Quand une amie l’a avisée que son agresseur était à nouveau actif sur des sites de rencontre, Kayla est tombée des nues. Elle ignorait qu’il était sorti de prison deux ans avant le terme de sa peine.
« Ça ne va pas super bien. Ça a été un gros choc », confie en entrevue la jeune femme de 25 ans, qui a publié sur les réseaux sociaux un avertissement aux utilisatrices des sites de rencontre pour les prévenir de la dangerosité de l’individu.
Alexis Beaulieu-Bégin a été reconnu coupable, en octobre 2022, d’agressions sexuelles commises sur cinq femmes, dont une personne mineure, et condamné à quatre ans de prison. Il avait rencontré certaines de ses victimes sur l’application Tinder et a également publié des photos intimes d’elles, à leur insu.
Il a été libéré en février 2024, au tiers de sa peine.
Apprendre que son agresseur était libre comme l’air a profondément bouleversé Kayla.
« Ça m’a ramenée en 2020, quand il y a eu les dénonciations, la police, témoigne-t-elle. Tous les souvenirs, tous les flashbacks reviennent. »
La réaction de Kayla est tout à fait normale, indique Cassandra Radeschi, intervenante et chargée de projet au Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) L’Ancrage, dans les Laurentides.
« Ce genre de situation, qu’elle se passe en ligne ou à l’école, au travail, ça amène une retraumatisation et un sentiment d’injustice, explique-t-elle. La victime souffre. Elle vit dans la peur et voit que son agresseur continue sa vie. »
D’où l’importance d’aller chercher de l’aide. « Il n’y a pas de baguette magique pour effacer ce qui s’est passé, poursuit l’intervenante. Tout ce qu’on peut faire, c’est aider les victimes à reprendre du pouvoir sur la situation plutôt que de rester dans la peur. »
C’est ce qu’entend faire Kayla. « Dans ma tête, depuis qu’il est allé en prison, c’était pour moi un sujet clos. Je pensais être passée à autre chose, mais clairement, je n’ai pas guéri complètement. »
Traumatisme
Une autre victime de Beaulieu-Bégin, que nous n’identifierons pas parce qu’elle n’a pas donné suite à notre demande d’entrevue, a aussi partagé une mise en garde sur les réseaux sociaux.
« Mon abuseur/violeur est sorti de prison, en probation et sur les réseaux sociaux à la recherche de nouvelles victimes innocentes […]. Si vous voyez ce compte, signalez-le et restez loin de cet être humain qui gaspille de l’oxygène », peut-on lire dans le message ayant été partagé près de 100 fois en moins de 72 heures, accompagné de captures d’écran du compte en question.
Dans une publication antérieure, la victime #2 avait raconté avoir vécu de la violence physique, psychologique et sexuelle au cours de sa relation avec son agresseur, qui a duré près d’un an.
Il s’agissait de sa première relation amoureuse et elle en est ressortie avec un syndrome de stress post-traumatique
« Je ne pense pas qu’en un an et demi de prison il ait tant évolué », avance pour sa part Kayla.
Si elle se sent aujourd’hui en sécurité, notamment parce que son agresseur ne peut pas l’approcher, Kayla craint toutefois qu’il ne fasse de nouvelles victimes.
« Ça me stresse pour la sécurité des autres, dit-elle. Il fallait que je fasse de quoi. »
Elle a donc rédigé un avertissement à l’intention des utilisateurs des applications comme Facebook Rencontres, Tinder et Grindr. « Mon agresseur est sorti de prison et il recommence sa marde sur les sites de rencontre. […] Il est en probation et il continue. Ce genre de personne ne changera jamais et même la prison ne lui a pas appris sa leçon. »
La publication a été partagée près de 500 fois en quelques jours.
Certaines personnes ayant eu un match avec Beaulieu-Bégin ont communiqué avec Kayla après avoir vu son avertissement.
« Ces personnes devaient avoir une date avec lui. Elles m’ont remercié de les avoir prévenues, parce qu’il n’a jamais parlé de son passé avec elles », témoigne-t-elle, soulignant l’importance de faire un minimum de recherches en ligne sur la personne qu’on s’apprête à rencontrer.
« Parce qu’on ne sait jamais », lâche la survivante.
« Un terreau fertile pour les prédateurs »
Des histoires comme celle de Kayla, Rafaël Provost en entend « régulièrement, pour ne pas dire quotidiennement ».
« Les apps et les sites de rencontre, c’est un terreau fertile pour les prédateurs », lance d’emblée le directeur général de l’organisme ENSEMBLE pour le respect de la diversité.
« N’importe qui peut se créer un compte et prétendre être quelqu’un d’autre, dit-il. Il n ’y a aucun mécanisme pour vérifier l’identité des personnes ou pour signaler quelqu’un qui a déjà eu des comportements inadéquats. »
Sur ces réseaux, la culture du viol, le voyeurisme, le harcèlement sexuel, le racisme et la grossophobie, entre autres, sont complètement décomplexés, voire banalisés.
« C’est très déshumanisant », déplore Rafaël Provost, même s’il reconnaît que bon nombre d’utilisateurs utilisent ces plateformes pour les bonnes raisons.
Environ 5 % des victimes qui requièrent les services de son organisme auraient rencontré leur agresseur en ligne, souligne pour sa part Cassandra Radeschi. « Ça peut s’expliquer par le fait que, dans 85 % des cas, les victimes connaissent déjà leur agresseur », dit-elle.
Elle indique qu’il existe, sur les réseaux sociaux, des groupes principalement composés de femmes qui se renseignent sur les hommes qu’elles rencontrent en ligne.
« Elles peuvent mettre le nom et/ou la photo de la personne pour demander si une autre membre l’a déjà daté et pour demander si c’est sécuritaire », détaille l’intervenante.
Ne pas se faire justice soi-même
Le meilleur conseil de Raphaël Provost pour éviter d’être piégé par une personne malveillante? « Demande-toi si tu serais inquiet.ète si un.e ami.e était en train de faire la même chose que toi sur les apps », résume-t-il.
Cela vaut aussi bien pour l’envoi de photos coquines que pour des comportements plus téméraires.
Lorsque c’est possible, Rafaël Provost recommande également d’aviser un proche lorsqu’on rencontre quelqu’un de nouveau via une plateforme de rencontre.
Sergente à la Sûreté du Québec, Audrey-Anne Bilodeau recommande de communiquer avec les policiers si on aperçoit son agresseur sur les réseaux sociaux.
« Il faut le signaler, lorsqu’on pense que quelqu’un a commis un crime ou qu’il est sur le point d’en commettre un », résume-t-elle en entrevue.
Elle déconseille toutefois de tenter de se faire justice soi-même sur les réseaux sociaux : la limite est mince entre dénonciation et diffamation.
« Dénigrer une personne en ligne avec l’objectif de lui nuire ou d’attiser la haine peut être un acte criminel dans certaines circonstances », rappelle-t-elle.
Pour éviter d’aller en date avec un agresseur potentiel, la sergente Bilodeau rappelle aussi quelques règles de base : modifier les paramètres de confidentialité de nos comptes, ne pas partager d’informations ou de photos trop personnelles, ne pas accepter de demande d’amitié d’une personne inconnue et effectuer un minimum de recherches sur un individu avant d’accepter de le rencontrer.
« Évidemment, c’est plus compliqué si la personne ne dévoile pas sa véritable identité sur le site, relève la policière. Mais une simple recherche Google peut révéler des informations importantes. »
La sergente recommande d’archiver les conversations, qui pourraient servir de preuve en cas de plainte.
Enfin, elle suggère de communiquer à un proche les détails d’un rendez-vous ainsi que sa durée potentielle et d’activer le partage de localisation sur son téléphone cellulaire en temps réel.
Si elle recommande aussi de faire des recherches avant d’aller en date, ou même d’avoir une rencontre par vidéo avant de passer à la prochaine étape, Cassandra Radeschi rappelle que « ce n’est pas parce qu’on prend des précautions qu’on élimine 100 % des risques d’agression. En plus, ça envoie le message que c’est notre responsabilité qu’il n’arrive rien, et que si quelque chose arrive, c’est de notre faute », déplore-t-elle.