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Minisérie The White Lotus : la déconstruction de l’expérience client
Quand on s’attable à un resto, on oublie souvent que les plats délicieux ont été cuisinés par un chef sous pression. Même chose au cinéma : ce film qui vous a tant ému a été produit par une équipe de technicien.ne.s invisibles à l’écran, qui a enchaîné les journées de tournage de seize heures pendant plusieurs semaines afin de vous faire sangloter. Et dans cet hôtel-boutique, tout a été exécuté avec précision pour que vous puissiez relaxer dans les effluves de lavande pendant qu’en coulisse, on trouve beaucoup de larmes, de stress et d’inquiétudes.
Si ces travailleurs de l’ombre font leur travail sans anicroche, vous ne remarquerez même pas qu’ils existent.
Ce verni sans craques, c’est l’expérience client. La personne qui paye reçoit exactement ce pour quoi elle a payé, parfois avec le proverbial « plus [que le client en demande] », de la façon la plus simple et plaisante possible. C’est un concept clé de la société de consommation. Ça nous arrange… sauf lorsque quelque chose ne tourne pas rond.
La minisérie satirique The White Lotus (signée par le génie derrière Nacho Libre et Un cadavre sur le campus Mike White) explore la réalité des gens qui doivent affronter vos désirs, plaintes et humeurs sans jamais broncher.
Malaises, testicules et villas de luxe
The White Lotus raconte l’histoire d’une semaine qui ne se passe pas particulièrement bien, dans un tout-inclus de luxe à Hawaii. On y suit les péripéties de vacances de la famille Mossbacher, Shane et Rachel Patton, la mystérieuse Tanya McQuoid, mais également de tout le personnel de l’hôtel qui doit s’assurer de leur bien-être. La musique (qui est sublime), est composée par le Montréalais Cristobal Tapia de Veer qui a aussi travaillé pour Black Mirror et une petite (!) série britannique nommée Utopia.
La série s’articule autour d’une suite de crises d’importance variable: Shane Patton réclame d’être relocalisé à cause d’une erreur de réservation qui fait qu’il n’a pas la piscine qu’on lui avait promise sur sa terrasse; Tanya devient graduellement obsédée par une employée de l’hôtel après une séance de massage improvisée; le père Mossbacher croit avoir le cancer des testicules; la nouvelle employée de l’hôtel Lani crève ses eaux et accouche à sa première journée de travail, vous voyez le genre.
Il y a de vraies souffrances, des inconforts spirituels et… il y a le pénis du père Mossbacher.
Dans un ton à mi-chemin entre celui de Wes Anderson et celui du grand maître de l’humour noir Todd Solondz, The White Lotus annonce ses couleurs dès l’arrivée des vacanciers sur l’île. Le gérant Armond tient alors un discours à sa nouvelle employée, lui rappelant à quel point il est important que les clients pensent le moins possible à eux. Leur service doit être si parfait qu’ils en deviennent interchangeables.
Cette idée est à la source des problèmes qui s’abattent sur les employés de l’hôtel: si toutes les demandes sont traitées avec le même sérieux, elles sont donc traitées en ordre d’arrivée et non en ordre d’importance. Les situations qui devraient être prioritaires s’enveniment alors que Armond et ses employés s’affairent à gérer des plaintes plus superficielles. Cette dichotomie est magnifiquement illustrée à travers la quête obsessionnelle de Shane pour sa villa de luxe alors que Lani se tord de douleur en silence en face de lui. Il y a de vraies souffrances, des inconforts spirituels et… il y a le pénis du père Mossbacher qui fait une apparition dans le contexte le moins sexuel au monde. Je vous laisse le plaisir de découvrir quand et dans quelles circonstances.
quand le client roi devient client tyran
L’expression « le client est roi » en prend pour son rhume dans The White Lotus.
Parce que oui, la royauté baigne dans la luxure et la facilité. Mais chez les clients d’un tout-inclus, on note l’absence de ce qui caractérise aussi tout bon monarque : des responsabilités. La série de Mike White démontre à de multiples reprises dans les deux premiers épisodes qu’on ne devient pas roi ou reine simplement en payant pour ce privilège. C’est très drôle si vous êtes férus de malaises et d’humour noir, mais il y a plus qu’une série de blagues et de moments inconfortables à se mettre sous la dent.
C’est très drôle si vous êtes férus de malaises et d’humour noir, mais il y a plus qu’une série de blagues et de moments inconfortables à se mettre sous la dent.
En déconstruisant le concept « d’expérience client » pour ramener de l’avant les interactions humaines qui sous-tendent toute offre de services, The White Lotus met en lumière la nature violente de la société de consommation. Cette mascarade qui s’opère dès qu’on entre en relation avec un autre être humain par le biais d’une transaction financière. Les malaises qu’on ressent en regardant l’émission ne sont pas tous scénarisés. La série nous remet aussi nos propres comportements en plein visage. Alors que la société continue de déconfiner, ça donne le goût de repartir sur de nouvelles bases avec les gens qui travaillent avec le public.
Les deux premiers épisodes de The White Lotus sont disponibles sur Crave dès maintenant et les quatre suivant s’ajouteront à tous les dimanches pour les quatre prochaines semaines!