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MĂ©gane Sauvé : rentrer Ă  la maison pour Ă©crire l’histoire

À la rencontre d'une future Ă©toile des Roses de MontrĂ©al.

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La vie d’une athlĂšte professionnelle, c’est une montagne russe d’émotions – triomphes, incertitudes, remises en question – mais aussi des appels inattendus, capables de bouleverser l’existence.

Certains d’entre eux rĂ©sonnent comme des Ă©clats de tonnerre. Celui qu’a reçu MĂ©gane SauvĂ©, Ă  l’aube de ses 26 ans, portait un accent familier, un parfum de retour aux sources, et surtout, une promesse : celle d’écrire une nouvelle page du sport fĂ©minin quĂ©bĂ©cois.

Abandonner l’Europe, ses clubs lĂ©gendaires et son ambiance Ă©lectrique n’a pas Ă©tĂ© un choix aisĂ©. Mais l’appel d’une nouvelle formation entiĂšrement fĂ©minine Ă  MontrĂ©al lui a rappelĂ© ce qui la motivait rĂ©ellement : ce dĂ©sir de construire quelque chose de plus grand qu’elle.

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Une enfant du ballon rond

MĂ©gane SauvĂ© n’a pas grandi sous les projecteurs des ligues montrĂ©alaises ni dans le tumulte des stades bondĂ©s. Originaire d’un coin de campagne isolĂ© aux abords de Saint-Hyacinthe, son enfance s’est forgĂ©e au rythme des kilomĂštres parcourus vers les matchs et du soutien inĂ©branlable de ses parents.

« Mon pĂšre a passĂ© ses licences de coaching juste pour m’accompagner, et ma mĂšre gĂ©rait tout le reste. Ils ont fait d’énormes sacrifices. »

Petite et frĂȘle, la Maskoutaine essuyait ses premiers ratĂ©s dans un flot de larmes, comme n’importe quel enfant dont la passion dĂ©borde. Mais Ă  l’adolescence, une Ă©tincelle de compĂ©titivitĂ© se rĂ©veille en elle, une dĂ©termination nouvelle qui allait faire toute la diffĂ©rence. HĂ©sitant entre le hockey, la ringuette et le patinage de vitesse, un choix s’impose. Ce sera le soccer.

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Le vĂ©ritable dĂ©clic survient au niveau collĂ©gial. Les offres affluent, les programmes sportifs lui font les yeux doux et une idĂ©e s’immisce doucement : et si une carriĂšre Ă©tait possible derriĂšre ce ballon rond? Elle rejoint l’équipe du CĂ©gep Garneau, Ă  QuĂ©bec, au sein d’un groupe qui compte des joueuses taillĂ©es en Ă©quipe nationale. « Peut-ĂȘtre que moi aussi, j’ai quelque chose », se dit-elle, les yeux tournĂ©s vers un avenir qui commence Ă  se dessiner.

L’ascension vers le haut niveau

Le talent de Mégane Sauvé ne tarde pas à éclater au grand jour. TantÎt défenseure latérale, tantÎt ailiÚre explosive, elle enchaßne les prestations remarquées, sa vitesse de « road runner » sur le cÎté, ses dribbles imprévisibles et son pied gauche, cette rareté convoitée, la caractérise.

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AprĂšs le cĂ©gep, l’heure du choix arrive Ă  nouveau : rester au QuĂ©bec ou tenter sa chance aux États-Unis? Deux options, deux philosophies. « En NCAA, c’est plus axĂ© sur le conditionnement physique et un jeu plus dur, tandis qu’ici, c’est davantage une question de technique. Et c’est ce qui me parlait », explique-t-elle.

Bien qu’elle ait rĂ©ussi les SAT – les examens d’entrĂ©e pour les universitĂ©s amĂ©ricaines – MĂ©gane opte pour rester au pays. La proximitĂ© avec sa famille et l’approche mĂ©ritocratique des Carabins – « Si t’es bonne, tu vas jouer », lui assure l’entraĂźneur – font pencher la balance.

Le RĂ©seau du sport Ă©tudiant du QuĂ©bec (RSEQ), bien que moins prestigieux Ă  l’échelle internationale que la NCAA, devient le terrain de jeu idĂ©al pour affiner son talent, tout en lui servant de tremplin vers de nouveaux horizons.

En 2017, MĂ©gane enfile le maillot bleu de l’UniversitĂ© de MontrĂ©al et s’impose rapidement comme une figure incontournable.

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DĂšs sa premiĂšre saison, l’équipe dĂ©croche le titre national et MĂ©gane fait sa place parmi les recrues Ă©toiles du pays. Les distinctions s’enchaĂźnent : premiĂšre Ă©quipe d’étoiles du RSEQ en 2018, 2019 et 2021. Puis vient 2022, l’annĂ©e de tous les triomphes : un second titre national, athlĂšte de l’annĂ©e de l’UniversitĂ©, joueuse la plus utile du championnat. Une pluie de rĂ©compenses, Ă  laquelle s’ajoute le titre tant convoitĂ© d’AthlĂšte par excellence du RSEQ.

ParallĂšlement Ă  ses Ă©tudes et Ă  ses saisons universitaires, MĂ©gane s’illustre aussi au niveau semi-professionnel avec l’AS Blainville en PremiĂšre ligue de soccer du QuĂ©bec, entre 2018 et 2023, oĂč son impact est indĂ©niable. DĂšs sa premiĂšre saison, elle reçoit le Ballon d’argent, rĂ©compensant la deuxiĂšme meilleure joueuse de la ligue. En 2021, elle joue un rĂŽle clĂ© dans la conquĂȘte du championnat par l’équipe et dĂ©croche le titre de meilleure joueuse de la Coupe. L’annĂ©e suivante, elle atteint des sommets en remportant le Ballon d’or, avant de rĂ©cupĂ©rer Ă  nouveau le Ballon d’argent en 2023.

Bref, une joueuse dominante.

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Un premier saut en Europe

C’était en juin 2023, Ă  la fin de la saison en PremiĂšre ligue. DiplĂŽmĂ©e en enseignement du français, MĂ©gane n’est plus une Carabin. Ce qui l’avait dĂ©finie pendant toutes ces annĂ©es, cet ancrage dans l’équipe et l’universitĂ©, n’est plus. Cette transition la plonge dans une crise existentielle. « C’était un saut dans l’inconnu, je ne savais mĂȘme pas si je trouverais un contrat pro. L’enseignement n’était pas l’option A. Je voulais juste une opportunitĂ©, une chance. N’importe oĂč dans le monde, j’aurais dit oui. »

Elle attend, attend, et puis, un jour, sa gĂ©rante l’appelle.

C’est ainsi que MĂ©gane SauvĂ© dĂ©croche son premier contrat en Europe, direction le Portugal. Valadares Gaia, un club de premiĂšre division situĂ© prĂšs de Porto, lutte pour sa survie dans l’élite.

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Un billet aller simple pour une saison qui dĂ©bute en septembre. Valadares Gaia n’a pas les moyens des grandes Ă©quipes : « Dans chaque ligue europĂ©enne, tu vois les clubs riches arriver avec leurs bus flambant neufs et leurs sĂ©jours dans des hĂŽtels luxueux. Ce n’était pas notre cas, mais les conditions Ă©taient tout de mĂȘme bonnes. » MĂ©gane, elle, se concentre sur l’essentiel : s’adapter, performer et prouver qu’elle mĂ©rite sa place.

Pour la premiĂšre fois, elle vit la vie d’une professionnelle : se lever, jouer, dormir, recommencer. « Maintenant, mon travail, c’est le soccer », explique-t-elle. Un sentiment puissant, celui de l’accomplissement, comme si toutes ces annĂ©es de travail et de prĂ©paration aboutissaient enfin Ă  un rĂȘve concret. Mais les premiers mois sont remplis de dĂ©fis.

PlongĂ©e dans une culture oĂč tout se vit en portugais, elle doit apprivoiser la langue, un style de jeu plus intense et un quotidien qui bouleverse ses repĂšres. Sa premiĂšre saison est cependant une rĂ©ussite, saluĂ©e par ses entraĂźneurs. « Ils attendaient une joueuse physique, agressive. Je leur ai donnĂ© ce qu’ils cherchaient. »

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Le maillot vert

À l’automne, un nouvel appel bouleverse encore une fois la trajectoire de MĂ©gane. Cette fois, c’est le Sporting CP, mythique club de Lisbonne et formateur de Cristiano Ronaldo, qui lui ouvre ses portes pour un contrat de deux saisons. « La culture du foot lĂ -bas est incroyable. Tout le monde porte des maillots dans les rues. Mais la pression est immense », se remĂ©more-t-elle.

Elle se souvient des paroles de son coach des Carabins, qui lui rappelait constamment : « La clĂ©, c’est qu’il faut que tu sois heureuse. » Toujours extrĂȘmement exigeante envers elle-mĂȘme, MĂ©gane avait parfois tendance Ă  oublier de prendre du recul.

« Je me mettais tellement de pression, mais je rĂ©alise aujourd’hui que la performance vient avant tout avec le plaisir. » Un dĂ©clic qui l’aidera Ă  trouver son Ă©quilibre.

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CĂŽtĂ© prĂ©paration, MĂ©gane avoue ne pas avoir de rituel d’avant-match, ni de superstition particuliĂšre. Peut-ĂȘtre juste un spaghetti bolognaise, clin d’Ɠil Ă  son enfance. « Quand j’étais petite, ma mĂšre m’en faisait souvent. Ça m’est restĂ©. Si j’ai le temps, je m’en prĂ©pare un. Mais je ne vais pas paniquer si je n’ai pas mon spaghetti. »

InstallĂ©e prĂšs du centre d’entraĂźnement avec deux coĂ©quipiĂšres amĂ©ricaines, celle qui porte le numĂ©ro 2 vit dĂ©sormais dans l’épicentre du football portugais.

Bien loin de son Saint-Hyacinthe natal oĂč elle portait fiĂšrement les couleurs du club Tim Bits, elle dĂ©couvre l’effervescence du derby lisboĂšte contre le SL Benfica, la plus grande rivalitĂ© du pays. MĂȘme si la poutine et ses proches lui manquent, ses performances sont solides, et la vie semble enfin avoir trouvĂ© son rythme : un club lĂ©gendaire, un pays oĂč le football est une vĂ©ritable religion, et le soleil ibĂ©rique comme toile de fond quotidienne.

Pas mal.

Mais comme souvent dans la vie d’une athlĂšte, l’histoire prend une nouvelle tournure. Un appel, encore une fois. Cette fois, il vient d’un numĂ©ro 514. Une nouvelle Ă©quipe se monte, chez elle, au QuĂ©bec. Le retour aux sources.

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Un projet impossible Ă  ignorer

Les Roses de MontrĂ©al. L’une des six Ă©quipes de la Super Ligue du Nord. Un projet audacieux, imaginĂ© par des femmes, pour des femmes. « Quand on m’a prĂ©sentĂ© l’idĂ©e, ça m’a tout de suite parlĂ©. Je voulais en faire partie. »

Mais MĂ©gane hĂ©site. Quitter l’Europe, c’est renoncer Ă  la Ligue des champions et une culture qui respire le soccer Ă  chaque coin de rue, une passion palpable qu’elle a appris Ă  chĂ©rir. Pourtant, l’appel d’un projet plus grand qu’elle, celui de bĂątir quelque chose de nouveau, de donner Ă  de jeunes filles ce qu’elle n’a jamais eu – des modĂšles, des figures inspirantes – finit par l’emporter. « Dans le foot, quand tu dis non, tu ne sais jamais si cette opportunitĂ© va revenir. Je ne voulais pas rater le bateau. »

Les semaines passent, et elle savoure ses derniers instants avec le Sporting CP. Mais au fond d’elle, sa dĂ©cision est dĂ©jĂ  prise : retourner Ă  la maison, pour se lancer dans ce projet qui lui ressemble et qui incarne ses valeurs.

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Une mission collective

Revenir Ă  MontrĂ©al, c’est aussi un petit deuil, mais rejoindre les Roses, c’est bien plus qu’un simple contrat. C’est l’opportunitĂ© de repousser les limites du sport fĂ©minin au QuĂ©bec, de bousculer les prĂ©jugĂ©s encore tenaces.

« Être une athlĂšte fĂ©minine, c’est toujours devoir prouver quelque chose. Les gens doutent toujours. Les premiĂšres rĂ©actions sont : “Est-ce que ça va marcher? Est-ce que les estrades seront pleines ?” »

Forte de son expĂ©rience en Europe, son apprentissage professionnel, l’éthique de travail, la constance technique, les standards Ă©levĂ©s
 Tout cela, elle l’a rapportĂ© dans ses valises et veut le transmettre.

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Elle aspire Ă  ĂȘtre cette joueuse qui prouve, match aprĂšs match, que les femmes peuvent remplir les stades, inspirer, et surtout imposer un standard qui force le respect. « Dans le sport fĂ©minin, tu dois toujours ĂȘtre Ă  110 %. Pas Ă  95 %. Parce que tu penses, peut-ĂȘtre Ă  tort, que les gens ne reviendront pas sinon. »

Ce vieux doute persistant en arriĂšre-plan, nourri par des annĂ©es de marginalisation du sport fĂ©minin, relĂ©guĂ© dans l’ombre, mais qui, aujourd’hui, brille enfin.

Et qu’est-ce qu’on souhaite aux Roses dont la saison dĂ©bute en avril ? « Des victoires », lance-t-elle avec un sourire plein d’aplomb.

Mais aussi de vivre pleinement quelque chose d’historique. « Ça fait des annĂ©es qu’on en parle. Ce premier match dans un grand stade
 On pourra dire : “On l’a fait.” » Un moment qui, pour MĂ©gane, est aussi un hommage Ă  celles qui ont pavĂ© le chemin.

« C’est pour ça que je suis revenue. La porte Ă©tait entrouverte. À nous de la dĂ©foncer. »

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