Logo

Mériter son Machu Picchu

Beaucoup de sueur et un peu de frayeur au Pérou.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
Publicité

Ça fait juste une heure qu’on grimpe, mais ça paraît au moins le double. Le soleil a fini de se lever et tape fort à 2400 mètres d’altitude. On n’a encore croisé personne, sauf un Péruvien qui descendait en courant, comme s’il avait Rascar Capac (oui) au cul.

La montagne est à nous, sauf pour les bus remplis de touristes qui zigzaguent sur la route serpentine pour atteindre le sommet plus rapidement.

El camino de los escolares, pfff.

Si mes calculs sont bons, on devrait atteindre le Machu Picchu dans trente minutes.

D’ici là, je grimpe un escalier de pierre un à un sur la montagne escarpée, un pas à la fois.

Publicité

Je commence à tituber, à bout de souffle. Mes pieds sont de plus en plus lourds. Mes halètements sont tellement sonores, que les mots « crise cardiaque » clignotent dans mon esprit en lettres ballon.

Qu’importe, puisque wo-ho-ho, je marche seul (sans foi ni loi).

Victor, étonnamment en forme pour un dessinateur de manga, a au moins cinq minutes d’avance sur moi. Les filles me talonnent, je les entends râler derrière.

Surtout Martine, une diva de la Rive-Sud, qui se plaint sans arrêt.

– Avec tes payes URBANIA, t’aurais pu nous payer un sherpa ou des billets de bus maudit cheap!

– Ok, mais je pensais qu’on voulait mériter notre Mach…

– M’en crisse! Je veux juste une photo devant avec une face sereine pour mon profil Facebook!

Franchement.

Bien sûr, on aurait pu prendre le bus (24$ US aller-retour par personne).

Mais comme nous a dit mon frère Philippe et d’autres qui l’ont marché avant nous : il faut mériter son Machu Picchu.

C’est précisément ce qu’on fait depuis deux jours.

Publicité

On le marche, on le souffre, on le sue, on veut nous aussi pouvoir le fouler la tête haute.

On le planifie aussi, ce qui constitue une épreuve en soi de niveau « obtenir le laissez-passer A38 ».

On le philosophe même, pour ma part en tout cas.

Au loin, j’entends Simone énumérer pour la énième fois le palmarès des choses qu’elle a hâte de manger en rentrant au Québec.

Victor grimpe seul avec sa musique. Il est dans une passe grunge inattendue, qui me rend très fier d’avoir consacré quatre minutes cinquante-deux secondes (cigarette incluse) à sa conception.

Il faut avouer que le contexte commande l’introspection, avec la ceinture de montagnes majestueuses tout autour, qui décuple cette volonté de recueillement.

Pas tous les jours qu’on met le cap sur de mythiques ruines incas tombées dans l’oubli puis retrouvées des centaines d’années plus tard par Indiana Jones (ou un lord anglais, je sais pu).

APARTÉ : chaque fois que je contemple des ruines incas, le jingle d’Indiana Jones pop dans ma tête.

Est-ce que mes enfants se rappelleront de ce moment toute leur vie?

Est-ce que des Péruviens ont déjà vu le Machu Picchu? (J’ai jamais vu le rocher Percé.)

Publicité

Est-ce que des ruines aussi bien cachées étaient faites pour être transformées en Walt Disney andin?

Si tout mon fil Facebook partage des photos de finissant.es de leurs rejetons, suis-je très vieux?

Si des arbres brûlent dans une forêt, mais que plus personne n’en parle, est-ce qu’ils brûlent pareil?

Est-ce que les moustiques locaux qui me bouffent les jambes s’exclament « Yum, esta es verdaderamente una fiesta de los dioses! »?

Si je crève d’une crise cardiaque, est-ce que les gens diront à mes funérailles : au moins il est mort en faisant ce qu’il aime le plus au monde, de la rando?

Est-ce que la relation entre Mendoza et Esteban-Zia-Tao dans Les cités d’or était legit?

Sommes-nous seuls dans l’univers? (blip blip blip blip blop…*)

*Je sais TRÈS bien que non hé hé…

Publicité

En route vers une des sept merveilles du monde, j’ai le temps de penser à tout ça, mais aussi aux efforts abattus pour voir un tas de roches abandonné.

On avait presque passé dix jours à Lima et Arequipa quand on s’est lancé plus sérieusement dans la portion « Machu Picchu » de notre séjour, escale obligatoire il va sans dire.

Visiter le Pérou et aller au Machu Picchu, c’est un peu comme confier une émission de rénovation à un humoriste : les deux sont indissociables.

Notre périple a commencé environ une semaine plus tôt, à Puno, aux abords du lac Titicaca (hi hi hi).

Wikipédia m’a appris qu’il s’agit du lac navigable le plus haut au monde, perché à 3812 mètres et considéré comme le « berceau des Incas ».

J’ai souligné « navigable » parce qu’il existe un lac tibétain s’élevant à plus de 5000 mètres sur lequel il est impossible de faire du pédalo.

D’ailleurs, à Puno, on débarquait dans la cinquième ville la plus haute du monde (3819 mètres), loin devant Montréal (7 mètres).

Publicité

Il faut le vivre pour le comprendre, mais disons qu’on cherche continuellement notre souffle. Bon, moins que des milliardaires en sous-marin (too soon?), mais chaque petite pente devient la côte Berri.

Martine déplore de gros maux de tête, quelque chose qu’elle me répète ad nauseam depuis cette nuit, il y a vingt ans, où je l’ai rejointe au lit avec ma chemise à lacets médiévale, après avoir mis mon CD d’Enya.

Pour limiter les effets, on peut boire du maté de coca (oui, la même feuille qui sert à concocter la droye qui s’ingère par voie nasale).

Ça fonctionne plutôt bien, sans les tics nerveux.

Tant qu’à se promener proche des cieux, aussi bien aller passer la nuit chez Jésus. C’était le nom du propriétaire de notre minuscule logement au sixième étage sans ascenseur (misère) d’un bâtiment fade.

Inutile de vous dire que ça surprend toujours de recevoir ce type de message après notre départ.

Comme je suis un petit comique, j’ai évidemment répondu :

Publicité

« Merci, Jésus, on s’est senti chez toi comme au paradis. On va revenir dans trois jours, amen.

– Tes disciples québécois. »

On reviendra effectivement à Puno quelques jours après le Machu Picchu, avant de traverser en Bolivie.

Pas grand-chose à dire sinon sur Puno, une ville escale dont l’attrait principal est la visite des îles flottantes à partir de son port.

Tout le contraire de Cuzco (située entre Loblaws et Super C), où nous avons passé un peu plus d’une semaine et qui nous a servi de camp de base pour le Machu Picchu.

Publicité

Ah Cuzco, quel coup de foudre! D’abord parce que nous sommes débarqués en plein cœur des festivités entourant la fête du solstice, prenant la forme de défilés, danses et parades dans les rues pratiquement chaque jour.

Il y a l’Inti Raymi (la fête du soleil), l’hommage à Pachamama (la déesse de la terre) et plusieurs reconstitutions célébrant la culture quechua et le passé inca de la capitale historique du Pérou.

Certains jours, il faut jouer du coude pour se frayer un chemin jusqu’à la Plaza de Armas tellement la fête bat son plein. Les étals de bouffe de rue rivalisent de délices de toutes sortes et aller se perdre dans des dédales de rues étroites érigées sur les collines autour constitue une expérience en soi. Sur le parvis du couvent Santo Domingo, des dames sapées en vêtements traditionnels essayent de déposer en ninja des bébés lamas dans les bras des touristes pour leur soutirer quelques soles en échange d’une photo.

Publicité

Ça a fonctionné avec nous, au grand bonheur de Simone qui aime plus les lamas que ma mère aime Serge Lama (Jésus, seul, me jugera).

Même Victor, d’ordinaire une créature de la nuit, semblait momentanément contaminé par le virus de la joie.

C’est dans une des agences éparpillées autour de la place principale qu’on a trouvé notre transport vers le Machu Picchu. Une aventure parallèle en soi. D’abord, vous devez réserver votre billet en ligne (environ 65$ chaque). Faites vite, ils s’écoulent comme des petits ponchos (je suis en rodage au Bordel en septembre) en haute saison.

Pour vous rendre, il y a plusieurs options :

Publicité

1-Le train (de Cuzco à Ollantaytambo), plus dispendieux, mais rapide.

2-Le chemin de l’Inca. Une hike de trois jours à partir de la vallée de l’Urubamba.

3-Une ride de bus vertigineuse à flanc de montagnes de sept heures jusqu’à Hidroeléctrica (une station de train), suivie de dix kilomètres de marche en bordure du chemin de fer jusqu’à Aguas Calientes, un village patenté au pied du Machu Picchu.

Nous avons pris la troisième option.

Deux jours avant le grand départ, on a visité Ollantaytambo, où se trouvent des ruines incas à couper de souffle, sorte d’amuse-gueule de qualité avant le Machu.

Difficile de ne pas écarquiller des yeux devant cette forteresse construite en terrasse il y a plus de cinq cents ans, magnifiquement préservée dans la vallée de l’Urubamba.

Publicité

Mais l’apothéose restait à venir. Déjà complètement sous le joug du Pérou, la proverbiale guinda del helado nous attendait enfin.

Nous avons quitté Cuzco avant le lever du soleil, avec quelques effets personnels. Simone, vu ses antécédents en gerbage dans les transports, a gobé deux Gravol.

La route a la réputation d’être aussi sportive que le Goliath à La Ronde, moins le sentiment de sécurité.

Celle-ci a fait honneur à sa réputation. Pendant sept heures, nous avons louvoyé dans les montagnes, entassés dans une fourgonnette, longeant parfois de quelques pouces des précipices d’où on ne se sort pas avec des blessures superficielles.

Le conducteur inspirait confiance, habitué, klaxonnant dans les courbes dissimulées derrière les pics de roches pour signifier sa présence à d’éventuels véhicules en sens inverse. Parce que la largeur permet le passage d’une seule voiture à la fois.

Publicité

Les enfants ont pratiquement dormi tout le long, Martine essayait de ne pas hyperventiler et moi je me changeais les idées en écoutant de la musique. Le nouvel album de Viviane Audet en boucle ces temps-ci, franchement excellent.

« Ça servira à rien de pas exister. On est mort plus longtemps qu’on est vivant, anyway ».

Des paroles de circonstances pendant qu’on jouait les funambules dans ce décor surnaturel, où les nuages lèchent les montages.

Publicité

On profitait des rares arrêts pipi pour fraterniser avec les autres passagers de la fourgonnette, une famille colombienne ricaneuse en voyage deux semaines au Pérou.

Astrid, 22 ans, étudie en architecture près de Bogotá et posait mille questions sur le Québec, où elle aimerait venir s’installer.

Émile Bilodeau arruinó la fiesta nacional?

No sé, no entiendo nada. Pero mientras esté Paul Piché todo irá bien!

Avant de reprendre la route, la famille formait chaque fois un cercle pour faire des étirements. Cute cute.

Publicité

Une fois au bout de la route, il fallait se farcir les dix kilomètres de marche en longeant les rails, jusqu’à Aguas Calientes.

Là encore, l’effort physique s’estompait tellement le paysage est saisissant. Plus on approchait de l’objectif, plus on avait l’impression de reculer dans le temps et revivre le buzz des explorateurs en quête de la cité perdue.

Sur la route, on croise des kiosques et bouis-bouis de fortune, gérés par des locaux vivant dans des conditions médiévales.

Certaines bicoques en tôle semblent à un coup de vent de l’effondrement.

Rien pour empêcher Martine de s’exclamer froidement :

« Les locataires qui veulent mieux ont juste à investir en immobilier! »

Franchement, méchant manque de sensibilité.

Aguas Calientes est une sorte de village patenté à la Mont-Tremblant, mais avec des touristes costumés en Inca au lieu de douchebags américains. On y passe la nuit avant l’ascension du Machu Picchu (qui signifie « vieux pic » en passant).

Publicité

Et pour répondre à votre question, oui l’eau est chaude à Aguas Calientes. C’est d’ailleurs la seule douche chaude qu’on a eue au Pérou, où geler semble faire partie de l’expérience. Pour se réchauffer, on a eu droit à une bonbonne de propane pas rassurante à Cuzco et une sorte de caille électrique qui réchauffe dans un rayon de 50 centimètres ici à Puno.

Malgré plusieurs couches d’épaisseurs naturelles, je me sens perpétuellement comme Luke Skywalker en train de mourir de froid sur la planète Hoth, avant qu’Han Solo n’éventre un tauntaun pour le réchauffer (niché).

Et nous y voilà, après un repos mérité, en train d’approcher de notre destination, à la sueur de nos jambes.

En train de mériter notre Machu Picchu.

Ce qui frappe en atteignant le sommet, c’est la quantité de touristes déjà sur place avant même huit heures du matin.

La partie « communion avec la nature/chant des oiseaux » de l’aventure prend fin abruptement.

Publicité

Des files s’étendent devant les guichets, où l’on doit présenter billets et passeports. Des guides se bousculent pour vous offrir leurs services.

Dès qu’on franchit la guérite, un sourire triomphant se dessine sur nos visages.

Enfin.

Quelques mètres à peine suffisent pour spotter nos premières ruines.

Est-ce que ça vaut les efforts (et les coûts)? Absolument! Avec le cadre naturel, je pense que c’est la plus belle chose que j’ai visitée de ce voyage (de ma vie?), avec le parc des glaciers qui nous avait laissés sans voix en Argentine.

C’est si grandiose, qu’on en oublie (non sans difficulté) la présence de ces hordes de touristes déguisés encore plus lourds que la fête des Pères sur Facebook, qui monopolisent le site pour faire semblant d’être seul.es devant les ruines.

Mais comme au Pérou on fait comme les Péruviens, on a mis le paquet nous autres aussi, en immortalisant les ruines de tous bords tous côtés (sans poncho au moins).

Au retour (à pied), j’ai réalisé à la dure que descendre est parfois aussi difficile que monter (je donne des cours de croissance personnelle les mardis et jeudis).

Cette fois, on était dix millions dans les sentiers à se suivre à la queue leu leu, ramenant en tête les mêmes images.

Une semaine s’est écoulée depuis notre pèlerinage. C’est fucké parce ça semble déjà si loin. Hier, ça faisait quatre mois qu’on a quitté la maison. Au départ, je me souviens qu’on se disait qu’une fois passé le Machu Picchu, ça serait le début de la fin.

C’est comme ça que je me sens, au moment d’écrire ces lignes.

Par la fenêtre de notre logement, j’entends (encore) les sons d’une fanfare dans la rue en bas. Il y a des enfants déguisés et une mascotte de Super Mario. Je sais plus trop c’est la fête de quoi, on s’y perd sérieux.

Dans le salon, ma famille boucle l’année scolaire.

Ça aussi, ça avait l’air si loin à notre départ en février.

Pour une fois, pas le choix de lever mon chapeau à Martine, qui a pris la charge mentale de l’éducation des enfants. Je la cite :

« C’est plus facile enseigner à 30 élèves en difficulté qu’à ses deux enfants. »

Je lui ai dit que je pouvais la récompenser de ces efforts ce soir avec un clin d’œil, mais elle a encore super mal à la tête. Maudite altitude.

On part en Bolivie demain, vers l’inconnu. Si vous savez ce qu’il y a à faire, MP svp.

D’ici là, le temps déboule et je suis déjà nostalgique d’un Pérou surréel, qui s’évapore déjà comme les brumes d’un rêve.

PS : Vous pouvez suivre Hugo Meunier sur Instagram et sur TikTok.