Logo

Militantisme en confinement : comment se faire entendre quand la pandémie prend toute la place?

Est-ce une cause perdue d'avance?

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
Publicité

Greta Thunberg.

Remember?

Sa traversée de l’Atlantique à bord d’un voilier sans émission de carbone, la mobilisation historique dans les rues de Montréal, ses prises de bec virtuelles avec Donald Trump: la jeune militante suédoise dominait les manchettes il y a à peine quelques mois, mais on a l’impression que ça remonte au siècle dernier.

Plus près de nous, les coups d’éclat des activistes antispécistes, les sorties publiques de Dominic Champagne en faveur du Pacte, le débat autour de la pièce SLAV et celui autour du décorum vestimentaire à l’Assemblée nationale semblent avoir été reléguée aux oubliettes avec les sujets de conversation «d’avant ».

C’est dans ce contexte que nous avons demandé à quelques militants si leurs actions sont aussi confinées que nous, à l’heure où une éclipse nommée « COVID-19 » monopolise l’espace médiatique et virtuel.

«On se dirige vers un scénario catastrophe pour le premier juillet!», affirme sans détour Véronique Laflamme, du FRAPRU.

Publicité

« On se dirige vers un scénario catastrophe pour le premier juillet! », affirme sans détour Véronique Laflamme du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), rappelant que la situation était déjà chaotique bien avant la propagation de l’expression «aplanir la courbe».

La province était aux prises avec son plus bas taux d’inoccupation en 15 ans, des rénovations sauvages, des abus de propriétaires, des loyers convertis en Airbnb et quelque 195 000 locataires qui consacraient autour de 50% de leurs revenus pour se loger. « Tout dans l’actualité est relié à la COVID-19 et c’est le point de presse du premier ministre qui va déterminer ce qui sera le sujet du jour. On craint le pire », plaide Véronique Laflamme, qui est toutefois agréablement surprise de l’espace médiatique que ses prises de position occupent… encore faut-il qu’elles soient en lien avec la pandémie.

Publicité

Jeudi par exemple, le FRAPRU a pu réagir aux mesures visant à venir en aide aux locataires affectés par la crise sanitaire, annoncées par les ministères des Affaires municipales et de l’Habitation. Ces mesures incluent des prêts sans intérêts et un programme d’aide à l’hébergement d’urgence pour les ménages en attente d’un logement dont la construction est retardée. Des annonces décevantes pour le FRAPRU. « On a l’impression que la seule aide gouvernementale se tourne vers les propriétaires. Il est grand temps de réinvestir dans notre filet social. Les inégalités sont encore plus révélées par la crise », peste Véronique, très préoccupée par le bordel à venir, qui risque d’affecter des milliers de locataires à la veille du premier juillet. « On oublie que tout le monde n’a pas accès à Internet et qu’il y a des risques à faire signer des baux sur des visites virtuelles d’appartements », souligne-t-elle.

«On a l’impression que la seule aide gouvernementale se tourne vers les propriétaires. Il est grand temps de réinvestir dans notre filet social. Les inégalités sont encore plus révélées par la crise.»

Publicité

Autre signe de la catastrophe à venir, la ministre québécoise des Affaires municipales a dévoilé jeudi lors d’une commission parlementaire virtuelle que 16% des locataires, soit environ 150 000 ménages, n’avaient pas pu payer leur loyer en avril en raison des difficultés économiques engendrées par la pandémie. « C’est énorme ! », s’inquiète le FRAPRU, forcé d’adapter sa lutte à la situation en multipliant les rencontres Zoom avec ses partenaires à travers la province pour garder le pouls sur le terrain. « On continue nos efforts pour rejoindre les locataires et ils peuvent communiquer avec nous en tout temps », assure Véronique Laflamme, qui a lancé un sondage pour documenter les revendications des locataires.

Une douche froide

Pour la blogueuse militante Gabrielle Lisa Collard, la COVID-19 a carrément eu pour effet de mettre en lumière la grossophobie ambiante. « C’est une douche froide. Je pense que ça nous met le nez dans notre pisse », illustre Gabrielle, qui conserve un goût amer des nombreux statuts Facebook déplorant quelques livres et bourrelets apparus en raison de la sédentarité du confinement. « Je t’avoue personnellement que je m’y attendais et que je ne tombe pas des nues. Beaucoup de filles ont énormément de pression sur leur apparence et leurs poids, mais je suis néanmoins déçue de certaines personnes de mon entourage », admet-elle.

Publicité

Les sorties frénétiques sur l’urgence de faire un workout après avoir fait du pain homemade, les repousses capillaires et l’envie folle de voir une esthéticienne ont également profondément désespéré la militante. « Ça fait un peu pitié en fait. Je ne veux pas avoir l’air condescendante, mais c’est triste de voir quelqu’un toute seule en confinement qui partage sa peur de prendre cinq livres », souligne-t-elle.

«Les infirmières et les préposées aux bénéficiaires sont surtout des femmes. Le féminisme est toujours pertinent, mais on en discute plus dans le contexte du COVID-19.»

Même si les enjeux qu’elle défend ne font pas les manchettes présentement, elle trouve toutefois encourageant de voir que plusieurs personnes dénoncent la grossophobie sur les réseaux sociaux. « J’ai vu beaucoup de monde échanger, débattre, expliquer. Pas juste par rapport au poids, mais aussi au sujet des troubles alimentaires, etc. Les gens sont de plus en plus aware », observe Gabrielle. Elle cite également en exemple les combats féministes, qui ne sombrent pas dans l’oubli en raison de la pandémie. « Pas dans mes cercles en tout cas, au contraire! Les infirmières et les préposées aux bénéficiaires sont surtout des femmes. Le féminisme est toujours pertinent, mais on en discute plus dans le contexte du COVID-19 », note Gabrielle, qui poursuit normalement ses activités en mode télétravail, notamment avec la création d’un podcast disponible sur son site dixoctobre.com.

Crédit: Gabriel Pelland

Publicité

Des coups d’éclat sur le hold

Réputés pour leurs coups d’éclat médiatisés, les activistes d’Extinction Rebellion ne cachent pas trouver le temps long en confinement. «C’est dur parce qu’on faisait beaucoup d’actions secrètes. C’est un gros pan de l’organisation qui est sur pause », souligne la militante Coralie LaPerrière.

Plusieurs militants sont déçus et fatigués d’avoir consacré pour rien beaucoup d’efforts de mobilisation en vue d’une grève climatique qui devait se dérouler du 30 mars au 3 avril dernier. « Plus de 20 000 étudiants devaient y prendre part et beaucoup d’actions étaient prévues », souligne Coralie, dont le groupe ne cautionne pas la désobéissance civile en ce qui a trait aux consignes sanitaires en vigueur. « Mais là, on voit que le gouvernement mise sur l’aspect économique. On n’est pas contents et on ne va pas rester tranquille longtemps », prévient la militante, qui assure que son groupe demeure très actif en ligne et mènent néanmoins quelques actions.

Publicité

Un monde végan = pas de COVID-19

Les militants de la branche montréalaise du groupe antispécisme Direct action Everywhere (DeX) aussi doivent prendre leur mal en patience, eux qui ont beaucoup fait jaser avec leurs stunts médiatisés avant la crise, notamment en faisant irruption au Joe Beef et dans une porcherie de Saint-Hyacinthe. Leur porte-parole, Jade, trouve d’ailleurs paradoxal le fait de ne pouvoir rien faire, alors que l’exploitation animale est selon elle responsable de la propagation du virus mortel. « C’est pareil pour la grippe porcine et la grippe aviaire. Dans un monde vegan, la COVID-19 n’existerait pas », tranche Jade.

Même si les scientifiques ne peuvent affirmer hors de tout doute l’origine du coronavirus, plusieurs semblent s’entendre sur une cause animale en provenance d’un marché de Huanan où se vendaient toutes sortes d’animaux comme la chauve-souris.

«Dans un monde vegan, la COVID-19 n’existerait pas.»

Publicité

En attendant le retour des coups d’éclat, les militants de DxE gardent contact en ligne, alimentent leur page FB et dénoncent le silence derrière le rôle de l’exploitation animale dans nos pandémies. « On veut que les gouvernements arrêtent de gérer les crises et commencent à les prévenir », résume Jade.

Parce que les coups d’éclat sur Zoom ont moins d’impact, les militants de tout acabit continuent leur travail dans l’ombre et promettent de refaire surface dans l’actualité dès que la COVID-19 leur cédera un peu d’espace.