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Moé, prof de philo

Par
Véronique Grenier
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Dans la vie, j’enseigne la philosophie au collégial. Mais étant plus que précaire, ça fait plus d’un an que je n’ai pas pu le faire.

Je braille les débuts de session, littéralement, je vais porter les p’tits à la garderie pis j’ai le cœur gros en passant devant le cégep. J’envie la correction de mes collègues, je triste de ne pas être devant et dans une classe. Ne pas être avec eux, ces p’tits – souvent plus grands que moi – qui sont pas de moé.

C’tait pas mon plan A de faire ça comme carrière, c’tait plus le plan Z. Je me destinais à ben des affaires et c’est un concours de circonstances et un collègue et ami ben ben ben enthousiasmé de la chose qui m’ont conduite à une entrevue pendant laquelle j’ai su que ma vie ne pouvait pas être autre chose que ça, enseigner la philosophie. L’épreuve du réel ne me l’a que confirmé.

Quand j’ai donné mon premier cours, il y a quatre ans, je suis allée faire pepi exactement 12 fois avant de commencer. Pepi nerveux, on dit. Je suis entrée dans la classe et j’ai senti un immense vent de « wtf » balayé tout le non-verbal du groupe. Ça disait « voyons-don’-que-c’est-une-prof-ça-c’t’une-joke-a-l’a-pas-plus-que-18-ans-certain-voir-qu’a-va-nous-enseigner-de-quoi ». J’ai fait l’innocente, mais j’aurais pu me liquéfier sul plancher, devant leur 30 paires de yeux. Ben regardant, les yeux. Fa’que c’est la craie qui m’a sauvée. Je ne me suis jamais autant accrochée à quelque chose qu’à cette craie. J’ai fini le premier cours avec pu de salive dans yeule et en hypoglycémie. Rien de moins. Mais j’avais itou une certitude, et je n’en ai pas beaucoup de ces choses-là, que le prochain cours n’arriverait juste pas assez vite pour toute la hâte qui m’habitait.

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Pour la deuxième séance, j’avais préparé de quoi que je trouvais foumalade. J’avais juste un petit malaise parce que je n’étais pas certaine d’avoir suffisamment de matière pour combler les trois heures. On a fait quatre cours avec cette préparation. Les pauvres poulets suaient, tellement je leur balançais des concepts à pleine tête. Ils avaient des crampes au poignet pis moi, je me répétais qu’on allait peut-être tous en mourir. Mais je ne voulais pas qu’on meurt. Et je voulais qu’il y ait un plaisir, là-dedans. Celui d’apprendre, de comprendre, de partager. J’ai pris une date avec moé pis on s’est dit que fallait réviser nos affaires. Ce qu’on a fait. Les p’tits ont cessé de suer, moi de me déshydrater pis j’pense qu’on a en eu, du fun.

Depuis. J’aime les regarder travailler, voir leurs yeux qui plissent quand, manifestement, ils se cherchent l’idée dans le fond de tête. Sont beaux quand ils se la cassent aussi à essayer de comprendre pourquoi on les emmerde avec ces questions sul bonheur, le sens de la vie, le devoir-agir, l’argumentation, pis toute, pis toute. Tout cela leur semble si loin, si théorique, si pas dans-la-vraie-vie. Parfois un « ça ne sert à rien » leur sort de la bouche. C’est là qu’il faut à grands coups d’amour pour la discipline faire état de la pertinence de tout ça et leur montrer que s’outiller la raison, confronter dans l’abstrait la mort, l’amour, l’autre, la vie, le travail, nous prépare à le faire dans la pratique. Mais je dirais que généralement, ils le sentent que ces enjeux sont là et sont vitaux et qu’ils apprécient de poser un méta-regard sur ce qui se passe dans leur tête.

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Et dans ce rôle que j’ai auprès d’eux, ce que je préfère, c’est précisément cet « être-avec-eux ». Les échanges. Les questions. La pensée qui se remue. Le brillant dans les yeux. Sont fins. On dit ben d’la marde les concernant. Qu’ils ne connaissent rien, sont nombrilistes, s’en crissent. C’pas vrai. Ce que j’ai surtout vu et constaté c’est un intérêt qui souhaite être éveillé, une volonté de comprendre ce qui les dépasse et les traverse. Pis être prof, c’est être un genre de premier moteur. Celui qui te regarde déployer des idées, t’aide à formaliser des intuitions, à aller un peu plus loin. Pis lui, itou, y va keke part. Parfois, c’est brut, mais c’est là que c’est peut-être le plus beau.

Esti, on leur fait lire Platon, Marx, Descartes. Uppercut nécessairement. J’en ai encore, parfois, à relecture de certains. Du texto aux subtilités de la caverne, y’a comme un écart.

Ça fait donc partie de la job de leur insuffler un peu de ça, l’amour du sawoir, et d’être le kekun qui s’arrête deux secondes pour leur montrer que la vie de l’esprit, ce n’est pas uniquement ce à quoi ils ont eu accès. Ça m’arrive vraiment de trépigner quand je parle d’un auteur ou d’une notion qui me donne des émotions. Je gesticule tout plein, accélère le débit. J’aime ça, des idées.

Awkward de même.

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Pis c’est souvent là, quand je pourrais être au sommet du ridicule à me démener le corps d’enthousiasme pour la liberté ou le beau d’un argument, qu’ils ont les yeux grands ouverts, le menton sur les mains. Vient alors ce moment où ils questionnent, se parlent, on échange. De mon monologue naît un penser-ensemble. Pis fuck que c’est bon. Si ça goûtait quelque chose, ces instants, ce serait le sucre à crème de ma mamie. Ou le bacon.

Fa’que la semaine dernière, j’ai su que je devais remplacer une collègue jusqu’à la fin de la session. J’ai encore eu le pepi nerveux, mais pas d’anxiété, juste de grosse joie.

Dimanche soir, mon linge ‘tait déjà sorti, j’avais les papillons qui s’excitaient dans mon fond de ventre. J’ai pas dormi. Je pensais à eux.

Les beaux collants sont dans mon tiroir. Juste ben hâte de les coller sur les copies.