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Mini-miss : je suis coupable
Valerie, Liz. Il faut que je vous parle, et ça presse.
Voyez-vous, Valerie, Liz, mes parents étaient loin d’être parfaits, mais l’une des choses qu’ils m’ont enseignées, c’était de ne pas dire de mensonges. Je n’ai pas toujours obéi à ce règlement; parfois par bravade, parfois par cachotterie, ou encore, parfois pour éviter d’avouer quelque chose dont j’avais un peu honte. C’est normal : les enfants mentent à leurs parents, les parents leur tirent les vers du nez, les parents donnent une conséquence puis pardonnent à leurs enfants. Fin de l’histoire.
C’est plus rare, mais parfois, les parents mentent à leurs enfants. C’est bien innocent, plus souvent qu’autrement. Ce sera parfois pour se gâter soi-même sans partager, ou encore, pour faire des cachotteries en vue d’une surprise. Je me souviens avoir demandé à ma mère ce qu’elle faisait, pour qu’elle me réponde “rien!” en cachant des chandelles d’anniversaires au fond d’un tiroir.
Mais vous, Valerie, Liz, le genre de mensonges que vous proférez est beaucoup plus dommageable; dommageable aux enfants dont vous êtes en charge de vous occuper, et dommageable à vos contemporains que vous prenez pour des valises. Trop dommageable, en fait, pour que je me permettre de ne pas vous crier vos quatre vérités, du haut de ma modeste tribune.
Une tempête dans un verre de glitter
Une annonce a été publiée il y a quelques semaines à l’effet que le 24 Novembre 2013 aurait lieu le premier concours de mini-miss en sol québécois. Des concours un peu à l’image des Toddlers and Tiaras où « des fillettes portent le talon haut, arborent le froufrou, font des sourires mièvres et roulent des prunelles, jouant aux séductrices, déhanchements en prime, sur le catwalk. Sous l’oeil des parents enthousiastes ». Or, ce genre de concours ne fait pas l’unanimité; le Sénat français a d’ailleurs adopté une mesure visant à les interdire aux jeunes filles de moins de 16 ans. Un simple coup d’œil à ce programme télévisé démontre bien l’horreur qu’on y encourage; dévalorisation du corps naturel des fillettes, imposition d’un code vestimentaire à paillettes, horaires chargés, glorification des seules apparences physiques, cocktails sucrés et parfois épicés de boissons énergisantes administrés en fortes doses, surcharge de maquillage, et, surtout, l’obligation de ne pas déplaire.
La question se posait quant à savoir qu’est-ce que nous, Québécois, souhaitions inculquer à nos enfants comme valeurs et quel genre d’enfance nous souhaitions offrir à nos enfants, sœurs, nièces, amies. Un groupe de signataires concernés ont donc mis sur pied une pétition visant à faire annuler, voire interdire ce genre de concours, dont je suis une fière signataire, et, en l’espace de quelques jours, plus de 50 000 personnes ont signé. Quelques jours plus tard, c’était au tour de Musimax de retirer de ses ondes ses deux émissions de mini-miss.
Valerie, Liz… Vous nous prenez-tu pour des caves?
Nous, signataires, avons fait notre marque dans la sphère publique en refusant catégoriquement la tenue de ce genre de concours. Il y a quelques jours, un communiqué émis par ses organisatrices annonçait l’annulation de celui-ci. Victoire! Crieront certains, mais il n’en est apparemment rien. On apprenait que le concours ne serait pas annulé, mais reporté. Ça n’est pas terminé, nous narguait-on depuis le site internet du concours.
En plus de refuser toute entrevue, vous avez le culot de déclarer sur votre site internet que le concours de Laval a dû être reporté parce qu’un groupe d’adultes menace la sécurité des enfants et leur fait peur. Le groupe d’adultes, c’est nous. Vous allez plus loin en affirmant que nous devrions avoir honte de nous et que nous sommes le réel danger pour ces pauvres fillettes. Qu’au lieu d’avoir eu victoire sur les organisatrices du concours, nous n’avons que fait peur aux enfants et aux pauvres parents qui ne demandaient qu’à pouvoir forcer leurs filles à faire des moues séductrices en paix. Et que vous êtes plus que jamais déterminées à mettre en œuvre votre fabuleux concours de pimp my kid version glitter.
Je répète, Valerie, Liz… Vous nous prenez-tu pour des caves?
Je m’accuse
Tout le monde a menti au moins une fois dans sa vie. Il y a les petits mensonges, puis il y a les gros mensonges. Et vous, Valerie, Liz, et les parents qui supportent les concours de mini-miss, vous êtes en train de nous en faire un sacrament de gros. Vous êtes en train de faire de nous le méchant bonhomme sept-heures qui dévore les enfants qui se couchent trop tard. Et les fillettes, influençables à cet âge-là, gobent tout ce qu’une figure d’autorité leur raconte. Résultat? Vous les enfoncez encore plus dans l’aliénation de leur propre enfance, arrivant bientôt à miner leur confiance en tout ce qui est extérieur à l’environnement des paillettes.
Avez-vous dit à ces enfants qu’un groupe de méchants adultes leur voulaient du mal?
Leur cachez-vous que les images de vos concours sont aux pédophiles ce que la bière est à un alcoolique?
Vous nous accusez même de haine envers les filles. De haine, sirop de poteau d’carabine du p’tit Jésus. Et vous terminez votre statement en annonçant qu’un concours de ce genre aura bel et bien lieu, et que vous n’en révélerez simplement pas la date ou l’endroit.
Valerie. Liz. La vraie menace pour ces enfants, c’est vous et les parents irresponsables qui aliénez les fillettes de leur propre enfance pour vivre leurs fantasmes de beauté à travers elles. Et pourtant, je m’accuse.
Je m’accuse de vouloir mettre un frein à vos concours de beauté pour enfants.
Je m’accuse d’être une fière signataire du manifeste contre vos concours.
Je m’accuse d’être horrifiée par ce qu’on peut voir comme traitements infligés aux fillettes dans les émissions américaines de mini-miss (allez voir, chers lecteurs, Youtube en regorge), et je m’accuse de ne pas gober que « c’est beaucoup moins pire ici qu’aux États-Unis ». Je ne serai pas satisfaite d’un « c’est moins pire ». Il y aura toujours quelque chose de moins pire qu’autre chose, et vos concours, j’en veux pas.
Je m’accuse de vigilance pour le bien-être de ces enfants.
Je m’accuse d’avoir un certain souci à l’image qu’on leur renvoie d’elles-mêmes et de leur corps, et à l’image qu’on leur envoie du rôle de la femme dans la société. Plaire pour plaire, ou se plaire et faire de notre vie ce qui nous plaît?
Je m’accuse de ne jamais, jamais vous laisser faire mal à nos enfants à grands coups de « tiens-toi droite », « souris pour la caméra », « fais une moue séductrice », « déhanche-toi mieux que ça », « ne déçois pas Maman sur le podium », « avale ce jus énergisant », à grands coups de paillettes, de maquillage, de souliers à talons, de tenues vulgaires et aguichantes, de fer à friser dans les cheveux et d’horaires surchargés, et à grands coups d’apparences.
Je m’accuse de vous accuser, oui, de vous accuser d’être vous-même la menace pour la sécurité de leur enfance, pour ce cadeau que nul ne devrait entacher, ni un parent violent, ni un proche abuseur, ni une mère et une organisatrice prêtes à projeter de force leurs fantasmes de beauté et de jeunesse éternelle sur des fillettes qui ont autre chose de plus important à faire : la vivre, leur sacrament d’enfance.
Je m’accuse de vous écrire cette lettre avec la rage au cœur, le feu aux joues, et les larmes à l’œil.
Et je nous accuse à l’avance, moi et mes chers co-signataires québécois, de vigilance. Nous avons la voix des masses; vous ne faites pas le poids. Nous veillerons. Nous surveillerons. Nous vous trouverons. Vous n’arriverez pas à tenir votre concours de pimp my kid, parce qu’on vous en empêchera avec autant de véhémence et d’éclat public de le faire. Nous serons là. Unis d’amour pour l’Enfance.
Et les seules qui feront mal à qui que ce soit, ce seront vous, Valerie et Liz.