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Mon amie tout court

Par
Robin Aubert
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Ce texte est extrait du #32 spécial Lesbiennes | présentement en kiosque

On était autour de la machine à café. Robin Aubert nous a dit qu’il voulait collaborer au magazine. Gênés, on lui a répondu que notre prochain numéro portait sur les lesbiennes. il a quand même dit oui. Le lien entre Robin et notre thème? Pas grand-chose, à part cette histoire-là.

Mon amie lesbienne ne serait pas une fille comme les autres. Avec elle, je pourrais tout faire sans que les gens s’imaginent des trucs véniels. On parlerait des dilemmes qui nous cassent la tête et des hasards qui prennent parfois de drôles de tournures. Et autre chose aussi, comme l’espoir, les chevaux, et la maudite rue Crescent avec cette trâlée de Québécois de la Rive-Nord qui pratiquent leur anglais jusqu’à oublier le nom de leur mère. Elle me dirait que tout s’efface à petit feu, subtilement, à commencer par un mot, puis un autre. (Trâlée, expression québécoise qui vient du mot « trolley », qui veut dire en anglais « chariot »). Peu importe, j’aimerais avoir une amie lesbienne. Rien à voir avec l’idée épaisse de se faire à tout prix un BFF gai ou connaître quelqu’un qui habite une réserve autochtone parce que ça fait exotique. Je voudrais avoir une amie lesbienne, tout simplement.

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Parfois, on irait fumer le shisha aux pommes dans un salon de thé marocain. Je lui dirais que je suis aux prises avec un gros doute artistique. Elle me proposerait de partir quelques jours en voiture; de rouler au gré du vent, de mettre de la musique dans le tapis, de nous arrêter là où ça nous chante; de pisser face à face dans le fossé, de dormir sur mon épaule, de ne rien dire pendant que le macadam défile sans broncher.

On louerait une chambre dans un motel minable parce que c’est drôle de prendre des photos dans ce genre de lieu. On demanderait au vieux réceptionniste « un lit double seulement » parce que c’est moins chèrant. Mais aussi parce qu’il n’y a pas de désir entre les deux. Ce n’est pas tant qu’elle porte la coupe Longueuil ou qu’elle se laisse pousser de faux favoris avec des cheveux, non. Elle est même assez belle, mon amie lesbienne. Une femme avec du mordant, de l’allure, de sombres pensées et des images lumineuses pour ne pas trop faire freaker les imbéciles de Radio-Canada. Même que, lorsqu’elle relève ses cheveux pour montrer sa nuque, on a l’impression que le souffle nous saisit d’un malaise euphorique. Elle est belle, donc.

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Aussi belle que cette Allemande rencontrée jadis sur l’île d’Ibiza et dont je suis follement tombé amoureux. Sur la plage, la nuit tombée, les Rastaman jouaient du tam-tam en fumant des cônes gros comme des avant-bras. Elle me parlait d’un petit temple de fortune qu’un vieux yogi avait bâti dans la roche au bout de l’île. Un endroit magnifique pour méditer. Je suis allé la rejoindre. Lorsque je l’ai enfin retrouvée, elle me présenta son amoureuse. Tout devint limpide comme le désir. Et elle ne savait plus où se mettre la tête. Et je ne savais plus où me mettre le cœur. La copine de ma promise n’aidait en rien à tuer ce malaise. Elle me regardait avec des yeux de chien de faïence. De mon côté, je n’osais pas la contrarier. Elle avait une carrure imposante. Un mélange de Hulk Hogan et de Rosie O’Donnell. Bel et bien l’homme du couple. Je suis reparti, veule et piteux, un caillou au ventre.

Toutefois, mon amie lesbienne ne sortirait pas avec Hulk Hogan. Pour le moment, elle serait célibataire et fréquenterait quelques filles dont une hipster de NDG. Elle l’aime bien sa hipster, mon amie lesbienne. Même si ça lui prend un temps fou à s’accoutrer pour faire croire que rien n’est réfléchi. Une fois nue, par contre, elle est baisable ça a l’air. Mon amie lesbienne me raconterait tout ça dans un resto avant de m’expliquer pourquoi elle est « devenue lesbienne ». Je l’écouterais avec une envie étrange de rendre l’âme.

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Un soir, dans une ruelle, en sortant d’un bar rue Sainte-Catherine, un homme la suit, l’agresse et la viole. Un homme avec une forte odeur de gin dans la gorge. Il la laisse pour morte entre un chat meurtri et des ordures pestilentielles. Abasourdie, le corps lourd et brisé, se noyant presque dans sa morve, elle se dit : « Pourquoi avoir pris cette foutue ruelle? »

Elle se relève tant bien que mal, le talon de sa chaussure droite brisé. Elle se replace les petites culottes souillées de sang, chancelle jusqu’à un téléphone public et compose le 9-1-1. Une voix au bout du fil lui dit de patienter. Après un long moment où la musique d’ascenseur lui donne des haut-le-cœur, elle en a assez. Elle lève la main au passage d’un taxi.

Lisez la suite dans le #32 spécial Lesbiennes | présentement en kiosque

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