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Molly l’extravagante

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Les originaux me fascinent. Pas les orignaux, les originaux. Avec deux i. Je n’ai aucune opinion sur les orignaux.

Au gym oĂč je m’entraĂźne et oĂč j’aime dire que je m’entraĂźne dĂšs que j’en ai l’occasion, il y a une originale. Une dame d’environ 45 ans, rousse, anglophone. Pour ceux qui se demandent, on distingue les originaux des fous par leur lueur de luciditĂ© dans l’oeil et par leur recherche Ă©vidente de n’importe quelle forme d’attention. Les fous ont un regard plutĂŽt sans lueur et surtout, rien Ă  foutre de celui des autres.

Il arrive cependant qu’un original devienne fou. Quand il se rend compte, par exemple, que l’attention des autres ne remplit pas le vide, quand il comprend qu’il ne se sentira pas moins seul avec un public et surtout, quand il constate que son public ne vaut pas la peine d’ĂȘtre diverti. Alors – et c’est mon humble hypothĂšse – il dĂ©missionne.

La dame anglophone n’a pas dĂ©missionnĂ© encore et s’entraĂźne Ă  tous les jours. S’entraĂźner, c’est beaucoup dire. Elle porte une robe de poupĂ©e qui nuit grandement Ă  ses Ă©tirements, et deux lulus rousses de chaque cĂŽtĂ© de la tĂȘte. Vous pouvez la voir en spectacle Ă  chaque jour en fin d’aprĂšs-midi au Nautilus sur Mont-Royal. Si vous la croisez dans l’ascenseur, elle se mettra Ă  chantonner. Puis Ă  chanter trĂšs fort. N’ayez pas peur. C’est son rĂ©chauffement d’avant-spectacle.

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En dĂ©but de reprĂ©sentation, elle s’assoira Ă  la table de consultation des entraĂźneurs et elle se fera un sandwich. Oui. Elle aura amenĂ© tout l’attirail nĂ©cessaire de la maison : elle se coupera quelques tranches de tomate en sifflotant. Elle cherchera votre regard, pour s’assurer que ses efforts culinaires ne sont pas vains, et elle le trouvera. Le vĂŽtre, celui des clients et celui de tout le staff, prĂȘt Ă  sĂ©vir si jamais elle se mettait Ă  incommoder. Jamais cependant elle ne dĂ©passera la limite de l’acceptable; elle excelle dans l’art de ne pas se faire sacrer dehors.

Je ne connais pas son nom, mais j’aime penser qu’elle s’appelle Grace ou Molly. Son costume de poupĂ©e Ă©tant dĂ©finitivement un obstacle Ă  son entraĂźnement, Molly se contente de s’asseoir sur un banc et de lever les bras au ciel Ă  rĂ©pĂ©tition, en expirant trĂšs fort. Depuis plus d’un an que je la croise; elle a soulevĂ© zĂ©ro kilo et en a perdu autant. Mais elle souffle comme un Ăąne et nous lance des regards de femme extĂ©nuĂ©e.

En finale, elle quitte en saluant les clients-spectateurs qui lui ont retournĂ© ses sourires pendant la reprĂ©sentation. Au vestiaire, lorsqu’une chanson d’amour passe Ă  la radio, Molly lance : « Love is a mess, girls! Love is a mess.» J’ai tendance Ă  la croire. Les filles en sous-vĂȘtements s’habillent alors en vitesse, enfoncent leur tĂȘte dans leur casier et se vautrent dans leurs Ă©couteurs de Ipod. Ça leur fait une bonne raison de ne jamais revenir. Y’a une folle qui parle fort dans le vestiaire.

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Puis, elle jasera un peu toute seule en se regardant dans le miroir, ce qui me laisse croire qu’elle passera pour de bon de l’autre cĂŽtĂ©, un jour. Quand je sens qu’elle s’écarte trop, je me place dans son champ de vision et je lui rĂ©ponds n’importe quoi, en ne la lĂąchant pas des yeux.

Je ne vaux peut-ĂȘtre pas la peine d’ĂȘtre divertie et je ne remplis certainement pas le vide. Mais j’espĂšre la garder de ce cĂŽtĂ©-ci encore un peu. Parce qu’elle me fait sourire et parce qu’elle me rassure, les fois oĂč il me vient Ă  l’esprit de me dĂ©guiser avant de sortir.

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