Le yoga ça brasse. Je ne plie pas comme je veux, ni du corps ni de l’égo. Je dégouline du bas de dos à rester immobile, y’a des positions que ma bédaine, mes tendons et mon orgueil m’empêchent de faire.
Quand je veux me concentrer sur ma respiration mon cerveau s’éparpille. Il pense à hier, il pense à demain, aux achats à faire, à appeler ma mère et il juge. Oh oui il juge! Donne-moi un mortier! Il me juge, juge les gens autour, critique l’odeur dans la pièce, aime le tapis de l’autre…
J’ai énormément de difficulté à trouver le bouton mute. Ma matière grise est plus dure à faire taire que mon amie Mariana Mazza. Si tu connais Mariana, tu sais que ce n’est pas peu dire et si tu ne la connais pas, google-la, elle est fantastique.
Juger, c’est une déformation professionnelle.
Ma job d’humoriste consiste à ce que j’observe la vie, que je la mâche, que je la digère et que je la recrache pour la mettre en scène et surtout, que JE ME mette en scène. Je dois maitriser l’image que je projette non pas pour être belle, mais pour être bonne. Je sais que mon sourcil gauche doit lever au bon moment et que mon corps doit être penché vers l’avant pour que tel punch rentre plus fort. Les détails sont importants.
Le yoga, c’est le contraire.
C’est oublier de quoi t’as l’air et c’est sincèrement la chose la plus difficile que j’ai eue à faire.
Ça et cesser de manger des chips avant de voir le fond du sac. Les deux gros défis de ma vie.
Je ne suis pas bonne au yoga. J’ai l’air d’un morse qui se prend pour une contorsionniste japonaise, je ricane quand la prof dit : “Sentez l’énergie cosmique entre vos mains” parce qu’à chaque fois, j’imagine une boule de feu que je veux lancer sur mon voisin comme une X-Men.
Le vocabulaire de la maître yogi est loin du mien, il y a des trucs qu’elle dit que je comprends peu, d’autres qui me donnent envie d’esclaffer de rire, mais j’y vais à chaque semaine. Elle me fait du bien madame énergie cosmique. Quand j’arrive à me faire taire, que je ne cherche plus si y’a un numéro d’humour à faire avec ça, quand je n’entends plus la respiration du monsieur à ma gauche et que je ne sens pas l’haleine de la madame à ma droite (d’ailleurs la semaine dernière, j’ai compris qu’elle est souple parce qu’est saoule), je réussis, dans ce temps-là, pour une nanoseconde, à donner un break à mon égo.
Je ne veux plus être bonne, je veux juste être là.
Ma prof est géniale, mais c’est la dame non voyante dans mon cours qui m’a enseigné tout ça. Elle ne le sait pas, je ne lui en ai jamais parlé. Elle vient suivre le cours avec son mari qui la guide avec tendresse. À la fin du premier cours, la prof nous a dit : “Alors tous ensemble, pour terminer le cours, on va rire le plus fort possible ok? À go on rit. GO!” Je ne crois pas. Je me botte le cul à tous les soirs sur scène pour provoquer ce réflexe qui vient des tripes pis toi tu nous demandes ça sur commande? “ALLER RIEZ MARIONNETTES!”
J’ai boqué comme une enfant de 4 ans à qui t’avait enlevé sa pomme de tire avant souper. Ensuite j’ai vu la dame aveugle s’y mettre sans même réfléchir. Rire, plier en deux, se foutre de moi et des autres autour. Je l’ai trouvée belle, une passoire à lumière, elle était crampée et surtout solidement campée. C’est celle qui ne voit pas qui m’a ouvert les yeux. J’ai fermé la gueule à mon égo et j’ai ri avec bonheur.
Parce que le yoga ce n’est pas une question d’être bonne, c’est une question d’être bien.
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Pour lire un autre texte de Mélanie Couture: Filles, spaghat et gâteau McCain.