La mixologie, c’est out. Ce qui est dans le vent, c’est la bière de microbrasserie (et définitivement pas l’expression « dans le vent »). C’est pour ça qu’URBANIA a décidé de s’y intéresser en faisant des portraits de microbrasseries d’ici. Parce que de plus en plus de gens en parlent, mais aussi parce que c’est un bon prétexte pour boire sur la job.
Les modes se suivent et ne se ressemblent pas dans le monde brassicole québécois. Si beaucoup de beer geeks vous diront que les IPA juteuses et tropicales règnent en reines et maîtresses sur le Québec, d’autres vous diront que la tendance est plutôt à un retour à la simplicité.
Carol Duplain fait partie de la deuxième catégorie, lui qui a fondé la brasserie Vrooden il y a à peine deux ans, avec deux amis, pour brasser des bières traditionnelles allemandes à Granby.
Portrait de la plus cérébrale des microbrasseries du Québec.
Helle
De son propre aveu, Carol Duplain était plus un gars de vin avant de fonder sa microbrasserie. Il a donc dû faire ses devoirs, lisant une cinquantaine de livres sur la fabrication de la bière pour parfaire ses connaissances.
Ce qui l’a d’abord attiré vers les styles traditionnels allemands, c’est le défi : « J’aimais déjà les bières allemandes, mais je suis surtout allé vers ça parce que c’est compliqué à brasser. Je suis ingénieur de formation, j’aime ça les challenges ! »
Le Granbyen y voyait aussi une niche à exploiter : « En analysant le marché, j’ai remarqué qu’il n’y avait pratiquement pas de bières allemandes, encore moins les styles traditionnels. Quelques brasseurs donnaient des noms allemands à leurs bières, mais ce qu’il y avait dans la bouteille, c’était pas les vraies techniques allemandes. »
Pour brasser de la bière allemande, Vrooden se fait donc un devoir d’utiliser des ingrédients (spoiler alert) allemands. Mais un autre aspect sur lequel Carol Duplain insiste, c’est la qualité de l’eau : « Si tu ne contrôles pas ton eau, tu ne contrôles pas 95% de ce qui est dans ton produit. C’est pour ça qu’on a notre propre système de traitement des eaux. Ça aide à avoir de la constance dans nos produits. »
Et justement, la Helle, l’un des meilleurs vendeurs de Vrooden, est un parfait exemple de constance: « C’est très dur de faire une bière comme celle-là parce qu’il n’y a pas beaucoup d’ingrédients, donc t’as pas beaucoup de place où te cacher. On n’est pas une grosse brasserie comme certaines allemandes qui brassent la même bière depuis 300 ans, donc je suis fier d’arriver à faire un produit qui est aussi constant. »
Notre appréciation
Alcool : 5 % | IBU : 25
D’un jaune pâle et translucide, la Helle est surmontée d’un généreux col blanc et persistant. Au nez, le houblon frais et le pain dominent, sur un fond floral et légèrement citronné. En bouche, on retrouve le houblon et les céréales, mais aussi une impression de miel et d’herbe. La finale est sèche et rafraîchissante, la texture soyeuse et l’amertume discrète. Une bière de soif qu’on pourrait boire toute une soirée.
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Milkshake IPA (mangue)
Si Vrooden s’est fait connaître grâce à son expertise dans les styles classiques allemands, elle se laisse parfois aussi tenter par les tendances du moment. Mais ici encore, on semble prendre les décisions davantage avec la tête qu’avec le cœur : « Quand 35% des bières vendues au Québec sont des IPA, t’as pas le choix. Tu ne peux pas te couper tout ce marché-là. »
Mais au lieu de sortir une NEIPA comme tout le monde, Carol Duplain se fait un point d’honneur de faire différent : « J’essaie de trouver des niches moins exploitées plutôt que de me garrocher dans ce que tout le monde fait. Donc au lieu d’une NEIPA, je vais plus aller vers une milkshake ou une triple IPA. Au lieu d’un stout impérial, je vais faire un dry stout au chocolat. »
Cela dit, le retour aux bières simples et traditionnelles est bien réel, et la tendance risque d’avantager des brasseries comme Vrooden. « Les gens voyagent. Ils vont en Europe et se rendent compte que là-bas, y en a pas de IPA. C’est plutôt des bières de soif, que tu peux boire tout l’après-midi sans te tanner. »
Dans tous les cas, Carol Duplain se garde bien d’être paresseux, le marché des bières de micro étant trop mouvant pour devenir confortable. « La tendance est aux nouveautés. Les gens veulent tout le temps essayer autre chose. Donc on va garder le cap sur les bières allemandes, mais on va aussi faire d’autres styles pour s’amuser et pour montrer qu’on capables de sortir du carcan. »
Notre appréciation
Alcool : 6,5 % | IBU : 60
D’un orange pâle et trouble surmonté d’une mousse éphémère d’un blanc cassé, cette Milkshake IPA dégage les arômes tropicaux (mangue, ananas) et vanillés auxquels on s’attend du style. En bouche, c’est onctueux et juteux, avec une bonne amertume et un fond malté. La mangue et la vanille y sont toujours, mais moins agressives que le nez le laissait croire. Une bière à déguster au soleil sur une terrasse.
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Ur-Bock Signature
N’allez pas vous acheter un dictionnaire allemand-français pour connaître la signification du mot Vrooden : il n’existe pas. « À l’époque, je travaillais dans une usine et un collègue faisait toujours des jokes sur les noms compliqués de nos fournisseurs allemands. Un jour, il a lancé “La commande Vrooden est arrivée !” On a trouvé ça drôle. On s’est mis à utiliser le mot au lieu de “Santé” ou “Prost” quand on prenait un verre. C’est resté. »
Quand la brasserie a été fondée, le nom Vrooden s’est imposé de lui-même. « Ça pouvait pas être autre chose que ça. Pour moi, Vrooden, ça signifiait prendre un verre ensemble, avoir du plaisir. En plus, ça se dit bien en français, en anglais ou dans n’importe quelle langue. »
Et c’est tant mieux puisque Vrooden reluque de plus en plus le marché hors-Québec. « On va bientôt commencer à mettre nos produits en canettes pour faciliter l’exportation. La stratégie, c’est de faire des concours internationaux comme la World Beer Cup et les World Beer Awards pour gagner des médailles. C’est ça qui va faire parler de nous et nous permettre d’exporter ailleurs dans le monde. »
Et c’est déjà bien parti : Vrooden a gagné une médaille d’argent au championnat canadien avec sa Doppelsticke Altbier l’année dernière, en plus de voir sa Ur-Bock en fût de chêne couronnée meilleure bock au monde par le réputé site Ratebeer. « Ça montre qu’on est capable de faire autre chose que des petites bières légères. »
En tous cas, légères ou pas, on vous lève la nôtre et on vous dit : Vrooden !
Notre appréciation
Alcool : 9,5 % | IBU : 45
Sur cette bière d’un brun ambré aux reflets acajou trône une épaisse mousse beige pâle et persistante. Au nez, le bois des fûts de rhum est bien présent, accompagné de caramel et de fruits foncés (figues, dattes). En bouche, c’est dense, presque crémeux. Le fût se fait plus discret et laisse toute la place aux saveurs sucrées : raisins secs, cassonade et malt caramel. Une impression de pain grillé s’invite en tempérant, accompagnée d’une légère amertume. Une bonne bière de fin de soirée, belle alternative aux barley wines plus communs.
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