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MDMA, kétamine et psilocybine pour guérir de ses traumatismes

Un psychologue nous explique le fonctionnement de la psychothérapie psychédélique.

Par
Thomas Chenel
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Et si on avait jugé les substances hallucinogènes un peu trop vite? Des essais cliniques démontrent que certaines d’entre elles, par exemple la psilocybine (l’élément actif des champignons magiques), la MDMA et la kétamine, pourraient aider des patients souffrant de certains troubles de santé mentale lorsqu’elles sont administrées dans un contexte de psychothérapie.

De la dépression au trouble de stress post-traumatique en passant par l’anxiété et le trouble obsessionnel compulsif, la liste de problèmes qui pourraient être traités avec les psychédéliques est longue. Plusieurs recherches restent encore à faire, mais les résultats des études menées jusqu’à présent tendent à démontrer un succès inespéré.

Si tout se passe sans accroc, la psychothérapie assistée par les psychédéliques pourrait s’ouvrir à la MDMA et à la psilocybine dès 2021 au Canada

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Ces résultats positifs sont une lueur d’espoir pour les thérapeutes et les patients qui attendaient depuis longtemps de meilleurs médicaments. Si tout se passe sans accroc, ils n’auront plus à attendre très longtemps : la psychothérapie assistée par les psychédéliques, déjà possible avec la kétamine, pourrait s’ouvrir à la MDMA et à la psilocybine dès 2021 au Canada pour certaines personnes.

Comment ça fonctionne, au juste? Est-ce vraiment si efficace? Quels sont les risques? Pour répondre à ces questions, j’ai fait appel au Dr Joe Flanders, psychologue et fondateur de la clinique Mindspace, un établissement montréalais qui a déjà commencé à offrir le traitement avec la kétamine.

Les psychédéliques : une nouvelle approche en santé mentale

Ça fait déjà un bon moment que le Dr Flanders s’intéresse aux approches moins traditionnelles en santé mentale : « Ça a commencé en 2000 avec la méditation, qui m’a énormément aidée sur plusieurs plans. J’ai appris à méditer pour moi-même, mais j’ai vite cherché à apprendre comment l’enseigner aux autres, parce que j’adore aider les gens avec ces outils-là. Éventuellement, de plus en plus de recherches ont été réalisées sur les effets de la méditation chez les personnes anxieuses, et c’est pour ça qu’elle est aujourd’hui largement acceptée dans la culture occidentale ».

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Il m’explique qu’on peut observer la même dynamique avec la thérapie psychédélique en ce moment. « Depuis quelques années, on parle beaucoup des études sur les psychédéliques et leurs effets thérapeutiques sur certains problèmes de santé mentale. Comme ça a été le cas avec la méditation, ce sont les résultats de ces recherches qui vont probablement ramener l’utilisation de psychédéliques en thérapie ».

«On est témoins d’une énorme transformation dans notre domaine, c’est probablement la chose la plus intéressante que j’aurais pu m’imaginer vivre de toute ma carrière!»

Plus jeune, le Dr Flanders a expérimenté avec quelques-unes de ces substances dans un contexte récréatif, mais son intérêt pour elles s’est surtout concrétisé avec la publication des récentes études : « Puisque je suis moi-même chercheur, j’ai toujours trouvé important de baser mon approche sur les données probantes. L’aspect scientifique des psychédéliques m’a tout de suite intrigué vu que je connaissais déjà l’aspect subjectif. Je n’ai pas pu résister à l’envie de me lancer là-dedans! On est témoins d’une énorme transformation dans notre domaine, c’est probablement la chose la plus intéressante que j’aurais pu m’imaginer vivre de toute ma carrière! ».

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Un processus complexe pour une expérience sécuritaire

Une séance de psychothérapie avec psilocybine ou MDMA, ça ressemble à quoi? Selon le Dr Flanders, qui n’offre pas cette avenue pour le moment à la clinique, ça commence avec un rigoureux processus de dépistage au cours duquel on s’assure que les candidats peuvent suivre le traitement de façon sécuritaire. Il est primordial de bien connaître chaque personne et de comprendre les principaux facteurs de risque.

Ensuite, il y a une étape d’éducation et de préparation. Le thérapeute et son ou sa patient.e passent quelques séances à parler de l’expérience à venir : « On veut vraiment s’assurer que la personne comprenne bien l’ampleur de ce qu’elle va vivre, et qu’elle nous donne son consentement éclairé. On lui donne aussi les outils nécessaires pour qu’elle puisse mieux gérer les moments plus difficiles, s’il y a lieu ».

«C’est extrêmement important de bien se préparer, de bien gérer le contexte dans lequel l’expérience se déroulera, tant d’un point de vue environnemental que psychologique»

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Une fois préparé, le client fixe un rendez-vous avec le thérapeute pour la première séance avec le médicament. Celle-ci se déroule dans un grand espace invitant, lumineux et confortable. Un sofa, de la musique et un masque de sommeil sont mis à la disposition de l’individu, et on lui donne la substance lorsqu’il se sent pleinement disposé à la prendre. « C’est extrêmement important de bien se préparer, de bien gérer le contexte dans lequel l’expérience se déroulera, tant d’un point de vue environnemental (le lieu, les personnes présentes, etc.) que psychologique (l’état d’esprit de la personne avant et pendant l’expérience). On lui donne aussi le temps d’identifier son intention pour l’aider à retirer des bénéfices de l’expérience. Parfois, on peut mettre en place quelques rituels, pas nécessairement religieux ou spirituels, mais plutôt symboliques et contextuels ».

Les effets de la MDMA et de la psilocybine peuvent durer entre quatre et huit heures. Pendant ce temps, le thérapeute suit le rythme du client : certains veulent parler, discuter de leurs traumatismes ou de ce qu’ils vivent, alors que d’autres préfèrent rester silencieux et écouter de la musique.

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Le processus se termine avec l’intégration de l’expérience. Quelques séances de psychothérapie sont organisées avec la personne pour parler de ce qui s’est passé, et on détermine comment elle peut intégrer ce qu’elle a vécu et appris à sa vie quotidienne. « C’est l’étape la plus importante d’un point de vue thérapeutique : l’expérience psychédélique sert surtout à ouvrir une porte et à exposer les conflits internes. Les séances d’intégration sont primordiales pour régler les problèmes amenés à la surface ». Le cycle dosage-séances d’intégration peut être répété deux à trois fois selon les besoins du client, après quoi la thérapie est officiellement terminée.

La psychothérapie assistée par la psilocybine et la MDMA n’est pas encore tout à fait légale au Canada : ce processus n’existe pour l’instant que dans le cadre d’essais cliniques. « Par contre, on espère pouvoir offrir ces thérapies très prochainement. On compte utiliser exactement le même procédé en clinique privée », me lance le Dr Flanders avec optimisme.

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Un protocole différent pour la kétamine

La psychothérapie assistée par la kétamine fonctionne différemment. Premièrement, il faut savoir que la kétamine peut déjà être utilisée légalement au Canada dans un contexte médical. On l’utilise surtout à l’hôpital comme anesthésiant, mais aussi parfois lors de cas de risque de suicide aigu.

Depuis les années 2000, un psychiatre à l’hôpital peut administrer la kétamine par voie intraveineuse à des patients atteints d’une dépression sévère résistante aux traitements. Pendant ces expériences, le psychiatre n’interagit presque pas avec les patients : contrairement à la psilocybine et la MDMA, la kétamine ne nécessite pas de psychothérapie pour avoir un effet antidépresseur. L’administration seule suffit.

Depuis ce temps, des méthodes de psychothérapie assistée par la kétamine ont été développées, et on les retrouve principalement en clinique privée. Souvent, on y applique des méthodes d’administration moins invasives (le sublingual, par exemple) parce que la perfusion intraveineuse demande énormément de ressources humaines et matérielles. Les effets générés sont moins puissants, mais peuvent tout de même avoir un impact bénéfique sur l’efficacité d’une psychothérapie.

«Il faut se rappeler que c’est un nouveau traitement, et qu’on est encore en train de comprendre comment l’appliquer le mieux possible»

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L’expérience est beaucoup moins longue avec la kétamine : elle dure généralement entre une et deux heures. Les effets sont aussi plus faciles à gérer : « Avec l’administration sublinguale, la personne est encore consciente, ce qui nous permet de faire de la psychothérapie avec elle pendant qu’elle est sous influence. Avec la perfusion intraveineuse, l’expérience est tellement intense que le client est dans ses pensées, déconnecté de la réalité ».

Chez Mindspace, le traitement sublingual est offert en toute légalité : « L’utilisation qu’on fait de la kétamine est off-label, c’est-à-dire que ce n’est pas l’usage le plus commun ou le plus validé par la recherche, mais ça reste une utilisation complètement légale du médicament. Il faut se rappeler que c’est un nouveau traitement, et qu’on est encore en train de comprendre comment l’appliquer le mieux possible ».

Guérir les traumatismes à la source

À la différence des antidépresseurs, qui visent principalement le soulagement des symptômes, l’objectif de la psychothérapie psychédélique est de creuser en profondeur pour guérir définitivement le problème. Le Dr Flanders fait l’analogie avec une chirurgie : « c’est plus intense, plus cher, sur une période plus limitée, mais on vise à éliminer le problème de santé mentale de façon presque permanente ».

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En ce qui concerne la psychothérapie conventionnelle, le plus grand défi est d’établir un lien de confiance et de sécurité entre le thérapeute et le client, qui permettra à ce dernier de s’ouvrir complètement et de révéler les sources de sa souffrance. « Parfois, ça peut prendre beaucoup de temps, surtout quand on fait face à des traumatismes. »

Les psychédéliques permettent de réduire drastiquement ces obstacles en modifiant l’état d’esprit du client, ce qui aurait le potentiel de rendre la thérapie beaucoup plus efficace et de réduire le nombre de séances nécessaires pour atteindre des résultats satisfaisants.

Par contre, il faut se rappeler que les psychédéliques sont des substances complexes et sous-étudiées, qui peuvent générer des expériences profondes et intenses. Elles ont peut-être le potentiel d’aider à guérir des traumatismes, mais elles pourraient aussi en causer si le médicament n’est pas convenablement administré : « C’est pourquoi on doit faire beaucoup de recherche, il y a encore plusieurs questions auxquelles on doit répondre : comment peut-on ramener ces substances dans la société de manière sécuritaire? Qui devrait avoir le droit d’offrir ces traitements? Comment minimiser les risques de mauvaises expériences? ».

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La thérapie avec mdma ou psilocybine accessible dès cette année?

Si tout se passe comme prévu, l’utilisation de la MDMA dans le traitement du trouble de stress post-traumatique pourrait être entièrement légale au Canada d’ici deux ou trois ans. Avec la psilocybine pour la dépression, il faudra attendre un peu plus longtemps, mais les essais en cours vont bon train, et le Dr Flanders est très optimiste : « Dans quelques années, ces traitements seront acceptés, légaux, et accessibles ».

«Si les psychédéliques redeviennent éligibles au programme, on pourrait voir ces traitements devenir accessibles dans les prochains mois pour certains patients.»

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En attendant, des opportunités légales d’accès à ces nouvelles thérapies seront bientôt disponibles grâce au changement d’une politique chez Santé Canada, appelée « Programme d’accès spécial ». Il s’agit d’un programme permettant aux Canadiens d’accéder à des médicaments qui ne sont pas encore tout à fait approuvés par Santé Canada, souvent parce qu’ils sont encore en phase de développement et de recherche.

En 2013, le gouvernement Harper a modifié cette politique pour en exclure les psychédéliques, les rendant inaccessibles d’un point de vue médical au Canada. En décembre dernier, Santé Canada a annoncé la révision du Programme d’accès spécial avec l’intention d’y réintroduire les psychédéliques. L’agence est présentement en période de consultation et de recherche à ce sujet. « Si les psychédéliques redeviennent éligibles au programme, on pourrait voir ces traitements devenir accessibles dans les prochains mois pour certains patients. »

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