieille Forge a été terrassé par les flammes l’automne dernier.

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C’était d’ailleurs beau de voir, ce mélange entre la jeunesse et des spectateurs retraités. On ne s’attendrait pas à voir une foule de 7 à 77 ans pour Hubert Lenoir à Montréal, par exemple. À Petite-Vallée, tout ce beau monde cohabite. Les envolées de Lenoir, brouillonnes et percutantes, marqueront certainement l’imaginaire des spectateurs d’une manière différente en raison de l’écart des générations. Dans ce cadre, la désinvolture de Lenoir devient le point d’ancrage d’une réflexion actuelle. Les jeunes peuvent et doivent faire ce que bon leur semble, et le passé, bien qu’utile, n’est pas le seul guide de l’avenir. C’était beau de voir une foule attentive à ce message qui, dans sa simplicité, résonne jusqu’aux fondations de notre mémoire collective. C’était aussi beau de voir le jeune Lenoir, dans sa rébellion orchestrée, se laisser charmer par l’indéniable humanité d’une foule ouverte et aimante. Malgré l’heure tardive, près de minuit après les dernières notes, les plus jeunes tenaient encore le rythme et les retraités applaudissaient généreusement des propos qui sont fort probablement loin de leur quotidien paisible, là où la vie est rythmée par la volonté des marées et les effluves des victuailles maritimes caractéristiques de la région.

Comme quoi la musique, rassembleuse, accorde les envies et les humeurs à un unique diapason, festif, qui enivre autant les musiciens que les festivaliers. Parce qu’après tout, il faut tout un village pour faire un festival.

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Bien joué, Petite-Vallée, tu as toute mon attention maintenant. Tu as trouvé une faille et je suis maintenant vulnérable. Comme le fleuve sur les rochers de la berge, tu as érodé une partie de ma façade.

Bien joué.