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Mettre les gens dans des cases

Par
Judith Lussier
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Combien de fois avez-vous dit de quelqu’un que c’était «un crotté», d’une fille que c’était la fille la plus jalouse que la terre ait connu, ou d’untel qu’il croulait sous l’ambition? On fait tous ça. Ça nous simplifie tellement la vie de pouvoir se faire une opinion rapide sur quelqu’un. Il y a tant de gens à jauger, et si peu de paramètres pour le faire : le cerveau va au plus simple.

Je constate ces temps-ci que plus nos jugements sont brutaux, moins ils sont basés sur des faits. S’ils le sont, il s’agit de petits faits anodins, rapportés par un autre, d’une histoire mal contée, d’une chronique mal comprise, d’une médaille juste vue d’un côté, qui nous a permis de mettre une fois pour toutes la personne dans une case et de clore le dossier.

«Paraît qu’il a trompé sa femme plein de fois!» : un crotté.

«Cette fille-là a déjà fait chier mon ami» : une grosse conne.

«C’te chroniqueuse-là a déjà écrit que les riches payaient trop d’impôts» : une grosse conne de droite.

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Je sais pas pourquoi, plus on souffre d’étroitesse d’esprit, moins on a tendance à vouloir bouger les gens de la case dans laquelle on les a mis. Aux dernières élections provinciales, ils ont été plusieurs à mettre Pauline Marois dans la case de «la rue». Parfois, c’est bêtement par orgueil que l’on casifie les gens: il n’a pas été d’accord avec moi, je le mets dans ma liste noire. Il y a vraiment des gens qui ont des listes noires.

Je ne me sens pas plus brillante qu’une autre. Je suis très forte, quand vient le temps de mettre les gens dans des cases. Tenez, hier, par exemple, quand j’ai su que Justin Trudeau ne voulait pas rembourser les 20 000$ qu’un organisme de bienfaisance lui a demandés, je l’ai tout de suite mis dans la case des cheaps, avec Michel Girouard et Séraphin Poudrier.

Mais j’essaie très fort de ne pas laisser les gens dans les cases où je les ai mis. Par exemple, lors de son plus récent passage à Tout le monde en parle, j’ai fait passer Denis Coderre de la case «politicien sympathique qui pourrait arriver à faire bouger les choses grâce à son charisme», une case déjà bien occupée par Régis Labeaume, à la case «politicien opportuniste qui n’a pas vraiment d’idées pour la ville», un autre casier assez plein.

Les politiciens sont les premières personnalités publiques qu’on voudra mettre dans une case. C’est normal : on doit se faire une idée rapide du type, parce que tôt ou tard, il faudra ne cocher qu’une seule case. À la télévision, on ne fait que ça, mettre les gens dans des cases. Vous pensez qu’il y a de la discrimination en milieu de travail? Vous n’avez jamais assisté à un brainstorm de casting. «Ah, pas lui, trop gai; pas elle, trop matante».

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Les chroniqueurs aussi, on les met dans des cases, ce qui facilite grandement notre lecture des journaux. De gauche, de droite, identitaire, fédéraliste, féministe, lesbienne. On saute ceux qui sont plates, on lit ceux qu’on a mis dans la case «lui je l’aime parce qu’il pense comme moi», parfois on se risque à lire Mathieu Bock-Côté parce que force est d’admettre qu’il a des idées, même si ce ne sont pas toujours les bonnes.

Peu importe dans quelle case on se trouve, l’important est d’essayer de s’en sortir. À moins que la case dans laquelle vous vous trouvez vous convienne : après tout, Michel Louvain semble avoir toujours été à l’aise dans sa case à lui.

Personnellement, je m’amuse à forcer les gens à me changer de case ou à ne plus savoir dans quelle case me mettre. L’autre jour, j’ai dû abandonner un projet qui me demandait trop de temps. C’est vraiment pas mon genre de faire ça, mais pour le bien du projet, valait mieux céder ma place à quelqu’un d’autre. Les personnes que j’ai abandonnées m’ont de suite mise dans la case des «chokeuses», mais j’ai été tellement sympathique dans mon abandon (je leur ai fourni un super rapport, j’ai continué à leur envoyer du contenu, je leur ai proposé de former ma remplaçante), qu’elles n’ont pas eu le choix de me tasser dans la case «chokeuse sympathique quand même».

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On appelle ça être en dissonance cognitive, et ça, c’est l’un des processus psychologiques les plus merveilleux, parce qu’il nous force à contrer notre rigidité d’esprit et à percevoir les choses de manière plus créative. Pour le bien de l’humanité, aujourd’hui, donnez donc une chance à quelqu’un et sortez-le d’une case.

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