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Mixité souhaitable, ou une idée de fraternité

Je ne me ferai pas d’amis parmi les plus franco-rigides d’entre vous. Vous en aurez été avertis.

Par
Aurélie Lanctôt
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Mercredi soir, durant ma séance de yoga Bikram, il s’est passé un truc qui m’a vachement fait réfléchir. Avec une idée fixe à déconstruire, les 90 minutes passent plus vite et c’est bon pour l’estime de soi: « Wow, je suis donc ben philosophe pour un hotdog steamé » me dis-je souvent.
big boss
C’est qu’il faut savoir : généralement, les classes sont bilingues. Bah, pas « officiellement », mais dans les faits, pas mal. Au Bikram, on effectue chaque posture deux fois. Alors pour la première, la plupart des professeurs nous dictent les instructions en français et la seconde, en anglais. Comme ça, tout le monde est à l’aise. Du moins, c’est comme ça que ça marche au centre que je fréquente.
Je dois admettre que là-bas, on accorde une certaine préséance à l’anglais, durant les cours et même en dehors, puisque la plupart du personnel semble avoir l’anglais comme première langue. Reste qu’il est tout à fait possible d’interagir uniquement en français avec presque tout le monde. Et mon centre, il n’est pas dans le West-Island, à Westmount ou même dans le Mile-End : il est en plein cœur du Plateau. C’est surprenant, j’en conviens.
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Toujours est-il que mercredi, je n’avais pas remarqué l’ellipse inhabituelle de l’anglais avant que la professeure ne la souligne. Et, dans les vapes de ma semi hyperthermie, j’y ai systématiquement vu une charge politique; un désir d’écarter l’anglais des classes où pourtant, selon mes observations, anglos et francos se côtoient à peu près à parité.
J’ai su par après que ça n’avait rien à voir : c’était simplement un exercice d’amélioration dirigé. Ce qui est tout à fait louable, évidemment.
Mais cette précision ne rend pas l’anecdote caduque pour autant. Durant l’heure et demi qui a suivi, j’ai réfléchi « comme si » le centre avait en effet décidé de ne donner les cours qu’en français, dorénavant. Or, et c’est pourquoi j’en rends compte ici, j’ai été interloquée par ma propre réaction à cette « décision supposée ».
Peut-être êtes-vous déjà outrés d’apprendre que de telles choses existent à Montréal, dans un quartier plutôt francophone de surcroît. Si tel est le cas, ça n’ira pas en s’améliorant. ‘Vous avertis.
awkward
par
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Mais curieusement, j’ai eu plutôt la réaction inverse. Pour tout dire, je trouvais ça dommage. Dommage qu’on balaie du revers de la main la possibilité de maintenir un de ces espaces privilégiés (oui, privilégiés) où le français et l’anglais cohabitent et même s’enlacent spontanément. Pas dans un cadre institutionnel quelconque : juste comme ça, par le hasard d’un hobby également populaire chez les anglophones et les francophones, dans ce quartier, et où il n’est pas nécessaire de faire « classe à part ». C’est juste du yoga, je sais bien. Et c’est pas de la grande jasette non plus – loin s’en faut. Mais l’idée qu’on refusait la possibilité d’un bilinguisme non invasif, mais compatible ou complémentaire me peinait énormément.
J’extrapolais, bien sûr. Mais mon appréhension n’était pas totalement infondée, alors qu’on parle encore d’étendre la Loi 101 et que certains chroniqueurs de grands journaux parlent de l’anglais en termes aussi vétustes et méprisants que « la langue du maître ». L’anglais, cet antagoniste à abattre…
Et pourtant.
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J’ai eu peu « d’immersion » en milieux anglophones ou partiellement anglophones, au Québec. Et avec le temps, je réalise de plus en plus à quel point c’est dommage. Mais lorsque ça m’arrive, je suis toujours remplie d’un très beau sentiment fraternel. Mon yoga est un exemple bien mince, mais il y en a d’autres. Je sais pas, tenez : depuis pas très longtemps, je fais du bénévolat pour le Santropol roulant. Or, là-bas, tout se passe à la fois en français et anglais – comme ça vous chante, qu’importe au fond. On est là pour faire de la bouffe, livrer de la bouffe et utiliser la bouffe comme vecteur pour briser l’isolement social. Parfois, ça se passe dans un français approximatif, ou pas en français pantoute. L’important, c’est que ça se passe. Voyez? Pourquoi est-ce une logique qu’on semble incapable d’appliquer ailleurs?
Oh – je vois certains d’entre vous m’attendre dans le détour avec un Grevisse, un fanal et une pluie d’injures. Mais peu importe.
Je l’aime, ma langue. Et je l’aime, mon Québec. Profondément. En 1995, j’aurais voté « Oui » avec grand enthousiasme si je n’avais pas eu trois ans et demi. Et je ne saurais en faire autrement si on se posait la question à nouveau. Sauf que je réalise la grandeur des ponts qu’on se refuse à construire; la lourdeur de notre retard interculturel et l’attitude bornée de certains… et je me décourage.
est
***
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