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Mener la danse des réparations «équitables» de vélos
«Avec moi, madame, vous aurez toujours un prix juste et équitable!», lance tout sourire un jeune homme à une dame en sortant des vélos pour enfant d’une énorme pile de bécanes entassées dans un petit garage en tôle.
Cette scène se déroule dans la ruelle verte Groll, entre la rue Jeanne-Mance et l’Esplanade, dans le Mile-End. Parmi les jouets pour enfants qui jonchent le sol et les plantes qui bordent le tronçon de la ruelle, on retrouve l’atelier de réparation Vélo Talachas, havre des bicycles oubliés et retapés de Montréal, où Juan Carlos Lorena règne en maître.
Par une autre belle journée de mai, je suis allé rendre visite à ce mécano de vélo atypique pour en apprendre plus sur son parcours et sa «mission» pour la communauté.
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C’est ma collègue Estelle qui m’a mis la puce à l’oreille sur l’histoire de Juan. «Il a vraiment une histoire particulière et il redonne full à la communauté! Je suis sûre que ça serait un bon sujet pour Dehors!», m’a-t-elle lancé la semaine dernière.
Deux, trois DM sur Instagram plus tard et j’ai un rendez-vous avec le mécanicien à son atelier en milieu d’après-midi. Lorsque j’arrive à l’heure de notre rencontre, je remarque que le garage est fermé. J’attends donc un peu devant le garage en travaillant mes tan lines d’habitant.
Cinq minutes passent. Puis 10, 15, 20, 30 minutes sans nouvelles de mon intervenant, que j’essaie de joindre par message sans succès. 45 minutes plus tard, je suis sur le point de m’en aller quand un jeune homme à la chevelure noire et débordante de son casque de vélo surgit. «Je suis terriblement désolé! J’ai été pris à mon autre emploi!», me lance Juan, visiblement gêné.
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Il m’explique, tout en ouvrant sa porte de garage coulissante, qu’il partage son temps entre son atelier du Mile-End et un poste de mécanicien pour l’entreprise d’économie sociale CycloChrome, où il répare principalement des vélos du SPVM et des Bixi. «C’est mon côté Clark Kent quand je suis là-bas et ici, je suis Superman!», me lance-t-il avec un grand sourire.
«C’est mon côté Clark Kent quand je suis là-bas et ici, je suis Superman!»
J’ai droit à tout un spectacle lorsque le garage est ouvert. Des dizaines et des dizaines de vélos sont entreposés pêle-mêle dans le petit espace qu’on pourrait facilement qualifier de «joyeux bordel». Des tableaux, une carte du monde et des dessins font office de décoration entre les outils de Juan accrochés au mur.
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«Ce n’est pas un magasin ici. C’est un atelier de réparation, de revalorisation et de recyclage de vélo.»
Il me tend une petite chaise blanche à roulettes pour qu’on puisse faire l’entrevue. «Premièrement, ce n’est pas un magasin ici. C’est un atelier de réparation, de revalorisation et de recyclage de vélo», me reprend-il lorsque je lui lance un «Nice shop!» en commençant notre entretien.
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Si aujourd’hui Juan ne s’imagine pas sa vie sans se graisser les mains sur une chaîne de bécane, il n’en fut pas toujours ainsi. «J’ai une formation comme danseur de ballet professionnel. Je suis parti du Mexique pour vivre de mon art à New York pendant cinq ans puis quand mon visa a expiré, j’ai décidé de mettre le cap sur Montréal pour passer des auditions pour Casse-Noisette avec les Grands Ballets Canadiens», raconte-t-il.
Juan n’a finalement pas été retenu pour le spectacle. Il a cependant pu se rabattre sur un poste de danseur pour Ballet Ouest, une troupe de danse professionnelle de l’ouest de Montréal, pendant trois ans, puis sur quelques shows notamment avec l’École de ballet du Québec et des cours privés avant que la pandémie ne frappe. «Mon dernier contrat était avec le Cirque du Soleil. J’ai travaillé deux semaines puis c’était fini», laisse-t-il tomber.
«Avant d’avoir ma formation, je prenais souvent des vélos abandonnés que je voyais dans la rue, je leur remettais des roues puis je les donnais à mes amis.»
Comme beaucoup de gens, il a alors bénéficié de la PCU pendant des mois avant de tomber sur une formation en mécanique de vélo payée par Emploi Québec. «J’ai toujours aimé la bicyclette et redonner aux gens. Avant d’avoir ma formation, je prenais souvent des vélos abandonnés que je voyais dans la rue, je leur remettais des roues puis je les donnais à mes amis. Ils me disaient que c’était cool, mais que si je voulais vraiment que ça soit bien fait, que je devais faire une vraie remise à neuf».
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Fatigué d’attendre après un retour à la normale, il s’est donc jeté corps et âme dans la formation payée au mois d’août passé. «Au début, je me promenais dans les parcs avec mon chariot pour faire de la réparation mobile. Les gens venaient me voir et je rafistolais leur vélo sur-le-champ avec ce que j’avais. Je ne leur chargeais presque rien», raconte Juan.
Le 8 novembre, le jour de sa fête, il lançait Vélo Talachas avec sa première réparation. «J’ai vu ça comme un signe du destin parce qu’il faisait anormalement chaud cette fin de semaine là et j’ai eu beaucoup de demandes. Ça s’annonçait très prometteur!»
Trouver sa roue de fortune
Loin d’être insensible à la situation précaire que beaucoup de personnes vivaient pendant la deuxième vague de COVID-19 à l’automne dernier, le mécanicien a commencé à donner des bicyclettes aux personnes dans le besoin. «Ça pouvait être autant des gens qui avaient perdu un emploi que des enfants qui n’avaient plus de vélo. À un moment donné, les vélos s’empilaient pas mal sur mon balcon et ma femme m’a dit de trouver un autre endroit pour faire mes réparations», raconte-t-il en riant.
«À un moment donné, les vélos s’empilaient pas mal sur mon balcon et ma femme m’a dit de trouver un autre endroit pour faire mes réparations.»
C’est ainsi qu’il a trouvé le petit garage dans le Mile-End et que ses affaires ont décollé. «Les gens savent que je vais faire un bon travail pour un prix juste, pour ne pas dire d’ami», assure l’ancien danseur, qui estime que la folie du vélo qu’a entraîné la pandémie lui a aussi donné un bon coup de pouce. «C’est fou cette année. Les bike shops sont débordés et il manque de pièces. Les gens se tournent donc plus vers la réutilisation de leur vieux vélo et ils viennent me voir pour les remettre à neuf», affirme Juan, qui prétend être le seul à avoir travaillé tout l’hiver tant la demande était forte.
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«Les gens se tournent donc plus vers la réutilisation de leur vieux vélo et ils viennent me voir pour les remettre à neuf.»
Un jeune garçon s’approche justement de nous pendant l’entrevue pour venir chercher son bolide. «Je passais ici tous les jours et j’ai vu son atelier. Je me suis dit que je viendrais faire réparer le mien ici», me raconte le timide garçon derrière son masque.
Avant de le laisser partir, Juan prend le jeune homme en photo pour l’ajouter à sa liste de clients satisfaits. «C’est ma carte de visite! Je veux qu’on comprenne que mon but, c’est d’abord et avant tout de rendre les gens heureux».
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Avec l’assouplissement des mesures sanitaires et un certain retour à la normale dans les prochains mois, est-ce que l’idée de laisser de côté son atelier pour lacer de nouveau ses chaussons de ballet lui a traversé l’esprit? «Je ne prévois pas me relancer là-dedans de si tôt. Pour moi, c’est un chapitre de ma vie et Vélo Talachas en est un nouveau. Je suis chanceux parce que j’ai trouvé une autre passion qui me permet d’en vivre», avoue Juan, qui ne ferme pas la porte pour autant à un «certain» retour sur les planchers de danse par l’entremise de cours, par exemple.
«J’aimerais que mon atelier révolutionne le modèle des bike shops traditionnels.»
Pour l’instant, le mécanicien fraîchement initié au monde de l’entrepreneuriat compte simplement continuer d’en apprendre plus sur l’univers du vélo et de rendre service aux gens. «J’aimerais que mon atelier révolutionne le modèle des bike shops traditionnels, en quelque sorte. Que ça soit une relation d’amitié et non de commerçant à client avec les gens qui viennent me voir», confie Juan.
Justement, trois clients viennent d’arriver pour faire un petit check up de leur bécane. L’après-midi tire à sa fin et j’arrive au bout de mes questions. «Allô! Ça va bien? Bienvenue!», leur lance le mécanicien avec son éternel sourire en se levant de sa chaise.
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Je le laisse tranquille et lui promets de venir le voir si j’ai des problèmes avec mon bolide. «Tu m’appelles et je te fais ça illico!», me promet Juan pendant que j’enfourche mon vélo.
Sur la route du retour, le soleil est bon et ça sent l’été. Si la dernière année a été éprouvante à plusieurs niveaux, je me dis que ce que propose Juan est d’autant plus pertinent: un vélo bien réparé, mais surtout, un ami pour la vie.
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