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« Men » un film singulier sous le signe de l’horreur et de la masculinité toxique

Un trip timbré et poétique sur les hommes et leur pouvoir de nuire.

Par
Anaïs Bordages
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Peut-être que tous les hommes ne sont pas des ordures, mais tous les Rory Kinnear, ça c’est sûr. Dans Men, l’acteur britannique incarne une ribambelle de rôles, parmi lesquels un flic, un adolescent particulièrement malpoli, un villageois lourdingue, un pasteur misogyne, ou encore un étrange homme des bois. Tous ont leur caractère et leurs particularités physiques, mais leur fonction est la même: perturber les vacances de la pauvre Harper, qui vient de perdre son mari et aurait juste voulu se détendre cinq minutes.

L’héroïne loue au début du film une maison de campagne idyllique dans un petit village anglais, pour se ressourcer après cet événement traumatisant (même si pour Harper, se ressourcer signifie tout de même télétravailler, peut-être un signe de sa nature conciliante). Mais sur place, sa tranquillité est sans cesse interrompue par des phénomènes de plus en plus étranges. Un homme la suit chez elle, un autre l’insulte, tandis que le pasteur du village, d’abord avenant, commence à lui dire qu’elle est responsable de la mort de son mari. Rory Kinnear, talentueux acteur que l’on a vu dans Years and Years, Black Mirror ou encore les films James Bond, est glaçant dans cette performance protéiforme, qui illustre toutes les manières dont les hommes peuvent représenter une nuisance, voire une menace, pour les femmes.

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Violence patriarcale

Le film traînait depuis une quinzaine d’années dans les tiroirs d’Alex Garland, le romancier, scénariste et cinéaste adepte des œuvres de science-fiction existentielles et dérangeantes. On retrouve dans Men les thèmes qui lui sont chers: la nature comme puissance foisonnante et spirituelle (Annihilation), le deuil (Devs et Annihilation), et surtout, les rapports genrés, déjà étudiés sous un prisme plus technologique dans Ex Machina. Sa première réalisation suivait en effet une intelligence artificielle d’apparence féminine, incarnée par Alicia Vikander, qui savait utiliser à bon escient les a priori sur sa douceur et sa vulnérabilité.

Dans Men, la violence patriarcale est plutôt montrée comme une tradition ancestrale, soulignée par les références bibliques (Harper croque dans une pomme au début du film), l’hostilité du pasteur, ou encore l’atmosphère primitive des bois qui entourent le village. Men, comme son titre l’indique, est sans doute l’œuvre la plus frontale de Garland, voire la moins subtile, ce que le cinéaste assume entièrement. Dans le podcast The Big Picture, il explique en effet avoir voulu s’éloigner de la sophistication de ses œuvres précédentes, pour tenter une approche plus évidente, plus rentre-dedans. C’est ce qui rend Men si efficace, si divertissant aussi, Garland maniant avec tact les codes de l’horreur. Preuve du talent de son auteur, le film garde malgré tout une certaine opacité, et laisse le champ libre à une multitude d’interprétations.

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Anti-scream queen

Cela tient en partie à l’aspect subjectif de Men, intégralement raconté du point de vue Harper, qui sera tour à tour infantilisée, harcelée, méprisée, insultée et agressée par tous les hommes du film. À la fois poème sombre et thriller horrifique, Men est aussi un récit initiatique féminin, qui montre Harper se battre obstinément pour garder le contrôle de sa propre vie. Elle est interprétée par Jessie Buckley, actrice multi-talentueuse qui, après Chernobyl, Fargo, Wild Rose, ou Je veux juste en finir, prouve encore une fois son appétence pour les rôles de femmes déterminées, récalcitrantes et hors des cadres. Ici, elle livre une performance d’une grande intensité, dans un rôle qui déjoue habilement les clichés de la scream queen: taciturne, débrouillarde, elle est plus souvent agacée qu’effrayée par ses agresseurs.

Avec Rory Kinnear, l’actrice a d’ailleurs contribué à étoffer et complexifier son personnage. « On a eu deux semaines de répétitions avant de tourner », explique-t-elle lors d’une rencontre au festival de Cannes. « J’ai discuté avec Alex pour apporter une texture ou une humeur différente à mon personnage. » Rory Kinnear détaille: « Ces deux semaines consistaient principalement à être assis sur un canapé avec Alex et Jessie en discutant, et cela a mené à divers changements de répliques et autres modifications. Mais structurellement, l’histoire du film était la même. »

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À part la fin, qui a été modifiée par rapport au scénario original: « C’était une autre sorte de provocation », sourit Rory Kinnear. « Je mutais plus ou moins en une multitude de personnages ». La séquence finale, profondément unique et insaisissable, est en effet celle qui fera sans doute le plus causer à la sortie des salles. C’est aussi celle qui prouve toute la vision singulière du cinéaste, déterminé à éviter les conventions hollywoodiennes et les conclusions facilement digestibles. Une chose est sûre, Alex Garland ne fait jamais rien comme tout le monde, et c’est ce qui en fait un des cinéastes les plus excitants du moment.

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Ce texte a d’abord été publié sur urbania.fr
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