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Marie-Alice Berberi : sous son pinceau, la grenade
Pour discuter avec Marie-Alice Berberi, il faut déjà s’assurer qu’elle est bien disponible, puis la rejoindre sur son lieu de travail au Liban, à une petite dizaine de mètres de hauteur, en haut du mur qu’elle est en train de peindre. Ensuite, il faut éviter les pots de peinture – et de tomber. Enfin, la rencontre peut officiellement commencer.
Une artiste engagée, déterminée et minutieuse : ce serait Marie-Alice en trois mots. La première cause qui lui tient terriblement à coeur, c’est son pays, le Liban. « Je ne veux pas partir, ce sera ma dernière option », martèle-t-elle, même si elle pressent que son avenir là-bas ne sera pas de tout repos. « Ici, il n’y a pas la même reconnaissance pour les artistes qu’en Europe par exemple, c’est difficile à tous niveaux ». Le Liban, faut-il le rappeler, traverse une grave crise économique et politique sans précédent qui fait fuir la jeunesse libanaise. « J’aime ce pays, j’aime même les désagréments qu’il peut y avoir ici, quitter le Liban sera vraiment mon ultime solution », raconte celle dont la mère est brésilienne. « J’ai la nationalité brésilienne, mais je n’y suis jamais allée, et maintenant avec la crise, le ticket d’avion coûte une fortune… ». Quoiqu’il en soit, pour l’instant, ce n’est pas une option envisageable à ses yeux.
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En rêvant à des jours meilleurs, équipée d’un téléphone portable dans une main – recouverte de tâches de peinture, et d’un pinceau dans l’autre : Marie-Alice est multitâche. Du haut de ses 28 ans, elle a décidé de s’adonner pleinement à la peinture, et c’est même le destin de son pays qui l’a poussée dans cette voie. Il n’y a pas de hasard.
Après le lycée, elle a intégré l’université de Kaslik, au nord de la capitale, où elle a étudié le design d’intérieur. « Cela m’a plu, alors à la fin de mes études, en 2015, j’ai commencé à travailler dans une entreprise de design spécialisée en cuisine, et puis en tant que freelance avec ma cousine en 2019 ». En parallèle de son travail alimentaire, Marie-Alice continue de s’adonner à sa principale passion : peindre. Elle parvient même à vendre certaines de ses pièces en 2017.
Alors que le pays s’embrase en octobre, Marie-Alice descend dans la rue avec ses concitoyens, et s’imprègne d’une nouvelle ambiance, celle de la jeunesse qui récupère ses espaces publics, ses rues et qui reprend espoir. Elle rencontre alors le collectif “The Art of Change” qui regroupe différents artistes bien décidés à peindre le changement. « J’allais très souvent aux manifestations, et un jour, une des artistes m’a envoyé un message, elle m’a dit : « Viens, on peint sur le Ring ! », alors je les ai rejoints et j’ai peint avec eux sur l’une des plus grandes artères de la capitale. »
« Pour moi, cette révolution était l’occasion pour nous de recoller les morceaux »
C’est comme ça qu’elle réalise sa première œuvre de rue : un cèdre libanais détaché à la fin du mois d’octobre. « Comme un puzzle. Car pour moi, cette révolution était l’occasion pour nous de recoller les morceaux ». Elle continue à peindre sa vision de la révolution libanaise au fil des semaines, comme ce visage d’une femme à moitié cèdre, lors d’une manifestation pour le droit des femmes, ou alors ce masque à gaz qui fleurit, avec l’idée que, quoi qu’il arrive, le peuple libanais fleurira.
Alors que les manifestations deviennent plus violentes dès 2020, elle récupère, comme tant d’autres, un souvenir : des grenades lacrymogènes, pour les afficher chez elle et se rappeler de la violence qu’ils ont subi.
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La Saint Valentin approche et Marie-Alice décide de repeindre ces grenades récupérées dans la rue. « Les grenades font pleurer, tout comme une fleur que l’on offre à son amoureux lors de la Saint Valentin », raconte celle qui en a profité pour poster une grenade recouverte d’une rose rouge, et montrer ainsi ses créations sur les réseaux sociaux. Rapidement, ses oeuvres deviennent alors virales. « J’ai voulu montrer le contraste entre les grenades. La violence qu’elles représentent, et l’amour qui, au final, ont tous les deux le même effet : faire couler des larmes de joie ou de tristesse… » Elle vend alors une vingtaine de ses créations, entre 40 et 80 USD. « Tout dépend du motif et de la taille. Parfois, je mets une journée entière à les peindre, ce n’est pas un simple hobby cette peinture, c’est mon métier ! », justifie-t-elle face à certains détracteurs. « Sans parler du fait que la peinture coûte une fortune à l’heure actuelle », renchérit-elle. Avec la dévaluation de la monnaie courante, les produits importés ont vu leur prix quadruplés en moyenne, ce qui est le cas de la peinture et des pinceaux qu’elle utilise.
Lorsque le 4 août 2020, la moitié de la ville part en fumée suite à une terrible explosion au port de Beyrouth, Marie-Alice reprend ses grenades. « Les grenades lacrymogènes, c’est aussi la destruction. Et ce qu’il s’est passé le 4 août, c’était de la pure destruction. Alors j’ai décidé de peindre des maisons libanaises traditionnelles, afin de commémorer ce patrimoine qui a été sévèrement endommagé par l’explosion ». Le projet en est encore à ses balbutiements, mais l’idée commence à faire son chemin sur les réseaux sociaux où elle a déjà été repérée par plusieurs personnes qui n’avaient pas vu ses premières oeuvres.
« Maintenant, c’est certain, je veux vivre de mon art. J’ai trouvé ma voie et je m’y tiens », explique la jeune femme qui n’a pas encore peint sa dernière grenade.
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