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Marina, je t’embrasse

Chronique d'une salutation ratée.

Par
Olivier Niquet
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Dans son monologue Life as an Introvert – Don’t Be Yourself, l’humoriste américain Mark Normand explique que, contrairement à ce qu’on pourrait croire, il n’y a rien de stressant à faire du stand up en tant qu’introverti. Comme il est bien préparé, rien ne peut arriver. Si quelqu’un dans la salle ose l’interpeller, cette personne risque l’expulsion. Rien d’héroïque là-dedans.

Selon lui, ce sont les gens du public, les extravertis de formation, qui sont les vrais héros:

Vous êtes les vrais héros. Vous êtes du genre à arriver au bureau en jasant, en parlant à tout le monde, sans filet. « Salut, Bob, comment était ton week-end? » Wow, c’est fort! Comment avez-vous appris à dire ça? Avez-vous fait un cours d’improvisation? On dirait Miles Davis! Pas moi. Je dois me préparer pour tout. Tout est préparé. Je vois un collègue de bureau à vingt pieds et je me répète « comment ça va Bob, comment ça va Bob, comment ça va Bob, comment ça va Bob, comment ça va Bob, comment ça va Bob ». Et là, j’arrive devant Bob, je panique et je bafouille.

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C’est un peu l’histoire de ma vie. La lenteur que j’ai à formuler une pensée fait que j’essaie de réfléchir d’avance à des façons d’aborder des personnes spécifiques, de penser à des sujets de discussion ou de me sauver d’une conversation.

J’ai déjà parlé ici d’une expérience dans un salon du livre avec une inconnue auprès de laquelle je n’ai pas fait bonne impression. Mais les salons du livre sont aussi l’occasion pour moi de rencontrer beaucoup de gens que je connais déjà, de près ou de loin (je les connais de près ou de loin et je les rencontre de près ou de loin).

C’est un peu le summum des situations telles que décrites par Mark Normand. Je vois poindre au loin une personnalité que j’ai déjà rencontrée et je dois juger en quelques secondes s’il serait convenable que je m’arrête pour lui parler, que je lui offre un sympathique : « Salut, ça va? », que je me contente d’un petit salut, d’un signe de tête ou d’un sourire complice. Dans les cas extrêmes, je peux même lui offrir une accolade.

Ça peut sembler bien malaisant tout ça, mais je vous rassure, je m’en tire généralement pas trop mal et mes interlocuteurs ne voient pas trop aller mon monologue intérieur déficient. Enfin, je crois. Il faut dire que les corridors sont longs et larges dans les salons du livre et que j’ai une excellente vue. J’ai donc quelques secondes d’avance pour réfléchir.

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Mais il m’arrive aussi d’être pris par surprise. Ça m’est arrivé au dernier Salon du livre de Montréal. Alors que je faisais du lèche-vitrine devant les kiosques sans vitrine en attendant ma séance de dédicaces, j’entends derrière moi quelqu’un crier : « Salut, beau mec! ». Vous trouverez peut-être ça prétentieux, mais je me suis senti visé par cet appel.

À dix mètres de moi se trouvait Marina Orsini qui m’envoyait la main de son kiosque. En ralentissant légèrement le pas, je lui ai retourné la pareille… avant de continuer mon chemin.

Dans ce cas-ci, mon monologue intérieur s’est fait rétroactivement, ce qui n’est pas très utile. Aurais-je dû m’arrêter pour lui parler, lui offrir un sympathique : « Salut, ça va? », me contenter d’un petit salut, d’un signe de tête ou d’un sourire complice? Clairement, oui, j’aurais dû m’arrêter. « Salut, beau mec! » mérite plus d’attention qu’un simple bye-bye de la main accompagné d’un sourire. Je pense que ça méritait peut-être même un câlin.

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Trop tard, le mal était fait. J’avais déjà contourné une interminable file devant le kiosque d’un livre de recettes véganes. La fenêtre d’opportunité s’était refermée comme une huître (au tofu, dans ce cas-ci).

Je ne connais pas très bien Marina Orsini. Elle est venue quelques fois à notre émission de radio et je l’ai toujours trouvée extrêmement sympathique. Je l’avais aussi croisée à la Guignolée des médias, l’année dernière. J’étais dans mon char et, sans surprise, je n’avais pas un sou à lui donner. Qui a encore de l’argent comptant de nos jours? Visiblement, elle ne m’en voulait pas d’avoir été cheap.

Il y a peut-être aussi un peu de son aura qui m’a intimidé. Eille! C’est quand même Suzie Lambert et Émilie Bordeleau. Il y a sans doute une partie de moi qui se dit qu’une légende comme elle ne peut pas être intéressée à ce que j’aille lui jaser du bout d’gras. Il y a aussi une partie de moi qui se dit que je suis vraiment mauvais pour jaser du bout d’gras si je n’y ai pas réfléchi d’avance et que tout ça est peut-être mieux pour Marina. N’empêche, la prochaine fois, je saurai que je pourrai aller lui parler de Sergeï Koulikov et du petit Joachim Crête.

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Tout ça pour dire que si vous m’interpellez quelque part et que je poursuis mon chemin, courrez-moi après. C’est pas que je ne voulais pas vous parler, c’est que je n’ai pas eu le temps de juger si vous aimeriez que je vous parle. C’est subtil, mais ça change tout.

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