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L’obsession du miniature

Par
Guillaume Denault
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Comment résister à une vidéo montrant la préparation d’un shortcake aux fraises de 4 cm3 ou d’un hamster qui mange un mini burrito ? Impossible ! La cuteness l’emporte sur tout. Exploration de notre amour du miniature.

Sur la page Instagram de The Daily Miniature, chaque journée apporte sa dose de beauté à petite échelle. Ici, la réplique d’un fauteuil scandinave qui tient dans la paume d’une main. Là, deux figurines d’hippopotames nageant dans une tasse de thé vert. A-D-O-R-A-B-L-E.

Le populaire compte suivi par 140 000 abonnés n’est qu’un des porte-étendard d’une culture du mini qui se déploie présentement aux quatre coins du web.

Les archéologues ont notamment retrouvé des « Barbies » préhistoriques — des statuettes de femmes sculptées dans de l’ivoire de mammouth.

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On n’a pourtant pas affaire à une nouvelle mode. Les objets de petite dimension semblent avoir toujours fait partie de l’aventure humaine. Les archéologues ont notamment retrouvé des « Barbies » préhistoriques — des statuettes de femmes sculptées dans de l’ivoire de mammouth.

Au fil des époques et au gré des cultures, les humains n’ont jamais arrêté de créer des miniatures de toutes sortes : amulettes, médaillons, peintures sur grains de riz, maisons de poupée, bonsaïs, etc. On s’est même amourachés de choses aussi inutiles que des Tamagotchis et des Bobbleheads.

Au fond, notre passion pour le tout petit serait-elle inscrite dans nos gènes ?

La science du cute

Réglons le cas de notre émerveillement pour les bébés et les chatons : oui, on est « programmés » pour les trouver cutes.

Une panoplie d’études ont montré que certains traits faciaux infantiles — grands yeux, petit nez, joues rondes, etc. — déclenchent chez nous des émotions positives (gracieuseté de l’hormone dopamine) ainsi qu’un désir de prendre soin et de protéger. On appelle ça l’effet du « baby schema ». Sans lui, nos bébés, tout comme la race humaine d’ailleurs, risqueraient l’extinction.

« Un aspect du miniature est qu’il efface les défauts physiques et les dissipe […] en une beauté fragile. »

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Cet instinct est si fort qu’on le ressent pour d’autres espèces et même pour des objets inanimés. Une étude a déjà démontré qu’on souriait davantage à la vue de voitures dont on avait agrandi les phares et rapetissé la grille pour évoquer le visage d’un bébé.

Mais le « baby schema » ne peut pas tout expliquer : on ne tombe pas sous le charme d’un minisushi à cause de ses bajoues, par exemple. Dans ce cas-ci, notre attrait vient peut-être de l’image de perfection que renvoient les choses minuscules.

« Un aspect du miniature est qu’il efface les défauts physiques et les dissipe […] en une beauté fragile », note l’anthropologue et historien de l’art John Mack dans son livre The Art of Small Things. C’est logique : plus un objet est agrandi, plus ses imperfections le sont. Plus on le rapetisse, plus il paraît lisse.

Bref, small is beautiful. Mais il y a peut-être plus. Selon le sociologue italien Pietro Bellasi, les pièces miniatures prendraient souvent une valeur de mythe. Ça, ça veut dire que devant un modèle réduit de bateau, on ne verrait pas qu’une reproduction miniaturisée d’un gros engin flottant, mais le symbole du voyage, de l’évasion, de la découverte. Inspirant, non ?

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Passion extrême

Se pâmer sur la confection de minibeignes en ligne est une chose. Y consacrer des heures quotidiennement en est une autre. C’est le cas des « miniaques », soit des collectionneurs de petites affaires, des modélistes, des sculpteurs de bouffe miniature, etc. Qu’est-ce qui les fait vibrer ?

« Probablement un besoin de maîtriser leur univers », affirme Susan Scheftel. Cette psychologue new-yorkaise pour enfants a régulièrement recours à une maison de poupée. « Elle permet à mes patients d’être en contrôle et d’expérimenter une vie dont ils sont le boss. »

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« Probablement un besoin de maîtriser leur univers », affirme Susan Scheftel. Cette psychologue new-yorkaise pour enfants a régulièrement recours à une maison de poupée. « Elle permet à mes patients d’être en contrôle et d’expérimenter une vie dont ils sont le boss. » La psy croit que les objets de petite dimension jouent un rôle similaire chez les adultes miniaturistes.

Selon elle, ces passionnés ont autre chose en commun : un rapport particulier à l’enfance. Une idée qui rejoint les réflexions de l’auteure et essayiste américaine Susan Stewart. Les mondes miniatures sont associés à « des versions nostalgiques de l’enfance et du passé », écrit-elle dans Longing: Narratives of the Miniature, the Gigantic, the Souvenir, the Collection.

Surtout, n’allez pas répéter ça à la professeure d’anthropologie Louise Krasniewicz. Elle n’en peut plus d’entendre parler de nostalgie, de contrôle ou même de traumatismes. « Je déteste les explications qui cherchent à “psychologiser” les adeptes du miniature », dit l’universitaire, qui signe un blogue appelé The Wonder of Miniature Worlds. À son avis, il faut plutôt voir dans leur ferveur une « forme de plaisir et de créativité ».

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Elle en sait quelque chose. Dans ses temps libres, elle conçoit des jardins lilliputiens et des petites installations mettant en vedette un micro-Donald Trump. « Les pièces miniatures sont idéales pour exprimer toutes sortes d’idées. Elles permettent d’explorer des mondes et des possibilités. D’exercer son imagination. »

Et, sur le plan pratique, la petite échelle est plus accessible et moins intimidante, note Louise Krasniewicz. C’est vrai que se lancer dans la sculpture monumentale peut être plus compliqué… Reste que pour créer une parfaite minitarte aux bleuets (cute !) adaptée à la bouche d’un bébé hérisson (doublement cute !), ça prend sûrement beaucoup d’entraînement.