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Chers amis et/ou lecteurs,
Vous qui me lisez de temps en temps, qui aimez, ou pas, suivre mes péripéties amoureuses, mes réflexions mordantes ou profondes, ou nulles, selon le point de vue, vous seriez surpris de découvrir l’adolescente que j’ai été pendant ces 4 ou 5 années de ma vie où je me morfondais à longueur de journée et où j’avais l’énergie vitale d’une huître fumée étalée sur une biscotte.
Un jour, je me suis levée de mon fauteuil Lay-Z-Boy, j’ai jeté les tablettes de chocolat cachées sous mon lit et le sirop d’ipéca qui fait vomir, et j’ai choisi de vivre, si vivre consiste bel et bien à “faire” des choses. Petite à petit, je suis devenue une fille dynamique, full occupée, avec plein d’activités sociales, artistiques, ménagères, etc. Évidemment, avec l’arrivée de la progéniture, ça s’est décuplé. Le nombre de journées où je n’ai même pas pris le temps de jeter un coup d’œil à ma face dans le miroir, vous seriez impressionnés.
Parfois, j’ai cette image que pendant mes années de léthargie adolescente, je me suis accumulé une grosse réserve de carburant, que j’ai chargé mes piles pour des années. Mais je pense avoir fini par vider mes Energizer.
Il y a quelques semaines, ma sœur Hélène m’a prêté son chalet dans le bois pour quelques jours (sans enfants). J’étais brûlée, elle m’a même qualifiée de “au bout du rouleau”, et a décrété que j’en avais besoin. Et ma sœur Hélène, quand elle décrète quelque chose, tu t’astines pas.
J’y allais pour trois jours. Avant de partir, j’étais terrorisée. En plus, Météomedia et Environnement Canada s’entendaient pour dire que ces journées allaient être d’un froid somptueusement inhospitalier. Je m’imaginais compter les secondes qui me séparaient de mon retour.
Mais je me suis ressaisie, et j’ai décidé d’en profiter pour perfectionner l’art du “rester-écrasée-sur-un-sofa-mou-aux-couleurs-automnales-à-la-mode-des-années-70″… Juste écrasée. Pas en train de faire une sieste. Pas en train de lire. Ni de jouer avec mon corps. Ni de méditer. Ni en train de chéker mes courriels (le chalet de ma sœur, c’est un “avec pas de wi-fi”).
La deuxième journée, j’étais rendue championne du Fairerien. Pas ne rien faire. Mais être avec tout mon esprit dans le vide. Nager dans ce vide. Jouir de ce vide. M’en réjouir Succomber à l’ennui.
Ah l’ennui! Qu’est-ce que ça peut donc nous faire peur l’idée de vivre quelques moments d’ennui!
C’est paradoxal, dans mon cas, parce que ça fait longtemps que je fais l’éloge de l’ennui auprès de mes enfants. Je suis la mère pas cool qui, lorsqu’un de ses petits vient la voir en disant un “M’ennuiiiiiiiiie” comme eux seuls savent l’étirer après 2-3 minutes à ne rien faire, lui fait un beau thumbs-up et lui dit “Génial!”. En général, ça me vaut un regard furibond et un “T’es même pas drôle!”, ce qui est faux, car moi, je me fais rire.
Mais moi, là là, dès que ça fait 2-3 minutes que je ne fais rien, pourquoi me pitche-je aussitôt sur l’ordi pour voir si quelqu’un quelque part a pensé à moi depuis la dernière fois que j’ai regardé mon gmail, hotmail, FB? Pour ensuite me laisser engloutir par le monde virtuel. Juste pour anesthésier ce minuscule sentiment de vide qui commence à poindre, ce feeling de tout seul, d’yspasserien.
Le divertissement immédiat, la fuite, sont tellement à portée de main de nos jours. J’ai beau avoir fantasmé toute la journée sur la soirée reeeelaxe que je vais passer, seule avec un bon livre et une tisane, ça finit la plupart du temps par deux heures de niaisage total, par une perte de temps incommensurable sur Internet. Puis 20 minutes dans mon lit à relire deux fois chaque passage de mon livre parce que mon attention span est misérable après ce flânage dans le monde virtuel.
C’est pas juste Internet. Notre vie moderne semble exiger une performance constante, une efficacité à toute épreuve, qui nous porte souvent à surbouquer nos horaires pour ne surtout jamais avoir l’impression qu’on aurait pu/dû en faire plus. J’ai pas arrêté de la journée, donc, je ne peux rien me reprocher. Il y a un peu de ça, non? Ou c’est juste moi?
Pis après quelques années de ce rythme-là, on en vient qu’à avoir une peur panique du vide. On a peur de disparaître dedans, de ne pas exister pendant les brefs instants où on n’est ni dans l’action ni dans la communication.
J’écris le brouillon de mon billet dans la salle d’attente du médecin (efficacité, quand tu nous tiens…) Autour de moi, presque tout le monde, enfants y compris, est penché sur un appareil électronique, complètement absorbé. Sauf quelques vieux. Et un enfant qui doit faire dans les 48 de fièvre. Moi, j’écris dans mon petit carnet rose, malgré mes yeux qui chauffent et qui coulent, raison de ma présence ici.
Un moment donné, je dois lâcher mon carnet, trop mal aux yeux… et, après quelques minutes, j’ai une super idée pour un autre texte que je suis en train d’écrire. En fait, c’est aussi ça qui est triste dans cette stimulation incessante. C’est que la créativité a besoin de vide, d’espace. Aller une demi-heure sur FB pour s’aérer et chercher de l’inspiration, ça ne vaut jamais un tout petit 10 minutes de vide. Je vous le jure. On ne peut pas tirer sur les carottes pour qu’elles poussent (merci Jou pour la belle image).
J’ai même eu deux idées pour le prix d’une : je vais aller faire un coucou à ma sœur avec mes yeux rougis. Devant mon air hagard, elle va sûrement décréter qu’il me faut encore me reposer à son chalet. Et là là là, checkez-moi ben aller à m’ennuyer avec application. Je vais me mettre comme défi de ne faire que le minimum vital pendant, quoi, toute une semaine? Ouf, j’ai la chienne. C’est fou, non? Chaque fois que j’ai mis de côté mon agenda et que je me suis laissée aller au gré de mes envies, mollo, ça m’a requinquée comme aucun cours de yoga n’arrive à le faire. Alors, pourquoi est-ce que chaque fois, ça me semble pire qu’un saut en bungee?
Il y a peut-être le manque d’habitude, mener une vie effrénée pendant 25 ans, ça laisse des traces. La peur aussi du manque d’efficacité, de penser que tout ce que je ne ferai pas va s’accumuler et qu’il va me falloir pédaler deux fois plus vite au retour. Et, si je veux être ben honnête, il y aussi la rencontre avec moi-même, tsé, à tant me fuir pendant des années, je pourrais être vachement déçue. Et comme la nature a horreur du vide, on ne sait pas trop ce qui va remonter, des vieilles blessures, des déceptions, de la honte… Pis si ça se mettait à remonter, remonter, et que je perdais le contrôle?
Allez, courage, fille. Le vide et toi, vous vous connaissez maintenant, la rencontre sera smooth. Pis ce sera une nouvelle occasion de recharger tes piles. Et qui sait quelle œuvre va en profiter pour poindre en toi?
Voilà, je file faire mes bagages.
Tourlou
Brigitte
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