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Més que un Cannabis Social Club

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300 clubs, des millions d’euros, des investisseurs étrangers : A Barcelone, c’est la ruée vers l’or (vert) grâce au modèle des Cannabis Social Club. Les appétits s’aiguisent dans la ville que certains surnomment déjà la nouvelle Amsterdam.
Barcelone – Carrer Santa Monica.
Dans les Cannabis Social Club, « les associés » viennent « chercher » leur marijuana comme à la pointeuse. Les fauteuils, la musique et la Playstation en plus.
Mais les entrepreneurs de la ganja se sont engouffrés dans la brèche en montant eux aussi leurs clubs privés.

Association de gens, normal

Au Strain Hunters Club, c’est Oscar, quadra sûr de lui, qui nous accueille. Teint orange, allure sportive, et mâchoire serrée, il se présente comme « le président » de son association de « cultivateurs ». Son club : peut-être l’un de plus beaux de toute la ville. A deux pas de La Rambla, le Strain Hunters vous attend dans son ambiance boisée, avec des photos sous verre d’icônes de la culture canna et des fauteuils en skai. Les boissons sont servies par des créatures de rêve pendant que des gros bras distribuent les pochons de beuh à l’aide de balances électroniques über-high-tech. Oscar est fier comme un coq que son club aux faux-airs de datcha accueille la gent féminine :
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“D’habitude, les femmes ne se sentent pas à l’aise. Ici, la fille vient avec son copain et elle est contente parce que le club est joli.”
Pas la peine de présenter le moindre engagement auprès de l’association, ni même de justifier d’un domicile en Espagne.

Cannabiz’ Social Club

La déco est « bohémienne-chic » dixit le patron : ici des canapés chinés de haute volée, un DJ permanent et des projections aux murs de vidéos d’art et d’essai.
El Pais estimait en décembre que les clubs de la ville généraient 5 millions d’euros par mois.

Clandestino

Dans les rues des quartiers touristiques, les clubs – qui ne peuvent même pas poser d’enseigne – sont invisibles. Pas le droit non plus au sacro-saint flyer, ni même d’ouvrir une page sur Internet.
Pour débaucher leur clientèle, les Cannabis Social Club usent et abusent des réseaux sociaux. Sur Instagram, Twitter et Facebook, leurs comptes postent et repostent. Oscar nous présente trois lascars habillés streetwear derrière un comptoir en bois brillant : son équipe de community managers. Nous aurons même la semi-obligation d’être pris en photo pour les réseaux sociaux en compagnie du Big Boss, qui se félicitera qu’on voit à l’image mon magnétophone et mon carnet de notes :

« Ca fait sérieux ».

Oscar nous fait poser pour son Instagram
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Lumpen proletariat

Sur chaque personne qu’il fait entrer dans un club grâce à son parrainage, il touche – d’après ses chiffres – de 25% à 50% des 20 euros de la cotisation obligatoire.
Une misère au vue de sa moyenne haute de 5 adhésions par jour.
Hollandais d’une trentaine d’année qui se touche souvent les narines. Visage émacié et beaucoup trop parfumé, ce sosie de Robbie Williams à l’œil vitreux s’est installé à Barcelone il y a un an et demi, avec pour ambition de faire son beurre dans ce qu’il voit déjà comme « une nouvelle Amsterdam ». *L’idée de génie de Mark : monter une agence touristique qui permette aux touristes de fumer le matin dans des clubs et de visiter la Sagrada Familia foncedé l’après-midi.
Pour le moment il est rabatteur et « cultivateur » de marijuana – il dit fournir un des plus gros clubs de la ville. Pendant notre interview, Mark disparaîtra mystérieusement quelques minutes après avoir reçu un coup de fil.
A l’Ariam, les dealers sont des mama espagnoles
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Business model

Pour remplir leurs caisses, certains clubs n’hésitent pas à enfreindre la loi. Comme le Kush, vraisemblablement le plus rentable de la ville. Devant le Kush, nous verrons sortir en à peine 15 minutes presque une dizaine de très jeunes Français. Le Kush prend un maximum de risques en envoyant une armée de rabatteurs dans les rues de Barcelone – ce qui est interdit – taper les touristes au profil de spring breakers. Certains parlent même de 50 chalands. Romain, à peine 19 ans, a pu rentrer tranquillement alors que l’entrée lui avait été refusée dans d’autres clubs à cause de son âge. A l’intérieur, le personnel est presque exclusivement composé de jeunes noirs – en majorité des Cubains et des Dominicains. L’endroit est étouffant avec au mur des écrans de télé qui diffusent du gros rap pendant que des touristes, vêtus courts et rougis par le soleil, viennent s’approvisionner au « dispensaire » – le comptoir à weed. Un jeune homme, qui a travaillé au Kush, assure que les gérants font un classement des rabatteurs. Avec promotions et humiliations à la clé. D’après lui le club serait tenu par deux allemands, « des noirs » :
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« Ce qu’ils veulent, c’est faire le maximum de fric, le plus rapidement possible avant que la législation change. »
Oscar et le Strain Hunter adoptent une autre stratégie. Le « cultivateur » fait profil bas et espère fidéliser une petite clientèle de qualité pour que le jour où la législation évolue, il soit parmi les clubs les plus réputés de la ville.
À la Mesa, il est interdit de prendre en photo les socios

Hypocrisie

Dans la ville, c’est l’hypocrisie la plus totale. Vous n’entendrez jamais un entrepreneur prononcer les mots de “vendre” ou de “clients”. On dit “partager” et “socios”.
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un des dirigeants de la Terrassa, une des plus grosses boites de nuit de Barcelone !
« Il faut que tu changes de logiciel : ici on parle d’associations et d’adhérents. »
Robert Mosterd, fondateur de La Mesa, y va de son petit sketch :
« Je fais ça pour l’amour de cette plante. À La Mesa tout est réinvesti dans l’association. Il n’y a pas de chiffre d’affaire. »
Tout comme Albert Tio, Robert Mosterd est représenté par le cabinet d’avocats Nieto Povedano qui veille aux affaires d’une bonne partie des Cannabis Social Club les plus rentables de la ville.
StreetPress peut vous parrainer dans plusieurs Cannabis Social Club
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Entrepreneurs

22 kilos de cannabis
l’empire Green House qui gère des coffee shops en Hollande, vend des semences de chanvre et produit même des programmes de télévision diffusés sur National Geographic.
D’autres gérants ont des airs de petites frappes. Comme au BCN THC, un club à l’allure de MJC bas-de-gamme avec sa table de billard, sa Playstation et ses graffiti pour ados. Au BCN THC, on cultive son look gangsta et la moyenne d’âge ne dépasse pas les 22 ans . Les 6 jeunes fondateurs ont investi près de 70.000 euros, de l’argent qui proviendrait de leurs économies … Pourtant son président de 21 ans, Alejandro, est chômage depuis ses 19 ans après une carrière furtive de maçon. Un des habitués ira jusqu’à nous menacer si on écrit des choses qui ne lui plaisent pas.
Le président Alejandro et Mr. Green
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Marché noir

Les proprios du club nous offrent un petit panel de 4 de leurs délicieuses herbes mais attention ! Le barman met tout dans un seul pochon en séparant chaque weed d’une feuille à rouler pour ne pas les mélanger :
« Si tu te fais arrêter par la police avec 4 pochons différents, ils peuvent te mettre en garde-à-vue pour trafic. »
interdit en Espagne
Fournir de la weed en masse à ses socios n’est pas quelque chose de facile pour le commun des mortels : « Faire pousser de la bonne haze comme celle que tu trouves dans certains clubs, c’est super chaud ! Il faut être un pro », assure Mr. Green. Ramon, 30 ans et fumeur depuis toujours, a vu les Cannabis Social Club fleurir dans sa ville natale de Tarragone, à 100 bornes de Barcelone :
« Ce sont tout simplement les dealers de toujours qui ont ouvert leur commerce. »
Attention à la parano ! Le patron du Strain Hunters nous fait fumer. Et voilà qu’on s’attend à ce que déboule d’un moment à l’autre des hommes armés de kalachnikov venu détruire le point de vente d’un « cultivateur » concurrent…
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Régulation

le ministère catalan de la santé explique qu’une loi devrait sortir d’ici deux à trois semaines. La régulation est en marche et c’est la course à l’armement. « Il parait qu’ils ne veulent plus donner de licences. Mais ils ne les retirons pas à ceux qui les ont déjà », croit savoir Alejandro.
A la Meca, Cannabis Social Club version roots
Dans les locaux de La Maca, une association militante pour la dépénalisation du cannabis, Jaume Xaus porte-parole de la fédération de la CatFac, reçoit. Ici, le Cannabis Social Club a des airs de squat entre potes : un dreadeux zone sur un canapé pendant qu’un étudiant passe du blues depuis un ordinateur d’un autre âge. Vous êtes dans le quartier populaire de Sants où il n’y a pas de touristes. Jaume prétend incarner la pureté des Cannabis Social Club : des coopératives de petits cultivateurs qui fonctionnent en circuit fermé, à but non lucratif et qui font vœux de transparence. Le militant craint que les clubs qu’il fédère deviennent « les victimes collatérales » de ceux qui ont « de mauvaises pratiques ». Il demande à ce que la future régulation limite à 500 le nombre d’adhérents par association. Il voudrait aussi faire justifier les socios d’une présence d’au moins 15 jours sur le territoire espagnol.
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De quoi mettre des bâtons dans les roues des entrepreneurs de la weed ? Ce filou de Mr. Green tape une barre :
« Et comment ils vont faire ? Vérifier qu’on demande bien aux touristes leur billet d’avion aller/retour ? »
Le rabatteur, qui squatte tous les forums consacrés au chanvre à Barcelone pour y laisser ses coordonnées, se prépare avec optimiste au début de l’été :
« Je m’attends à recevoir des centaines de messages et de mails. L’année dernière je tournais à 9.000 euros par mois. »
* : Mark ne s’appelle pas Mark
* En VF: “Ici, on ne vend pas et on n’achète pas de marijuana”
NB: L’article a été écrit sous l’influence d’adjuvents