Avec son nouvel album Des feux pour voir, Marie-Pierre Arthur a découvert un véritable coffre au trésor. Une sorte de voûte secrète, un passage dans l’armoire de Narnia. Le projet, qui est disponible depuis aujourd’hui, représente une toute nouvelle étape dans la carrière de la bassiste.
Cette théorie, je l’avais déjà en tête dès mes premières écoutes, qui visaient à me préparer à mon entrevue avec la principale intéressée. Comme de fait, Marie-Pierre Arthur me confirme le tout assez rapidement. « Je suis sortie de mes habitudes et ça a fait sortir autre chose. J’ai utilisé de nouvelles façons de travailler avec mes collaborateurs. Ça m’a fait du bien de visiter d’autres zones. »
Ces collaborateurs sont nombreux. On note entre autres l’apport de Sam Joly et François Lafontaine, avec qui Marie-Pierre Arthur a coréalisé son quatrième album. Et ils ne sont pas les seuls. La plus grande constante dans le travail de l’autrice-compositrice-interprète est le travail d’équipe. « Je fais beaucoup ça pour vivre à travers, et avec, l’autre. Traverser les choses ensemble. La collectivité dans la musique, pour moi, c’est fort. »
« C’est peut-être terriblement le fun de faire ça toute seule aussi. Mais c’est jamais quelque chose qui m’a attirée, la solitude dans la musique. C’est pas comme ça que je la fais. »
Traverser sa phase punk avec grâce
Marie-Pierre Arthur prend beaucoup des autres, mais elle donne aussi. Des feux pour voir est son premier album en cinq ans. Entre-temps, elle a aussi collaboré sur d’autres projets, que ce soit en prêtant ses talents sur les albums des autres ou en participant à différents concerts. En rajoutant à cela la longue tournée qui a suivi la sortie de Si l’aurore et une pause bien méritée, les années se sont accumulées facilement en attendant le prochain long jeu.
Ainsi, le vrai travail a débuté il y a environ deux ans et demi. À ce moment-là, Marie-Pierre Arthur se laissait porter par le punk, alimentée par le fait de passer autant de temps à jammer avec deux musiciens dans un local. Plusieurs chansons sont nées de cette formation, dont Les nuages tombent, mais la plupart sont restées dans les tiroirs. « J’ai peut-être envie de sortir quelque chose de juste ce projet-là. J’ai décidé que ce serait un side project mais cette chanson-là, j’ai décidé de la mettre sur l’album parce que ça présentait une phase de création. »
Avant-dernière pièce de l’album, Des nuages tombent commence de façon assez rêveuse et douce avant de s’enfoncer lentement mais sûrement dans la distorsion. Les musiciens se lancent ensuite dans un passage instrumental beaucoup plus noise que le reste de l’album. À part peut-être pour ce qui est de la pièce Tiens-moi mon cœur, extrait le plus récent du disque. Comme de fait, cette pièce aussi est née des sessions punk. « Mais elle était pas rendue. Il y avait quelque chose de trippant dedans, mais il manquait des éléments. »
Un grand terrain de jeu
En plus du punk, on retrouve de très nombreuses influences sur le projet. C’est ce qui permet d’avoir un ensemble de huit chansons complètement éclatées. Heureusement pour les auditeurs, Marie-Pierre Arthur a fait exprès de prendre le temps de visiter chaque planète en profondeur. « J’aime ça rentrer dans le monde de quelqu’un d’autre, de me faire trimbaler d’une émotion à l’autre. Que ça ne dure pas deux heures de temps, mais qu’on ait le temps de passer d’un univers à l’autre, pas de passer d’une toune de trois minutes à une autre toune de trois minutes. »
Cette liberté a sans doute permis l’inclusion d’une pièce comme Faux. Le morceau, qui frôle la barre des cinq minutes, n’a absolument aucun potentiel radiophonique. Et pourtant, il s’agit là peut-être de la pièce maitresse de l’album. « C’est comme le noyau je trouve. Là-dedans, on trouve beaucoup de choses qui découlent sur les autres chansons. C’est ma pièce référence. C’est presque pas une chanson : c’est plus une pièce qui indique vers les possibilités du reste. »
Faux commence avec la voix de Marie-Pierre, retravaillée jusqu’à donner l’impression qu’elle chante depuis la 6e dimension. Même si elle peut compter sur des choristes de luxe, elle a préféré continuer ses recherches jusqu’à la sonorité parfaite. « Je voulais quelque chose qui est synthétique mais très authentique et chaleureux en même temps. Et d’étrange aussi, pour parler du fait que je sais pas par où m’en aller, quel chemin je vais prendre, où je suis, j’ai pas de fun… Ça pouvait pas être trop gospel cette affaire-là. »
Marie-Pierre et les fantômes
Sous sa voix, on entend un piano épars, dont les pédales échappent quelques bruits captés par les micros. « On a tout laissé ça là et ça fait un peu maison hanté par bouts. Et après ça, ça se détend vers la fin. Je vais avancer et on verra plus tard. Je vais arrêter d’être anxieuse en ce moment pour quelque chose que je ne connais pas. C’est pour ça qu’il y a comme des sections qui avancent vers un autre état. »
Cette chanson est arrivée vers la fin, tout comme Dans tes rêves. Si les deux pièces ont un côté « maison hantée », elles ne sauraient être plus différentes dans leur rythme. C’est qu’au lieu d’être une ballade envoûtante, cette dernière m’a ramenée au funk du dernier album de Janelle Monáe.
« Tu es la première qui me parle de Janelle! » Marie-Pierre avoue avoir beaucoup écouté son album Dirty Computer, paru en 2018. Si bien que la chanteuse américaine aurait laissé des traces chez son conjoint François Lafontaine. « Je l’ai tellement écouté que lui, ça lui est rentré dedans et c’est comme ça qu’il est arrivé avec cette chanson-là. »
« Eille, je ne me souvenais plus pourquoi cette chanson-là existait : c’était à cause de Janelle! »
Une prière pour terminer
Au travers de toutes ces pièces, on en retrouve d’autres comme Des nuits entières, ou encore la pièce titre, qui rappellent les premières amours musicales de Marie-Pierre Arthur. « Ce sont des mélodies plus près de mon adolescence, les années 90. » C’est toutefois avec une ballade toute simple que ce conclut l’album. Pour Puits de lumière, l’artiste a pu compter sur l’aide précieuse d’un de ses collaborateurs de longue date.
« C’était une musique que Frank [François Lafontaine] avait fait. J’ai travaillé sur beaucoup de chansons qui ne sont pas là, et celle-là, je savais pas si ça allait y être. Mais j’aimais terriblement la musique. Je l’ai juste pitchée un soir comme ça à Louis-Jean [Cormier]. Moi, j’étais en train d’écrire d’autres patentes pis tout ça. Pis avant de répondre oui, je vais checker ça, il m’a répondu avec un texte. »
Bref, toutes ses nouvelles directions et ces nouvelles expériences semblent avoir rajeuni Marie-Pierre Arthur. L’album Des feux pour voir permet d’agrandir considérablement le cadre de ce qu’est sa discographie. Il faut dire qu’avec d’aussi belles amitiés, la chanteuse ne manquera pas d’inspiration de sitôt.