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Molly l’extravagante

Par
Marie-Andrée Labbé
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Les originaux me fascinent. Pas les orignaux, les originaux. Avec deux i. Je n’ai aucune opinion sur les orignaux.

Au gym où je m’entraîne et où j’aime dire que je m’entraîne dès que j’en ai l’occasion, il y a une originale. Une dame d’environ 45 ans, rousse, anglophone. Pour ceux qui se demandent, on distingue les originaux des fous par leur lueur de lucidité dans l’oeil et par leur recherche évidente de n’importe quelle forme d’attention. Les fous ont un regard plutôt sans lueur et surtout, rien à foutre de celui des autres.

Il arrive cependant qu’un original devienne fou. Quand il se rend compte, par exemple, que l’attention des autres ne remplit pas le vide, quand il comprend qu’il ne se sentira pas moins seul avec un public et surtout, quand il constate que son public ne vaut pas la peine d’être diverti. Alors – et c’est mon humble hypothèse – il démissionne.

La dame anglophone n’a pas démissionné encore et s’entraîne à tous les jours. S’entraîner, c’est beaucoup dire. Elle porte une robe de poupée qui nuit grandement à ses étirements, et deux lulus rousses de chaque côté de la tête. Vous pouvez la voir en spectacle à chaque jour en fin d’après-midi au Nautilus sur Mont-Royal. Si vous la croisez dans l’ascenseur, elle se mettra à chantonner. Puis à chanter très fort. N’ayez pas peur. C’est son réchauffement d’avant-spectacle.

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En début de représentation, elle s’assoira à la table de consultation des entraîneurs et elle se fera un sandwich. Oui. Elle aura amené tout l’attirail nécessaire de la maison : elle se coupera quelques tranches de tomate en sifflotant. Elle cherchera votre regard, pour s’assurer que ses efforts culinaires ne sont pas vains, et elle le trouvera. Le vôtre, celui des clients et celui de tout le staff, prêt à sévir si jamais elle se mettait à incommoder. Jamais cependant elle ne dépassera la limite de l’acceptable; elle excelle dans l’art de ne pas se faire sacrer dehors.

Je ne connais pas son nom, mais j’aime penser qu’elle s’appelle Grace ou Molly. Son costume de poupée étant définitivement un obstacle à son entraînement, Molly se contente de s’asseoir sur un banc et de lever les bras au ciel à répétition, en expirant très fort. Depuis plus d’un an que je la croise; elle a soulevé zéro kilo et en a perdu autant. Mais elle souffle comme un âne et nous lance des regards de femme exténuée.

En finale, elle quitte en saluant les clients-spectateurs qui lui ont retourné ses sourires pendant la représentation. Au vestiaire, lorsqu’une chanson d’amour passe à la radio, Molly lance : « Love is a mess, girls! Love is a mess.» J’ai tendance à la croire. Les filles en sous-vêtements s’habillent alors en vitesse, enfoncent leur tête dans leur casier et se vautrent dans leurs écouteurs de Ipod. Ça leur fait une bonne raison de ne jamais revenir. Y’a une folle qui parle fort dans le vestiaire.

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Puis, elle jasera un peu toute seule en se regardant dans le miroir, ce qui me laisse croire qu’elle passera pour de bon de l’autre côté, un jour. Quand je sens qu’elle s’écarte trop, je me place dans son champ de vision et je lui réponds n’importe quoi, en ne la lâchant pas des yeux.

Je ne vaux peut-être pas la peine d’être divertie et je ne remplis certainement pas le vide. Mais j’espère la garder de ce côté-ci encore un peu. Parce qu’elle me fait sourire et parce qu’elle me rassure, les fois où il me vient à l’esprit de me déguiser avant de sortir.

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