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Mélanie Venditti : la musique pour apprivoiser le deuil

Entrevue au cimetière Notre-Dame-des-Neiges avec l'autrice-compositrice et interprète

Par
Michelle Paquet
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Mélanie Venditti m’avait donné rendez-vous au cimetière Notre-Dame-des-Neiges pour parler de son nouvel album, Épitaphes. La journée était belle et on s’est rapidement rendues compte que le sentier pour accéder au cimetière à partir du campus de l’Université de Montréal était recouvert de neige, de glace et de bouette, gracieuseté du printemps montréalais. Ce cimetière, c’est à la fois l’endroit où elle venait marcher pour se changer les idées lorsqu’elle étudiait à la Faculté de musique de l’UdeM et celui où sa mère est maintenant enterrée. C’était l’endroit tout indiqué pour aller jaser de deuil, de musique et d’amitié.

Après une ascension difficile, maintenant un peu plus essoufflées, et un peu plus complices, l’entrevue pouvait commencer.

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La mort, une industrie

En marchant près d’énormes mausolées, c’était la première fois que j’en voyais ailleurs qu’au cinéma, on s’est mises à parler de l’industrie autour de la mort. « Il faut que tu choisisses un cercueil, une urne… T’es tellement vulnérable, tu pleures, mais tu ne peux pas nécessairement acheter l’urne à 1 200 $ [qu’on te propose] », me racontait Mélanie. En moins de cinq minutes, on était déjà au cœur du thème central d’Épitaphes, le deuil.

L’album, qui sortira en une longue pièce de 45 minutes, a une trame narrative claire. Épitaphes a un début, un milieu et une fin bien marqués avec en son centre deux deuils simultanés, celui d’une mère et celui d’une relation amoureuse. « Les deux premières pièces ont été écrites avant que ma mère décède. La première toune, ça fait longtemps qu’elle a été écrite, mais elle parle beaucoup d’enfance et de comment on perçoit les choses de façon différentes lorsqu’on est enfant et lorsqu’on est adulte, m’explique Mélanie. La deuxième toune, elle parle d’une relation toxique et à la fin de la chanson, je dis à la personne de m’appeler. »

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Cet appel, c’est l’élément déclencheur de l’album. « J’attendais un appel [de son amoureux], mais je reçois un appel d’un ambulancier qui me dit que ma mère est décédée… crise cardiaque. » Personne ne s’attendait au décès de la mère de Mélanie et puisqu’elle était schizophrène, elle n’avait jamais fait de préarrangements funéraires. C’est donc sa fille qui s’est retrouvée à gérer seule son décès et tous les détails qui entourent l’enterrement et la mise en terre d’un être aimé. Le moment est illustré dans l’album par la pièce « Faire tourner les assiettes », qui est encadrée sur le disque par un petit interlude où on entend les sons ambiants d’une station de métro, Mont-Royal, où Mélanie a reçu l’appel qui a tout changé.

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Ne plus être triste

En marchant, nos pas nous ont mené près de la pierre tombale de la famille Venditti, l’endroit où la mère de Mélanie est enterrée. On ne la cherchait pas, même qu’on était convaincue qu’elle était beaucoup trop loin pour qu’on puisse aller la visiter vu la taille du cimetière. À côté, une marmotte se promène tout bonnement entre les allées, on rit. « Ça me fait du bien de passer ici pis de ne pas être triste, me dit Mélanie. Là, ça fait deux ans [depuis le décès de sa mère], l’album lui est prêt depuis un an, masterisé pis toute. Je pense qu’il y a un an je n’aurais pas été capable de le sortir, maintenant je suis tellement plus en paix. »

Tout au long de notre balade, l’ambiance n’est pas lourde ni triste, même si on parle de moments extrêmement difficiles dans la vie de Mélanie. En fait, elle est même lumineuse dans le printemps humide. On parle de son père, qu’elle n’a jamais connu, et qui est décédé il y a 10 ans, puis de son frère, loin dans une autre province et finalement, du passé douloureux qu’elle a décidé de partager sur les réseaux sociaux il y a quelque temps.

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Il y a plusieurs des amis de l’artiste qui ne connaissaient pas tout ce pan de son histoire et qui ont été étonnés par la confidence en ligne. « Pendant #MeToo, je voyais des femmes [témoigner] pis j’étais vraiment pas game de le faire, même si je respectais full [leur décision], me raconte Mélanie. Je l’ai fait [la publication] un peu sur un coup de tête. Ça m’a vraiment fait du bien. Je pense que [son passé] fait aussi partie de ma démarche, ça explique pourquoi j’écris de façon aussi intime. »

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Un projet de groupe

Maintenant orpheline, ce sont ses musiciens qui sont devenus en quelque sorte une nouvelle famille. Au départ, elle pensait faire Épitaphes complètement seule, mais a finalement changé d’idée et c’est devenu un projet de groupe. « J’ai tellement délégué. C’était la meilleure chose que j’aurais pu faire », affirme la musicienne. Plutôt que de s’isoler seule en studio, elle a finalement décidé de s’entourer de Guillaume Guilbault, Étienne Dupré, Mandela Coupal-Dalgleish et Blaise Borboën-Léonard pour enregistrer cet album sur ruban.

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Chaque pièce d’Épitaphes a été enregistrée live en studio, conférant à l’album un son feutré et intime qui s’agence merveilleusement bien avec la voix de Mélanie. Alors que notre balade tire à sa fin et que l’on s’approche d’une sortie, elle m’explique. « L’idée d’aller enregistrer un album live, c’est sans égo. On prend la meilleure track pour tout le monde, même si ce n’est pas nécessairement la meilleure track pour toi. » L’exercice a forcé toute l’équipe à vraiment penser au bien commun et à travailler ensemble. « T’es vraiment à l’écoute parce que tu ne veux pas te tromper… Il y a quelque chose de nerveux et d’effervescent là-dedans. » Juste avant qu’on redescende de la montagne, Mélanie m’a raconté que tout le monde avait pleuré au moins une fois en faisant l’album. C’est à mon tour de lui confier qu’Épitaphes m’a aussi fait verser quelques larmes à la première écoute.

Le dernier album de Mélanie Venditti, Épitaphes, est disponible partout dès aujourd’hui. Vous pouvez la suivre en cliquant ici.

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