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Médecins en renfort dans les CHSLD : ce n’est pas le moment de se lancer dans les chicanes de cour d’école
«Beaucoup de médecins généralistes, spécialistes vont en mission humanitaire à l’extérieur du Québec. Ils vont aider, ils se dévouent beaucoup. Ce qu’on leur dit aujourd’hui, c’est que la mission humanitaire, là, elle est au Québec, elle est en CHSLD», lançait la ministre de la Santé et des Services sociaux Danielle McCann mercredi lors du point de presse quotidien du gouvernement du Québec.
Dans un Tweet qui a été supprimé depuis, la présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, la Dre Diane Francoeur, a alors répliqué en demandant au Dr Arruda s’il allait être dans les CHSLD, demain. Elle s’est par la suite excusée.
Marc Forget, un médecin omnipraticien ayant passé les 8 dernières années comme humanitaire avec Médecins sans frontières a été piqué au vif par la réponse de Mme Francoeur, face aux demandes du gouvernement.
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Mais pour le Dr Forget, qui a notamment participé à des missions humanitaires lors de l’épidémie d’Ebola, ce n’est pas le moment de se lancer dans des «chicanes de cours d’école».
Plusieurs citoyens dénoncent l’attitude des médecins spécialistes, et notamment celle de la Dre Francoeur. Trouvez-vous que les médecins qui hésitent à aller prêter main forte en CHSLD sont frileux ?
Je ne suis pas prêt à pointer du doigt les médecins. J’ai envie de critiquer le corporatisme médical, plutôt que les médecins. Des exemples de médecins qui ont mis l’épaule à la roue et qui ont fait plein de choses qui n’étaient pas de leur ressort, il y en a plein.
Au CIUSS auquel moi je travaille, on a une cellule de crise à laquelle tout le monde participe à la discussion, même les médecins qui ne savent pas s’ils vont être payés ou pas. C’est toujours un questionnement secondaire. L’engouement des médecins il est là. [NDLR le gouvernement Legault a affirmé en point de presse jeudi que 2000 médecins s’étaient portés volontaires pour prêter main-forte en CHSLD]. Est-ce que c’est la meilleure solution? Je ne pense pas. Je crois qu’on aurait dû mieux payer les préposés et les infirmières, qui savent mieux faire leurs tâches que des neurochirurgiens, par exemple.
On est un peu piégé maintenant, à la suite de la demande du gouvernement Legault. Ceux qui ne veulent pas y aller vont passer pour des sans-cœurs et ceux qui iront aussi, parce qu’ils vont être payés 10 fois le salaire d’un préposé.
Sauf qu’on est un peu piégé maintenant, à la suite de la demande du gouvernement Legault. Ceux qui ne veulent pas y aller vont passer pour des sans-cœurs et ceux qui iront aussi, parce qu’ils vont être payés 10 fois le salaire d’un préposé. Je pense que le premier ministre nous a joué un tour un peu et qu’il a instrumentalisé la situation, mais les fédérations des médecins, ça fait longtemps qu’ils aiguisent le couteau pour qu’il nous le plante dans le thorax. Elles ont souvent pris des positions fermes syndicalistes et corporatives, qui font en sorte qu’aujourd’hui on est pas apprécié, et ça se retourne contre nous. Ce n’est pas surprenant.
On a un gros problème de communication et d’image publique, et on aurait pu faire mieux. Si Dre Francoeur, il y a une semaine, quand on a vu que le buzz était dans les CHSLD et non pas dans les réaffectations dans les milieux hospitaliers, avait envoyé des spécialistes donner des soins au patient parce qu’elle est là l’urgence, on n’en serait pas là. Il me semble qu’on a raté une occasion de devenir aussi populaire que le Dr Arruda, en faisant quelque chose d’assez simple: aller porter secours aux patients.
J’aurais souhaité qu’on soit un peu plus créatif, pour se positionner dans cette crise-là.
Est-ce que pour vous, ce qui se passe au Québec, c’est similaire aux crises humanitaires que vous avez déjà affrontées?
On est pris avec une pandémie avec laquelle personne n’a d’expérience. Il y a de gros manques dans la réponse à cette crise, parce qu’on est un système de santé qui est extrêmement lourd administrativement, tout est assez laborieux. Le réseau de la santé au Québec manque d’agilité pour faire face à des situations comme celle-là.
On voit, entre autres, que le plan de contingence pour ce genre d’évènements n’était pas en place: comment on déploie les ressources, l’équipement, etc.? On a été pris de court, comme dans bien des pays occidentaux et ça s’apparente à une crise humanitaire, effectivement. La crise ici n’est pas comme en Italie dans les hôpitaux où on doit choisir qui on peut intuber, la crise elle est dans les CHSLD.
Et j’imagine que vous devez, en contexte de crise humanitaire, sortir du cadre de vos fonctions?
J’occupe tous les postes où on me demande d’intervenir. J’ai été chef de mission, coordonnateur de projet, coordonnateur médical, médecin. Je vais où il y a des besoins et je remplis les missions pour lesquelles j’ai des compétences… et plus si nécessaire. J’ai déjà fait moi-même des planchers dans une unité qu’on construisait à toute vitesse pour avoir plus de capacité hospitalière.
Dans un contexte comme celui qu’on connait actuellement avec la COVID-19, je pense qu’il faut laisser de côté nos prérogatives de médecin soignant. C’est correct d’aller faire des choses pour lesquelles on n’a pas été formé.
C’est correct d’aller faire des choses pour lesquelles on n’a pas été formé.
En ce moment, on réagit avec les mêmes outils qu’on utilise normalement, alors qu’on est en crise humanitaire. C’est comme s’il y avait quelqu’un qui était tombé à l’eau et qu’on se posait la question, « est-ce que c’est vraiment moi qui dois aller à sa rescousse, alors qu’on a des premiers répondants? »
On est tous là à s’observer et se pointer du doigt, mais la réalité, c’est que les vieux, on les a oubliés collectivement. C’est quand qu’il y a eu une marche pour améliorer le sort des personnes âgées en CHSLD? C’est toute la société qui est à blâmer, pas juste le réseau.
Je trouve ça plate, c’est en train de devenir un fiasco. On est dans une situation de crise, tout le monde est à fleur de peau, et c’est vraiment le temps de laisser de côté sa susceptibilité et d’avancer. On est tous dans le même bateau, et il faut de la souplesse dans les jugements qu’on porte sur les autres. Qui voudrait être premier ministre, ministre de la Santé ou occuper le poste de Dre Francoeur? Ce ne sont pas des postes faciles. Il faut avoir de l’indulgence et on est en train de perdre la chimie qu’on avait depuis les dernières semaines. Tout le monde avance dans le brouillard, et si on se picosse ça va être encore pire. On fera des analyses à la fin de la crise.