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«Moi j’ai un ami blanc» : dans la peau des personnes racisées

Inverser les rôles pour mieux se comprendre.

Par
Laïma A. Gérald
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Je suis d’origine marocaine.
J’ai les cheveux et les yeux foncés.
J’ai le teint olive.
Plus souvent qu’à mon tour, on me demande « Tu viens d’où? », on me parle de mes origines « exotiques » et on me passe des commentaires clichés sur « les femmes de la Méditerranée ».
C’est de même.

Cette semaine, une série de vidéos intitulée Moi j’ai un ami blanc est tombée dans mon fil d’actualité. Si vous n’avez pas vu les capsules, en voici une pour vous mettre en appétit.

Inverser les rôles

Moi j’ai un ami blanc est une initiative du réalisateur Julien Boisvert, qui travaille sur ce projet de capsules aux allures de campagne caritative depuis 2 ans. La prémisse? Des citoyen.ne.s présentent leur « ami blanc » et racontent comment cette rencontre a provoqué une prise de conscience : « les Blancs ne sont pas tous pareils! ».

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« On a beaucoup parlé de racisme systémique dans les dernières années et il y a une chose que je constate: plein de gens parlent, personne ne s’écoute réellement donc personne ne se comprend. Pour moi, la réflexion à la genèse du projet c’est “ Pour comprendre la personne qui se trouve en face de nous, il faut pouvoir se mettre à sa place.” », explique Julien Boisvert.

«on fait vivre les commentaires clichés, les stéréotypes, aux personnes blanches, le temps de quelques minutes.»

Le réalisateur, ainsi qu’une équipe de 7 scénaristes d’origine atikamekw, anishnabe, haïtienne, tunisienne, congolaise, camerounaise et québécoise, ont voulu plonger les personnes du groupe dominant, donc les blancs, dans la peau des personnes racisées, qui font l’objet de propos stéréotypés à l’année longue. « Dans nos capsules vidéos, on fait vivre les commentaires clichés, les stéréotypes, aux personnes blanches, le temps de quelques minutes, en mode fiction, au 2e degré, sur un ton satirique. En fait, on inverse les rôles. » ajoute le réalisateur.

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Ça sent jamais les épices chez eux.

Emna Achour, ancienne journaliste sportive nouvellement « apprentie-humoriste » d’origine tunisienne, a accepté de scénariser une des capsules de Moi j’ai un ami blanc. « Julien m’a approchée au début de l’été. Les scénaristes avaient comme consigne de scénariser une capsule d’une minute, dans laquelle on inverserait les rôles entre une personne blanche et nous, la personne racisée, explique Emna. À mes yeux, le projet explore le concept “Je suis pas raciste, j’ai un ami noir, ou j’ai un ami arabe.” »

«J’ai répertorié des commentaires que j’ai moi-même reçus dans ma vie, et je me suis amusée à les appliquer à une personne blanche»

Pour créer sa capsule, l’apprentie-humoriste a décidé de décortiquer les micro-agressions dont elle est victime au quotidien, un concept dont parle de plus en plus dans l’espace public. « Quand tu es une personne dite racisée, c’est pas mal certain que ça t’est arrivé de recevoir des commentaires clichés, intrusifs ou dérangeants. J’ai donc répertorié des commentaires que j’ai moi-même reçus dans ma vie, et je me suis amusée à les renverser puis à les appliquer à une personne blanche. » raconte celle qui a également souhaité parler du profilage racial dans sa capsule.

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Pour Emna, au-delà du comique des capsules de la campagne, le message véhiculé est essentiel, particulièrement en ce moment: « Il y a encore tellement de personnes au Québec, et ailleurs dans le monde, qui nient l’existence du racisme systémique. Pour moi, ça engendre une réflexion sur la notion d’empathie. On a de la misère à se mettre à la place de l’Autre. Quand on ne vit pas une situation, c’est comme si ce n’était pas concret. Donc pour moi, nos capsules sont un miroir que l’on place devant le visage des personnes blanches. Bien sûr, on utilise le procédé de la caricature, l’exagération, la satire, mais ça illustre bien la réalité de beaucoup de personnes racisées, pour qui tout cela n’est pas de la fiction, justement. »

«Les personnes blanches […] ne sont pas habituées à être réduites à une image homogène»

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Pour Julien Boisvert, l’humour est effectivement un élément clé du projet: « Pour la création, on a utilisé ce que j’appelle “ La technique Mini Wheat”, explique le réalisateur, en riant. Le ton et l’enrobage sont légers et candides: ça c’est le côté givré. Mais en même temps, le message est “nutritif”, éducatif et provoque une réflexion sur un enjeu essentiel. »

Think inside the box

Si jusqu’à présent les commentaires sur les capsules sont plutôt positifs, Julien et Emna notent l’inconfort de plusieurs spectateur.trice.s sur les réseaux sociaux. « Les personnes blanches, qui forment le groupe dominant veut, veut pas, ne sont pas habituées à être confrontées à des stéréotypes, à être réduites à une image homogène, d’être mises « toutes dans le même panier », donc c’est normal que certaines personnes blanches soient inconfortables. » remarque Emna.

«j’aimerais que “les blancs frus” voient les capsules, parce que ultimement, ce sont eux qu’on veut sensibiliser»

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« Au moment où on se parle, les capsules circulent depuis 2 jours et ont majoritairement été vues par des personnes déjà sensibilisées aux enjeux de racisme et de privilège blanc. Mais je me dis que quand ça va tomber entre les mains de “certains chroniqueurs…”, il y aura sans doute un backlash. Mais en même temps, j’aimerais que “les blancs frus” voient les capsules, parce que ultimement, ce sont eux qu’on veut sensibiliser. » admet Julien, qui est lui-même un homme blanc.

D’ailleurs, est-ce qu’en tant qu’idéateur d’un pareil projet, il s’est fait reprocher de l’être? « Je dirais que non. Mais je suis super conscient que c’est un enjeu possiblement délicat. J’avoue que j’ai voulu créer un projet en co-création avec des personnes racisées et pas “sur” les personnes racisées. Dans ce projet-là, je corresponds parfaitement au type de personnes qui mangent une claque: les blancs privilégiés. J’essaye de rire de moi-même et d’avoir de l’autodérision, je trouve ça important. » confie Julien.

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Entre les capsules vidéo, les « quiz sur la culture blanche » et la « banque d’amis blancs » disponibles sur le site web de la campagne pastichée, l’équipe a véritablement poussé l’ironie pour faire entendre leur message: « En inversant les rôles et on voyant jusqu’où ça nous mène, on va peut-être finir par se comprendre ».

Espérons-le!