Logo

Mitch Garber, Mitsou et les Juifs anglos de Montréal

Table ronde sur les solitudes culturelles, autour d’un souper de Roch Hachana

Par
Guillaume Denault
Publicité

Ah, les deux solitudes ! À part Céline Dion, personne ne semble capable de les réconcilier. Le dernier en date à essayer : Mitch Garber. Dans un discours, il déplorait récemment l’incapacité de francophones à saisir l’importance de l’anglais. Juste avant, il avait adressé des reproches aux siens : “The resistance by members of my own Jewish and anglo communities to learn, live and speak French is short-sighted and embarrassing.”

“My Jewish and anglo communities” : Mitch parlait là de ma belle-famille ! (Comprendre : mon chum est Juif et vit dans la langue de Shakespeare… sauf avec moi.) Qu’avait-elle pensé des propos de Garber? Inspiré par Gabriel Nadeau-Dubois et Jean-Martin Aussant, j’ai décidé d’organiser ma propre assemblée de cuisine, en compagnie de mes nouveaux amis de la solitude Anglo-Jewish. Quel meilleur moment qu’un souper de Roch Hachana dans une belle maison de Westmount pour se parler de culture franco-québécoise et de judaïsme ?

J’ai attendu le dessert, puis la discussion a commencé.

Publicité

À table : une mère (Brenda) et ses deux enfants (Leah, 18 ans et Joshua, 23 ans), un père (Jeff) et son fils (Misha, 25 ans). Tous Juifs, anglophones et Montréalais de naissance. Et puis moi, francophone séparatiste, né catholique dans la banlieue sud de la métropole.

Guillaume : Je veux clarifier quelque chose pour commencer. La communauté anglophone montréalaise et la communauté juive anglophone montréalaise, est-ce qu’elles forment des groupes distincts ? Ou marchent-elles main dans la main ?

Misha – fils de Jeff : Ce sont deux communautés différentes. Aujourd’hui, il y a beaucoup de mariages mixtes, mais la communauté juive reste séparée de la communauté anglophone, parce que pendant longtemps, elle n’était acceptée ni au sein des institutions francophones ni au sein des institutions anglophones de Montréal.

Joshua : Oui, à une époque pas si lointaine, Montréal avait son aristocratie blanche anglo-saxonne. Dans ses country clubs et ses terrains de tennis, les Juifs n’étaient pas admis.

Publicité

Misha : Le Montréal juif anglophone, c’est comme une île, dans une île, sur une île, dans un pays !

Guillaume : Ça fait beaucoup de degrés d’isolement, ça…

Joshua : Il y a une attitude défensive dans certains cas.

Jeff : Bien sûr ! À cause de notre histoire et parce qu’on est une petite communauté qui devient de plus en plus petite.

Joshua : Je suis d’accord. Ce n’est pas tant qu’on s’oppose à la culture québécoise, c’est qu’on ne se sent pas tellement les bienvenus au sein de celle-ci. Je ne suis pas sûr que ce soit une perception totalement fondée, mais plusieurs l’ont.

Jeff : La communauté juive craint la communauté anglophone autant qu’elle craint la communauté francophone. Ce n’est pas une question de langue, c’est une sorte de… tribalisme juif.

Guillaume : Revenons sur le discours de Mitch Garber. Vous en avez pensé quoi ?

Publicité

Joshua : C’est naïf de dire que les Juifs devraient se mettre à écouter du Ariane Moffat ou du Marie-Mai, alors que ça s’adresse à un public spécifique qui ne représente pas notre culture.

Leah : Oui, c’est irréaliste !

Guillaume : Donc vous résistez, pour reprendre l’idée de Garber ?

Joshua : Je ne dirais pas qu’on résiste. On n’est pas fâchés. Ce n’est pas vraiment intentionnel. C’est juste que c’est tellement… étranger pour nous. C’est à ce point étranger que ça n’entre pas dans ce que l’on pourrait considérer comme du divertissement intéressant.

Leah : De la même façon qu’on ne serait pas portés naturellement à regarder un film de Bollywood…

Misha : Mais ce qui est amusant avec ce que tu dis, c’est qu’on ne vit pas en Inde ! On vit à Montréal au Québec !

Brenda : Mes enfants ont été exposés à la littérature québécoise et à des chansons québécoises à l’école. Je ne sais pas pourquoi ils n’ont pas une plus grande adhésion à la culture francophone…

Publicité

Leah : Parce que la culture dominante, c’est la culture américaine et qu’elle est de langue anglaise. C’est plus facile et pratique pour nous !

Guillaume : Il y a quelque chose qui m’a toujours intrigué. Tous les jours depuis votre naissance, vous croisez des pubs sur lesquelles apparaissent des vedettes québécoises francophones. Est-ce qu’il vous arrive de vous demander qui elles sont ?

Misha : Il y a comme un blocage. Avant de commencer à sortir avec un francophone [NDA : c’est moi !], quand je voyais les affiches de films et de séries, je ne leur accordais pas d’attention, même si je parle français. Je voyais les affiches, mais je voyais des étrangers.

Joshua : Moi, la seule que je pourrais reconnaître, c’est Mitsou, parce qu’elle était à un party où je suis allé récemment !

Guillaume : Véronique Cloutier, vous la connaissez ?

Tout le monde sauf Misha : No, sorry !

Publicité

Guillaume : Vous êtes tous allés à l’école en anglais. Si vous avez des enfants, pourriez-vous considérer les inscrire à l’école française ?

Misha : Oui, absolument ! Sachant que je pourrais leur transmettre ma langue maternelle à la maison.

Joshua : Dans mon cas, probablement pas. J’envisage de déménager aux États-Unis après mes études.

Leah : Moi, je suis indécise. Je crois à l’importance d’être bilingue ou trilingue, mais pour moi, la question sera : « Mes enfants ont-ils besoin du français ? » Ça dépendra de l’endroit où on vivra.

Guillaume : C’est Roch Hachana aujourd’hui [NDA : le 2 octobre dernier], alors parlons judaïsme encore un peu. Je sens que votre identité juive est fondamentale…

Leah : Oh oui, certainement !

Guillaume : C’est votre identité principale ?

Publicité

Misha : Je m’identifie premièrement en tant que Juif. En fait, peut-être que je me considère d’abord comme queer… mais mon identité culturelle dominante, oui, elle est juive.

Guillaume : Tu as dit identité « culturelle ». A-t-elle une dimension religieuse ?

Misha : Je pense que la plupart des personnes à la table sont athées.

Joshua : Non, pas moi !

Misha : Ok, alors je parlerai en mon nom ! Je suis profondément athée, mais je suis aussi profondément Juif. Je n’ai pas d’affiliation à Dieu. À Israël non plus. Pour d’autres, l’identité juive est indissociable de la religion et d’Israël.

Joshua : Il faut comprendre que l’histoire des Juifs, c’est celle d’un peuple constamment chassé des terres où il habite. C’est pourquoi le concept d’Israël est tellement important. C’est un endroit où les Juifs ont enfin leur place.

Publicité

Guillaume : Est-ce que votre sentiment juif influence vos relations amoureuses ? Vous imaginez-vous en couple avec une personne non juive ?

Joshua : Quand je date, ce n’est pas un critère. Mais je me vois marier une femme juive, car je tiens à élever mes enfants en tant que Juifs.

Misha : Mais tu peux élever tes enfants comme Juifs sans que leur mère le soit !

Jeff : Pas aux yeux de la religion…

Joshua : Il faudrait que ma femme se convertisse.

Leah : Mon frère veut une vraie famille juive ! Moi, je pense que j’aurais un léger biais en faveur de… hmm… pas nécessairement un Juif ou un converti, mais au moins un homme assez intéressé par la culture pour que ça fasse partie de notre vie.

Misha : Pour moi, c’est sans importance ! Je peux très bien maintenir ma culture et la transmettre sans que mon partenaire ait la même.

Publicité

Guillaume : Tant mieux, parce que je n’ai pas l’intention de me convertir ! Merci tout le monde ! Et bonne année 5777! (C’est l’année qui vient de débuter dans le calendrier hébraïque.)