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La mixologie, c’est out. Ce qui est dans le vent, c’est la bière de microbrasserie (et définitivement pas l’expression « dans le vent »). C’est pour ça qu’URBANIA a décidé de s’y intéresser en faisant des portraits de microbrasseries d’ici. Parce que de plus en plus de gens en parlent, mais aussi parce que c’est un bon prétexte pour boire sur la job.
En 2009, la microbrasserie Le Trèfle Noir est devenue le premier broue pub à ouvrir ses portes en Abitibi. Et le pari n’était pas gagné d’avance, les habitants de Rouyn-Noranda ayant davantage un penchant pour la Coors et la Bud Light que pour la bière artisanale. Ajoutez à ça l’éloignement de la ville – après tout, on la surnomme souvent Loin-Noranda –, le défi était assez imposant. Rien pour arrêter Alexandre Groulx.
Discussion avec le copropriétaire et brasseur en chef du Trèfle Noir.
Chernoe Pivo : brasser en #abitibeer
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Originaire de Victoriaville puis étudiant à Rouyn, c’est chez McAuslan qu’Alexandre Groulx a d’abord fait ses classes en tant que brasseur. En 2009, après trois ans à la célèbre brasserie montréalaise, le jeune apprenti a eu envie de voler de ses propres ailes. Le projet de démarrer un broue pub avec sa conjointe Mireille a commencé à germer.
Mais il fallait trouver un endroit où s’établir. Le cofondateur du Trèfle Noir raconte. « On a pris une carte et identifié tous les endroits au Québec où il n’y avait pas encore de broue pub. Il y avait l’Abitibi, la Côte-Nord et le Bas-Saint-Laurent, et c’était pas mal tout. Comme ma blonde était originaire d’ici et que je connaissais déjà la ville, on a choisi Rouyn. »
Rapidement, la demande a dépassé la capacité de production. En 2012, Le Trèfle Noir ouvrait donc une usine de production, notamment grâce au succès de la Chernoe Pivo, un stout impérial vieilli en fût de bourbon. « C’est vraiment cette bière-là qui nous a mis sur la mappe. On a participé à un événement du Brouhaha à Montréal et tout le monde nous demandait où ils pouvaient se la procurer. C’est là qu’on a décidé de se mettre à embouteiller. »
Évidemment, s’établir si loin des centres urbains vient avec des inconvénients. « C’est sûr que ça coûte beaucoup plus cher en ce qui concerne l’exportation et l’approvisionnement en matières premières. Au début, on essayait d’accoter le marché en matière de prix, mais on s’est vite rendu compte qu’on n’avait pas le choix d’être un peu plus cher. »
Même pour ce qui est de la consigne, être en région présente des défis. « Étant à Rouyn, ça coûte plus cher de shipper les bouteilles sales pour les faire laver à Montréal ou Québec. Ça paraît simple quand tu vas porter ta bouteille au dépanneur, mais nous, faut tout ramasser ça, gérer ça… C’est pour ça qu’on a pris le virage vers la canette récemment. »
Ironie du sort, la première bière dégustée pour ce portrait est disponible seulement en bouteille. (On promet de la rincer avant de la ramener.)
Notre appréciation
Stout impérial | Alcool : 8,7 %
D’un brun foncé presque noir surmonté d’un épais col beige, la Chernoe Pivo a des arômes de malt torréfié, de fruits confits et de moka, accompagnés des effluves vanillés et boisés du fût de bourbon. En bouche, le café moka et le fût de bourbon dominent. En finale, une bonne amertume est appuyée par des saveurs torréfiées et juste assez sucrées. Ce stout pourrait avoir plus de texture, mais ça goûte tellement bon qu’on est prêt à passer par-dessus.
Gosebuster : oser la stabilité
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Si plusieurs brasseries tentent de se démarquer en choisissant une niche bien précise (bières sauvages, houblonnées, barriquées, classiques allemands, etc.), Le Trèfle Noir semble toucher un peu à tout. Alexandre Groulx ne s’en cache pas : au départ, il y allait au feeling et tirait dans toutes les directions.
Avec le temps, il s’est mis à expérimenter et à s’inspirer de ce qui se faisait ailleurs. « On essaie toujours d’avoir une petite touche innovatrice. Il y a cinq ou six ans, y a pas grand monde qui parlait des IPA aux fruits. J’en avais goûté quelques-unes en Californie et j’ai décidé de tester le marché ici avec la California, notre IPA au citron. Je sais pas si on a été les premiers à l’avoir fait, mais y en n’avait pas beaucoup. » Même chose pour la Joannès, une berliner weisse au cassis ayant fait plusieurs petits ailleurs après son lancement.
Mais son gros succès, c’est la Gosebuster, développée avec Mathieu Garceau-Tremblay (anciennement de la brasserie Harricana) et meilleur vendeur du Trèfle Noir depuis un peu plus d’un an. « On a fait une gose à 6% au lieu du taux d’alcool plus faible habituel au style, et on y a ajouté des feuilles de lime Kaffir et du sel de mer. »
Alexandre Groulx ne veut toutefois pas prendre tout le mérite pour ses succès. Le brasseur est entouré d’une équipe et se fait un devoir de consulter ses employés pour le guider dans ses décisions. « Une bonne partie de nos employés sont là depuis le début. C’est des gens qui ont autant d’expertise que moi, et même plus. Ils boivent plus de bière de micro que moi. Je serais niaiseux de ne pas les impliquer dans le processus. »
Par contre, pas question de tomber dans le piège de la nouveauté à tout prix. Le Trèfle Noir n’est pas de ces brasseries qui surfent sur les modes sans se soucier du reste. « Je trouve ça important d’avoir une constance dans les produits. Quand tu sors juste des nouveautés, t’as pas vraiment le temps de peaufiner la recette pour que le client ait la meilleure expérience possible. Si plus personne n’en achète après deux semaines, c’est que t’as un peu manqué ton coup. »
Notre appréciation
Gose impériale | Alcool : 6 %
D’un jaune doré trouble surmonté d’un mince col blanc éphémère, la Gosebuster présente des arômes dominés par la lime, avec un aspect vaguement saumuré apporté par le sel de mer. En bouche, une texture soyeuse et peu gazéifiée porte un bel équilibre sur/salé/sucré, avec une impression de key lime pie et une subtile coriandre. La finale est tout en équilibre, toujours avec la présence de lime. Un margarita en canette (et qui ne tombe pas sur le cœur!).
Foublonne : dix ans, dix bières
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Le 1er juillet prochain, Le Trèfle Noir aura dix ans. Et au rythme où les microbrasseries québécoises apparaissent et disparaissent, c’est un véritable exploit que d’avoir su durer aussi longtemps. Le secret d’Alexandre Groulx? « Rester à l’affût de ce qui sort, au Québec et ailleurs. Faire le meilleur produit avec la meilleure qualité possible. Toujours innover, toujours rester alerte. »
Mais à quoi bon faire un bon produit si personne ne vous remarque? C’est pour ça que le Trèfle Noir a procédé récemment à une refonte complète de son image. « Beaucoup de gens disaient ne pas connaître Le Trèfle Noir alors qu’en voyant l’étiquette, ils se rendaient compte que oui, ils nous connaissaient. On a essayé de rendre le visuel plus facilement attribuable à la marque pour qu’il y ait plus de parenté entre nos produits, tout en gardant l’esprit et les personnages d’origine. »
Et pourquoi le format de 355 ml? Alexandre Groulx se confesse. « Je vieillis, je bois moins! Plus sérieusement, je trouvais ça le fun que nos produits puissent devenir des bières day to day. Ça te tente pas toujours de boire une pinte en revenant de la job. En faisant des 4-pack à un prix raisonnable, on se donne plus de chance que les gens l’adoptent comme bière régulière. »
Quand à ce qui s’en vient dans la prochaine année, attendez-vous à boire beaucoup : Le Trèfle Noir prévoit lancer dix nouvelles bières pour les dix ans de la brasserie. À commencer par la Kékéko, un assemblage de pale ale Brett, de Gosebuster vieillie en fût de chêne et de triple belge sure, lancée le mois dernier.
Alexandre Groulx veut aussi sortir une « nouvelle » version de la Foublonne, une IPA américaine qui était sur le menu aux tout débuts du Trèfle Noir. « La recette a vraiment évolué avec le temps. On va ressortir la version originale de la Foublonne, avec des houblons américains un peu plus aromatiques. »
En tous cas, si vous passez à Rouyn cet été, surveillez les réseaux sociaux du Trèfle Noir : un gros événement se prépare pour souligner les dix ans de la brasserie, avec une bière officielle du dixième anniversaire.
C’est pas si loin, finalement, Rouyn.
Notre appréciation
IPA américaine | Alcool : 6,5 %
D’un ambré profond et voilé surmonté d’un épais col blanc cassé dense et tenace, la Foublonne présente des arômes maltés, d’orange confite et de résine. En bouche, les saveurs sont fidèles au nez, quoique davantage résineuses, et portées par une texture soyeuse. Une amertume franche se développe en finale. Après une overdose de NEIPA tropicales et juteuses, ça fait du bien de revenir à l’amertume résineuse d’il y a 5-10 ans!