Logo

Microbrasserie du mois: St-Pancrace

St-Pancrace en trois bières.

Par
Christian Letendre
Publicité

La mixologie, c’est out. Ce qui est dans le vent, c’est la bière de microbrasserie (et définitivement pas l’expression « dans le vent »). C’est pour ça qu’URBANIA a décidé de s’y intéresser en faisant des portraits de microbrasseries d’ici. Parce que de plus en plus de gens en parlent, mais aussi parce que c’est un bon prétexte pour boire sur la job.

Jadis, quand on parlait de la Côte-Nord, on pensait à Gilles Vigneault, aux baleines de Tadoussac ou aux chevreuils d’Anticosti. En tous cas, on ne pensait pas à la bière : aucune microbrasserie n’avait osé s’installer dans ce territoire magnifique et sauvage. En 2013, St-Pancrace a fait le pari de faire de la bière aux saveurs de la Côte-Nord, pour les gens de la Côte-Nord. Et vous savez quoi? C’est bon jusque sur la Rive-Sud!

Discussion avec Pierre-Antoine Morin, copropriétaire de St-Pancrace.

Publicité

Crâââbe : la Côte-Nord en bouteille

Quand Pierre-Antoine Morin et ses associés se sont établis sur la Côte-Nord, ce n’était pas pour faire de la bière. Alors comment en sont-ils venus à fonder la toute première microbrasserie sur la Côte-Nord? Le Baie-Comois d’adoption explique : « Quand t’es brasseur maison, tu fais une tâche aux 20 minutes, ce qui laisse passablement de temps pour discuter. On parlait du fait qu’il n’y avait pas de micro pour les gens de la Côte-Nord, que ça prendrait des bières qui leur ressemblent. On a décidé de se lancer! »

Publicité

C’est donc en 2013 que St-Pancrace est née avec un objectif clair : mettre la Côte-Nord en bouteille. Les créations de la microbrasserie sont donc fortement inspirées du territoire qui les entoure. D’ailleurs, alors que plusieurs se soucient des accords bières et mets, Pierre-Antoine Morin et ses acolytes, eux, s’attardent plutôt aux accords bières et paysages. « On se demande “Je la prendrais où, cette bière-là? Dans la chaloupe en train de pêcher? Sur le bord du fleuve au coucher du soleil? Après une sortie en raquettes au mois de mars?” L’idée, c’est vraiment de mettre des moments, des lieux, des expériences de la Côte-Nord en bouteille. »

Alors que plusieurs se soucient des accords bières et mets, St-Pancrace s’attarde plutôt aux accords bières et paysages.

Un bon exemple de cette philosophie, c’est la Crâââbe, une bitter anglaise, brassée en collaboration avec Hopéra, à laquelle sont ajoutées des carapaces de crabe lors de l’ébullition. Pour Pierre-Antoine Morin, il ne se fait pas plus Côte-Nord que ça. « Le crabe, c’est quelque chose d’intimement relié à la Côte-Nord. Quand la saison du crabe commence, ça annonce la fin de l’hiver, la fonte des glaces sur le fleuve, le retour de la lumière… Les gens font des partys de crabe : ils s’assoient et mangent du crabe pendant des heures. »

Publicité

Le Baie-Comois a par ailleurs été surpris que la Crâââbe ait autant fait parler à son lancement, il y a cinq ans. « Les Irlandais brassent des oyster stouts avec des huîtres depuis plus de 100 ans, alors l’utilisation de produits de la mer dans la bière, c’est pas nouveau. On a fait des tests avec des algues, c’était correct, sans plus. On a aussi testé les oursins, c’était vraiment dégueulasse! Avec le crabe, on va chercher le bon équilibre entre la base de bitter anglaise un peu sucrée et légèrement amère, et le côté bisque de crabe un peu plus salin et iodé. »

Notre appréciation

Bitter anglaise au crabe

Alcool : 4,8% | IBU : 28

D’un orange cuivré surmonté d’un col blanc cassé fuyant, la Crâââbe présente un nez malté aux notes de caramel et de pain frais. En bouche, on retrouve les saveurs détectées au nez auxquelles s’ajoute une pointe de noix grillées. Ce n’est finalement qu’en rétro-olfaction qu’on détecte le crabe, porté par des notes salines et iodées. Différente, étonnante et bien balancée.

Fleur de feu : paver la voie

Publicité

On pourrait croire qu’ouvrir la première microbrasserie sur la Côte-Nord allait être une garantie de succès pour St-Pancrace, mais quand on aborde le sujet avec Pierre-Antoine Morin, il répond en riant : « Eh mon Dieu! Au début, on pensait que oui, mais finalement non! C’est pour pas rien qu’il n’y avait pas encore de microbrasserie sur la Côte-Nord. Quand on essayait de faire entrer nos bières dans les dépanneurs, on se faisait répondre “Micro quoi?” On a dû convaincre les commerçants un après l’autre qu’il y aurait un intérêt pour nos produits. »

Près de six ans plus tard, les bières de St-Pancrace sont disponibles dans pratiquement tous les dépanneurs de la région, de Baie-Comeau à Natashquan, en passant par Anticosti. « On envoie même régulièrement des palettes de bière au chantier de la Romaine. Ça nous rend vraiment fiers de savoir que les travailleurs d’aujourd’hui ont accès à de la bière locale. »

Depuis l’arrivée de St-Pancrace, trois autres microbrasseries ont ouvert leurs portes sur la Côte-Nord.

Publicité

Depuis l’arrivée de St-Pancrace, trois autres microbrasseries ont ouvert leurs portes sur la Côte-Nord. Quand on lui demande si son entreprise a pavé la voie à ces nouveaux joueurs, Pierre-Antoine Morin reste humble. « Peut-être. Dans le sens où on a été un exemple que ça se peut, une micro sur la Côte-Nord. Ça nous fait surtout plaisir de ne plus être les seuls à promouvoir la bière artisanale d’ici. » D’ailleurs, St-Pancrace a prêté ses installations aux trois autres brasseries nord-côtières à leurs débuts, question de leur permettre de brasser un bon volume dès le départ.

Cet esprit de collaboration s’étend aussi à l’approvisionnement en ingrédient locaux. St-Pancrace s’efforce toujours de faire affaire avec des producteurs du coin pour donner une saveur toute nord-côtière à ses bières. « On aime travailler avec des partenaires locaux parce que ces gens-là sont souvent les meilleurs dans leur domaine. »

Par exemple, pour créer la Fleur de feu, la brasserie travaille avec La Maison de la Chicoutai à Rivière-au-Tonnerre, qui lui fournit les feuilles de chicoutai qui seraient autrement difficiles à obtenir. « La cueillette est assez ardue : ça pousse dans les tourbières et les marécages, un fruit par plan. Chaque plant est à 4-5 pieds de distance l’un de l’autre, il y a de la mouche et avec tes bottes de rubber, tu peux caler n’importe quand! »

Notre appréciation

Triple à la tisane de chicoutai

Alcool : 9,1% | IBU : 24

Publicité

D’un doré voilé surmonté d’un mince col blanc, la Fleur de feu présente des arômes de raisin blanc et vert, de poire et de tisane. L’alcool est également assez présent. En bouche, c’est très fruité et floral : pêche, abricot, framboise et hibiscus, soutenus par le malt et les épices de la levure belge. La finale est chaleureuse, plutôt sucrée et peu amère. Une interprétation intéressante et tout en finesse d’un style classique.

Uapishka : sortir de sa cour

Publicité

En 2017, forte de son succès, St-Pancrace déménage dans un nouveau bâtiment pour doubler sa production. Et tant qu’à pouvoir enfin distribuer hors de la Côte-Nord, la brasserie en profite pour se refaire une beauté. « Avant, c’était mon collègue André qui faisait les étiquettes à trois heures du matin sur son Photoshop. C’est correct au début, mais ça a ses limites! »

C’est donc l’agence Tank qui est mandatée pour revoir le branding de St-Pancrace, simplifiant le graphisme et mettant l’accent sur les histoires et le folklore local. « On a l’impression de s’être rapprochés encore plus de ce qu’on est. C’est juste qu’avant, avec nos moyens limités, on n’était pas en mesure de le mettre en images. »

Et pour les curieux qui se demandent pourquoi la brasserie s’appelle St-Pancrace, le nom fait référence à une baie située près de Baie-Comeau où il y avait jadis beaucoup de contrebande d’alcool. « À l’époque, un bateau a jeté sa cargaison dans la baie pour ne pas se faire coincer par les autorités. D’où notre logo de baril flottant dans l’eau. »

« La Uapishka, c’est la bière qu’on brassait dans le sous-sol pour nos amis. »

Publicité

Outre le changement d’image, une bonne façon de se faire remarquer, c’est de gagner des prix. C’est justement ce qu’a accompli St-Pancrace avec sa Uapishka, sacrée meilleure blanche au Canada aux World Beer Awards de 2016. « Ces prix-là ont peut-être convaincu des gens de la région qui hésitaient à goûter à nos produits. »

D’ailleurs, la Uapishka a toujours été la bière phare de St-Pancrace : au pub, elle compte pour un achat sur trois. Pas si mal, quand on connaît ses origines modestes : « La Uapishka, c’est la bière qu’on brassait dans le sous-sol pour nos amis. Ça me fait toujours un petit velours de savoir qu’elle est disponible à des endroits comme le Club de curling de Sept-Îles. C’est pas une place où on s’attendrait normalement à trouver de la bière de micro. »

Mais plutôt que de s’asseoir sur leurs lauriers, les dirigeants de St-Pancrace ont le regard résolument tourné vers l’avenir. Et cet avenir est fait de chêne et d’aluminium. « On prévoit remplir notre chai au début de l’automne pour amener notre clientèle vers d’autres types de saveurs qui sont peut-être moins disponibles dans notre coin. On va aussi passer à la canette d’ici février prochain pour notre production régulière. »

Publicité

Mais surtout, Pierre-Antoine Morin tient à maintenir le cap sur ce qui guide St-Pancrace depuis le début : mettre la Côte-Nord au centre de ses produits. « On veut continuer à découvrir notre territoire. Y a plein d’autres aromates, fleurs, fruits ou produits de la mer qu’on veut intégrer à nos produits. On demeure une brasserie régionale au service de notre monde. C’est quelque chose d’important et qui nous motive à continuer. »

Notre appréciation

Witbier

Alcool : 4,7% | IBU : 12

D’un jaune ensoleillé et légèrement voilé surmonté d’un col blanc éphémère, la Uapishka présente un nez frais où l’on retrouve des oranges et du blé, et les épices de la levure belge. En bouche, c’est rond et effervescent, avec les mêmes saveurs que celles détectées au nez. L’orange s’étire dans une finale très peu amère, tout en douceur.