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Microbrasserie du mois: Le Prospecteur

Le Prospecteur en trois bières.

Par
Christian Letendre
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La mixologie, c’est out. Ce qui est dans le vent, c’est la bière de microbrasserie (et définitivement pas l’expression « dans le vent »). C’est pour ça qu’URBANIA a décidé de s’y intéresser en faisant des portraits de microbrasseries d’ici. Parce que de plus en plus de gens en parlent, mais aussi parce que c’est un bon prétexte pour boire sur la job.

Le 20 mai dernier, Le Prospecteur soufflait cinq chandelles. Et si elle jouit déjà d’une réputation enviable, la microbrasserie de Val-d’Or ne compte pas pour autant s’asseoir sur ses lauriers. Discussion avec Philippe Lord, cofondateur du Prospecteur.

Tête de Pioche : hommes à tout faire

Crédit photo: Louis-Joseph Beauchamp

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C’est à l’Université de Sherbrooke, il y a une douzaine d’années, que Philippe Lord et Jonathan Deschamps se sont rencontrés. Tous deux étudiants en génie (l’un mécanique, l’autre biotechnologique), ils sont recrutés par leur faculté pour faire partie de Sherbroue, un groupe technique visant à appliquer les connaissances apprises dans leurs cours à l’amélioration de la production de bière. L’intérêt pour le brassage a rapidement dépassé le cadre académique, les deux comparses ayant par la suite brassé à la maison pendant dix ans et visité des brasseries partout dans le monde.

Après leurs études, les deux Abitibiens de souche se retrouvent dans leur région natale pour travailler dans les mines. C’est sur un coup de tête qu’ils décident de fonder Le Prospecteur, comme le raconte Philippe Lord. « Du jour au lendemain, j’ai décidé que je partais une brasserie. J’ai appelé Jo, je lui ai dit “On décolle ça là, es-tu game?” Il a dit oui tout de suite, on a commandé l’équipement et on a ouvert la brasserie le 20 mai 2014. »

Si de plus en plus de brasseries se concentrent sur un produit phare ou un style en particulier pour faire leur succès, Le Prospecteur a des ambitions plus variées, comme l’explique Philippe Lord. « Ce qu’on vise, c’est d’être bons dans tous les styles. On est rendus la brasserie numéro 3 au Québec sur Untappd, mais on n’a pas misé que sur des bières d’exception pour se rendre là. On s’y est rendus en continuant à brasser de la blonde, de la blanche, de la rousse. »

« Depuis cinq ans, y a aucune version de la Tête de Pioche qui a été brassée avec la même recette. On est rendus à la #161 et chaque version a été différente. »

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Reste que la bière qui a fait la réputation du Prospecteur est sans contredit la Tête de Pioche, une IPA américaine. Et ce qui étonne le plus dans ce succès, c’est qu’elle n’est jamais la même de semaine en semaine. « Depuis cinq ans, y a aucune version de la Tête de Pioche qui a été brassée avec la même recette. On est rendus à la #161 et chaque version a été différente. »

D’abord inspirée des West Coast IPA, elle a tour à tour été plus forte en alcool, plus amère, moins amère, moins forte, puis elle a changé de côte pour se rapprocher des New England IPA. Mais ces variations sont loin d’être faites au hasard. Les brasseurs sont très à l’écoute des commentaires de leurs clients, qui sont nombreux à les goûter toutes.

Et pour Philippe Lord, c’est là toute la beauté d’avoir un pub plutôt que de se concentrer seulement sur la distribution. « Ouvrir une microbrasserie sans pub, c’était impensable. Avec un pub, t’as une réponse immédiate. Si tu sors une bière ce soir, y a 95 personnes qui vont te donner une réponse live. En distribution, quand tu sors une nouvelle bière, ça s’en va un peu partout, les conditions d’entreposage sont variables, c’est jamais parfait. Avoir une place où tu peux goûter aux produits frais, en rotation constante, de top qualité tout le temps, c’est bon pour tout le monde. »

Notre appréciation

IPA américaine (version #160)

Alcool : 6,2 % | IBU : 58

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D’un jaune paille voilé surmonté d’un col blanc tenace, la Tête de Pioche présente des arômes tropicaux où se relaient ananas, papaye, mangue et goyave. La bouche est soyeuse. On y retrouve les saveurs détectées au nez, mais avec un peu moins d’intensité, auxquelles s’ajoutent le melon. Une amertume modérée demeure en finale, toujours avec la salade de fruits du début. Une IPA rafraîchissante et bien équilibrée.

Pastafarik : les hauts et les bas de l’Abitibi

Crédit photo: Marc-André Saumur

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Quand Le Prospecteur a ouvert ses portes il y a cinq ans, la bière artisanale n’était pas le breuvage de prédilection à Val-d’Or. Pourtant, les astres semblaient alignés pour que le projet de Philippe Lord et Jonathan Deschamps ait du succès. « À Val-d’Or, niveau bars, ça commençait à faire pas mal pitié. Après l’enquête Écrevisse (vous souvenez-vous des trois détenus qui s’étaient évadés en hélicoptère?), il y a 5-6 bars louches qui ont fermé. On est arrivés tout de suite après cette vague-là. On est devenus le bar du peuple, une place le fun avec de la bière différente et un menu intéressant. »

Reste que malgré l’opportunité à saisir, il y avait beaucoup de travail à faire pour convaincre les consommateurs de changer leurs habitudes. « Ma mission dans toute cette aventure-là, c’était l’éducation. La première année, j’organisais des dégustations privées. J’ai travaillé avec les IGA du coin pour faire rentrer de la bière d’autres microbrasseries québécoises. J’ai été chroniqueur bière à Radio Énergie pendant deux ans pour parler de bière artisanale et montrer qu’il y a autre chose que Bud Light, Coors Light, Rickards Red, etc. »

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Mais se partir en affaires en Abitibi a aussi ses avantages. « Être en région, c’est la plus belle affaire parce que les clients qu’on a à Val-d’Or, ils sont fiers. Tout le monde a une casquette et un t-shirt du Prospecteur. Tout le monde a les verres chez eux. Quand t’es à Montréal, c’est rare que le propriétaire connaît les trois quarts du monde dans son bar, alors que moi, je peux aller leur serrer la main en les appelant par leur nom et en nommant leur bière préférée. »

« Quand t’es à Montréal, c’est rare que le propriétaire connaît les trois quarts du monde dans son bar, alors que moi, je peux aller leur serrer la main en les appelant par leur nom. »

L’Abitibi, l’équipe du Prospecteur essaie aussi de lui rendre hommage dans la confection de ses bières. Quand la recette s’y prête, il y intègre des ingrédients indigènes comme le chaga, l’achillée millefeuille ou le mélilot blanc. « Ce sont tous des ingrédients qu’on ramasse ici et c’est quelque chose qui nous tient à cœur, la fierté de la région et du territoire. »

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L’histoire de la région sert aussi d’inspiration à la microbrasserie pour certains de ses produits. Dans la dernière année, Le Prospecteur a embouteillé des brassins spéciaux pour le 100e anniversaire des villages de Landrienne et de Senneterre. Même le folklore local s’invite dans les cruchons du Prospecteur, comme en fait foi la Pastafarik, décrite comme « une IPA brune prophétique qui reflète les valeurs spirituelles et la tradition religieuse des prospecteurs abitibiens ».

Notre appréciation

IPA brune belge de blé

Alcool : 5,8 % | IBU : 55

D’un brun voilé rappelant le cruchon d’où vient de sortir le liquide, et surmonté d’un col beige crème dense et tenace, la Pastafarik présente un nez houblonné, floral et de citron confit, suivi d’arômes de fruits mûrs et d’un soupçon de vanille. En bouche, c’est légèrement sucré et torréfié, avec des saveurs de pain aux bananes, de caramel foncé et de cerise noire. La finale est modérément amère et relativement longue. Une bière atypique dont les saveurs évoluent à chaque gorgée.

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Noce de Bois : aujourd’hui l’Abitibi, demain le monde

Crédit photo: Philippe Lord

Si vous n’habitez pas en Abitibi, il y a de fortes chances que vous n’ayez pas souvent vu de bière du Prospecteur chez votre commerçant préféré. La raison est simple : la brasserie n’a pas un assez grand volume pour distribuer hors Abitibi. (Ou alors, les Abitibiens en boivent trop pour qu’il en reste suffisamment pour le reste du Québec.)

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Mais au-delà de la production, la pénurie de main-d’œuvre qui frappe l’Abitibi depuis quelques années a également son rôle à jouer. « Notre plus grand défi, c’est la distribution. Les compagnies de transport manquent de staff. Moi j’essaie de grossir. La première année, on a fait 36 000 litres de bière. L’année passée, on en a fait 174 000. Tout ça avec les deux mêmes compagnies de transport pour livrer. Quand notre bière est prête à être livrée mais que ça part pas parce que les trucks arrivent pas, ou quand on attend du grain et de la levure mais que ça arrive pas parce qu’il manque de camionneurs, ça rend les choses plus complexes. »

Pour compenser, certains commerçants se servent de leurs amis abitibiens pour mettre la main sur les produits tant convoités. « Il y a beaucoup de dépanneurs spécialisés qui passent des commandes à leurs amis quand ils savent qu’ils vont se rendre à Val-d’Or. Ils s’arrangent avec eux pour qu’ils ramènent une commande dans leur valise de char! »

En attendant, Philippe Lord garde le cap sur son objectif ultime : devenir la meilleure brasserie au Canada.

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Mais réjouissez-vous, gens de la ville : Philippe Lord et Jonathan Deschamps réfléchissent à une possible expansion, notamment via l’ouverture d’une usine pour augmenter la production. « Notre questionnement, c’est toujours : si on brasse plus de bière, est-ce qu’on va être plus heureux? Peut-être pas. Est-ce qu’on va faire plus d’argent? Peut-être pas. Est-ce qu’on va rendre plus de gens heureux? Certainement. Mais est-ce que nous, en tant qu’entrepreneurs, on va être plus heureux d’automatiser tout ça, d’enlever un peu le côté artisanal? Je sais pas. »

En attendant, Philippe Lord garde le cap sur son objectif ultime : devenir la meilleure brasserie au Canada. « On a toujours cet objectif-là en arrière de la tête. À chaque bière qu’on fait, on essaie que ce soit la meilleure, pour un jour être la meilleure brasserie au pays. Je pense que c’est atteignable. »

Peut-être que la microbrasserie atteindra le haut du podium avec sa Noce d’Étain pour son 10e anniversaire? Qui sait. Pour le moment, on déguste un verre de Noce de Bois, et on le lève à la santé du Prospecteur!

Notre appréciation

Assemblage (old ale anglaise et scotch ale à l’érable)

Alcool : 8,3 % | IBU : 28

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D’un brun foncé aux reflets acajou surmonté d’un col beige moyen qui s’estompe lentement, la Noce de Bois présente des arômes de pain d’épices, de bananes et de cerises au marasquin. Les différentes barriques (téquila et bourbon) se font plutôt discrètes. La bouche est fidèle au nez, mais avec une présence plus marquée du fût de bourbon, et des épices plus effacées. Le fût de téquila se fait finalement sentir en finale, accompagné du bourbon, d’une légère amertume et de chaleureuses vapeurs d’alcool. À boire davantage en fin de noce qu’au début!