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Ça va mal. J’attendais avant d’en parler ici, parce qu’il arrive que les choses désagréables se tassent lorsqu’on les ignore. Du moins, ça marche avec les enfants.

Mais les choses ne se tassent pas. Elles empirent. Entre la crise du PQ, la désillusion du peuple, les balles perdues coin St-Denis/Ste-Catherine, les orages électriques, l’eau qui fait moisir les sous-sols de Montérégie, le départ de Jocelyne Blouin à la barre du bulletin météo (quoi, c’est triste!), sans compter la toute récente prolifération des sauvages qui abattent leurs enfants ou les enfants des autres (finalement, la présence de Jocelyne Blouin dans cette énumération est totalement déplacée), voilà qu’on s’attaque à la danseuse contemporaine Margie Gillis, gratuitement et publiquement, dans le but sordide et empreint de méchanceté de l’accoter dans un coin pour lui sacrer une volée.

Ceux qui n’ont pas vu l’entrevue où Margie Gillis se fait sauvagement piéger par la journaliste Krista Erickson de Sun TV News, vous pouvez malheureusement la regarder ici. Ou, pour ceux qui préfèrent les analogies par la fiction, vous pouvez aussi vous retaper Misery avec Kathy Bates : le sentiment d’inconfort à l’écoute est le même. Substituez aux images de Paul Sheldon celles d’une danseuse étoile en duplex, remplacez les coups de masse sur les chevilles par de la torture verbale, et vous y êtes. Sauf que dans le cas de Gillis, l’histoire n’a pas été inventée de toute pièce par Stephen King. C’est la vraie vie, en direct sur Sun News.

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J’ai sauté les plombs à ce moment précis parce qu’en attaquant Margie Gillis, on s’attaque à la presque totalité de mes amis. À mes idoles, aux gens du monde que je préfère, à ceux qui sont capables de transmettre des émotions avec des mouvements de bras (faut le faire), à ceux qui, dans leur constitution, ont reçu le don non pas de jongler avec des chiffres ni de savoir où construire des condos rentables, mais de divertir et de faire rêver. On s’attaque à la raison de mon humble présence ici-bas; il est normal que je m’insurge.

(Notons que le sujet du financement des arts et de la culture ne sera pas abordé ici. Pour vous donner une idée de ma position là-dessus, j’ai toujours été fascinée par l’époque du Far West : « Si tu désires ce que possède ton voisin, va le chercher sans te faire pogner. » Je ne peux donc vraiment pas me prononcer.)

Aujourd’hui, j’écris pour dire que c’est exactement ici que je débarque. À l’affaire Margie Gillis. Je démissionne. C’est trop triste. Je refuse d’être obligée de créer un groupe pour soutenir le droit à la beauté du monde d’exister. Je refuse d’avoir à me battre pour ça. Je refuse de devoir expliquer à ceux qui ne comprennent pas ce qui cloche dans cette entrevue, ce qui cloche dans cette entrevue. Je refuse d’expliquer à Sophie Durocher, qui prenait hier la défense de l’animatrice sur Twitter, combien elle est dans le champ et pourquoi je voudrais la voir se re-péter la gueule comme la fois où elle a essayé de faire du body surfing à Belle et Bum et que tout le public s’est tassé. Ce que je vais faire, c’est sauver ma peau. Me dissocier. Fermer la télé. Me couper du monde. M’occuper de ma famille, lire des livres écrits par des gens brillants, regarder des films de Woody Allen, remplir mon Ipod de musique géniale ou country, manger des tonnes de légumes verts, essayer de me faire inviter à Noël chez France Beaudoin, faire beaucoup de course à pieds et savourer mon existence paisible à l’abri de la fille de Sun News. Je vais sortir les mots ‘’Stephen’’ et ‘’Harper’’ de mon cerveau. Je vais faire comme Pierre Curzi et les deux autres : je vais devenir indépendante. Ma personne comme seul pays. Je vais inventer le verbe ‘’indépendre’’ et je vais l’utiliser impunément. Parce qu’appartenir ne semble plus être une aspiration sensée dans la réalité d’aujourd’hui.

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Bien sûr, demain, je changerai d’idée. J’aurai peur de l’isolement et je serai en manque de sentiment de collectivité. Pour me remettre sur le droit chemin, je regarderai les Kiwis et je penserai aux paroles pleines de sagesse de cette chanson réaliste et avant-gardiste de Marie-Chantal Toupin :

J’ai pas envie d’me lever
De prendre conscience à mon tour
J’ai juste envie d’me recoucher
De ne pas voir c’qui m’entoure
On a coupé même les arbres
Au beau milieu de ma cour
Et mon coeur est en larme
On a même pollué l’amour

Ce sera assez violent pour me punir d’avoir été curieuse de voir ce qui se passe à Sun TV News, d’avoir cru ceux qui disent qu’il est important d’être informée de tout ce qui se passe chez nous, d’écouter tous les différents points de vue. Faux. Il n’est pas si nécessaire de voir une femme comme Krista Erickson exister et se commettre. Il est nécessaire de la voir exister seulement si on peut la regarder, au cours d’une belle marche en forêt, tomber par hasard sur une Kathy Bates en tabarnak qui cherche à assouvir une soif de vengeance. Alors là, je veux bien syntoniser Sun TV News pour assister à la scène aux premières loges. Et la rendre sauvagement virale.

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